Est-ce que je suis la première personne qui vous parle, aujourd’hui ?

C’est une question que je ne me posais jamais, quand j’écrivais, avant. Je pensais bien entendu à vous (j’espère raconter des trucs qui vous intéresseront un minimum, quand même) ; mais je ne réalisais pas que j’étais parfois la première à vous jaser ça, le matin…

C’est une femme charmante qui me l’a fait comprendre, juste avant les vacances. Je venais de coanimer la Revue de l’année de La Presse et je discutais avec des collègues quand elle s’est approchée pour nous expliquer que depuis sa retraite, c’est avec les journalistes, chroniqueurs et collaborateurs du journal qu’elle entame ses journées.

« Vous êtes mon premier bonjour. »

Elle l’a dit en souriant. Rien de triste. Il n’y avait pas un soupçon de solitude dans son témoignage ; beaucoup de gens en souffrent, mais ce n’était pas son cas. C’est juste que sans le croissant commandé en vitesse avant d’entrer au bureau ou les potins autour de la machine à café, il ne reste que nous pour lancer la discussion, chaque matin.

« Je ne savais pas que mes chroniques pouvaient faire l’effet d’une salutation… Merci tellement de me l’apprendre ! Ça me chavire. »

Je pense qu’elle m’a trouvée un peu intense. Peut-être même a-t-elle cru que je la niaisais. Mais pas du tout ! Grâce à elle, j’ai pris conscience de notre chance. Je veux dire : des fois, on est à table avec vous. Vous nous accueillez dans la vulnérabilité de votre robe de chambre et le chaos du petit matin. Ce n’est pas rien.

Depuis, la question qui m’habite, c’est : comment aimeriez-vous être salués ?

De quel type d’attention avez-vous besoin, ces jours-ci ?

Je peux parfois deviner ce qui vous taraude, grâce à vos courriels. À l’automne, le temps m’a manqué pour bien vous répondre, mais j’ai lu tout ce que j’ai reçu. Souvent, vous vouliez m’offrir une anecdote, une suggestion culturelle ou une réflexion pour alimenter mes pensées. Vous êtes dans le partage, quand vous venez vers moi.

Quelle main aimeriez-vous que je vous tende, en retour ?

Cette année, avez-vous besoin de mots doux ? D’être secoués ? Plongés hors de vous ou, au contraire, traînés au cœur de vos angoisses, peines et doutes ?

Il paraît que c’est de plus en plus dur, se parler. Avez-vous un mode d’emploi pour moi ?

Vous préférez qu’on vous murmure un bonjour ou qu’on vous chante que la journée sera flambant neuve ?

C’est un privilège immense, s’immiscer dans la matinée de quelqu’un, quand même.

Mon amoureux dit que je commence les miennes en souriant. C’est peut-être pour ça que je vous présente souvent des personnes ou des idées qui me rendent heureuse, ici. J’espère que l’optimisme est contagieux.

Ça me fait penser : avez-vous vu C’mon C’mon ? C’est du fantastique Mike Mills, un réalisateur qui aime ses personnages féminins comme peu d’autres, à mon avis. Dans ce film, il met en scène un journaliste radio (Joakim Phoenix) qui cherche à relayer les propos de la jeunesse américaine. En parallèle, l’homme compose avec une situation familiale délicate (j’en pleure d’une manière très inélégante), mais sur le fond, c’est surtout un film sur la beauté des histoires qu’on raconte. Sur la puissance de la parole qui arrive à se glisser dans les foyers et l’étrange dévouement de toutes ces personnes qui nous accompagnent sans qu’on les connaisse vraiment.

Il y en a plein qui me disent « bonjour », moi aussi ; des animateurs radio, des chroniqueurs, des autrices. Leur voix me rassure ou me confronte. La plupart du temps, elle me donne l’impression d’être vue. Au moins rien qu’un peu.

Je n’oserais même pas rêver être de celles et ceux que vous choisissez pour compagnons distants. Mais puisque je croise votre matin, une fois de temps en temps, aussi bien avoir une idée de ce qui vous anime…

Vous mettez du lait dans votre café ? (Je n’ai jamais compris les gens qui le sucrent ; ne me dites pas que vous le sucrez.)

Dormez-vous bien, ces temps-ci ?

Qu’est-ce qui vous garde éveillé ? Vous donne espoir ? Vous donne envie de crier ?

Je sais qu’habituellement, je parle beaucoup, mais là, je vous écoute.