Je suis des cours de patinage pour adultes depuis un mois, maintenant.

L’an dernier, je vous ai avoué que j’ai appris sur le tard à faire du vélo, de la planche à roulettes et du ski de fond. Dans cette chronique au sujet des sports qu’on n’est jamais trop vieux pour apprivoiser, j’écrivais que mon prochain défi serait le patinage… Eh bien, je suis une femme de parole.

Lisez la chronique « Jamais trop tard »

Je ne m’explique pas encore ce qui me pousse à me mettre deux lames aux pieds pour me tenir debout sur de la glace, mais je le fais. (Est-ce que tout sport, une fois intellectualisé, est aussi absurde ? Je vous invite à faire l’exercice. Je n’en trouve pas beaucoup d’aussi illogiques que le patinage, à part conduire en rond à 350 km/h ou faire des vrilles en s’élançant d’une butte, les pieds soudés à deux grandes planches…)

Mes amies Claire et Amélie ne savaient pas patiner non plus. Chaque semaine, on se rend donc à l’Atrium Le 1000 ensemble et on se laisse guider par des profs infiniment patients.

La moyenne d’âge de notre groupe tourne autour de la quarantaine, ce qui m’a beaucoup étonnée. En fait, j’étais si surprise par le profil socioculturel de mes comparses (majoritairement jeunes, blancs et francophones) qu’au tout premier cours, j’étais convaincue qu’on s’était trompées d’horaire…

« Ce monde-là sait patiner, c’est sûr. »

Bon, une fois sur la glace, c’est devenu assez évident que personne ne savait s’y prendre… Avez-vous déjà vu une vingtaine d’adultes refuser de lâcher une bande ?

Avec du recul, c’est attendrissant, mais sur place, c’était terrifiant.

Si, enfant, les risques de blessure ne nous freinent pas, ils sont maintenant beaucoup plus difficiles à ignorer. Serait-on prêtes à rentrer au bureau sans palettes, demain matin ? La question nous hantait.

Évidemment, la peur s’estompe au fil des cours, mais elle demeure présente. Elle se transforme… En fait, j’ai eu une révélation, mardi dernier : je pense que ça me fait du bien de m’infliger ce type de stress.

Au quotidien, je ne contrôle pas vraiment ce qui m’angoisse (l’environnement, l’économie, la finitude potentielle de mes proches et le gluten). Il y a donc quelque chose d’étonnamment stimulant dans le fait de me faire peur à mes propres conditions.

C’est comme si mon corps prenait goût à générer du stress pour mieux le surmonter. Est-ce que ça se peut, ça ? Est-ce que c’est sain ?

La neuropsychologue Catherine Duchesne, spécialisée en sport, m’a rassurée dès les premières secondes de notre entretien téléphonique. Collectivement, on associe la peur à un état que l’on doit éviter, mais dans les faits, elle est primordiale…

« Il n’y a pas d’émotion bonne ou mauvaise, elles nous aident toutes à vivre pleinement ! La peur est nourrissante, on en a besoin. Elle est produite pour qu’on puisse s’adapter. »

Ce genre de stress a ses avantages : il nous permet de nous mobiliser pour apprendre quelque chose de nouveau. Ça apporte des bénéfices à notre santé mentale, cognitive et physique.

Catherine Duchesne, neuropsychologue

Catherine Duchesne me parle même d’une certaine euphorie dans laquelle je me reconnais… J’arrive à mes cours angoissée par les exercices à venir et fatiguée par ma journée de travail. Une fois sur la glace, je connais plutôt un mélange de peur et d’excitation. Puis, je repars chez moi toute légère avec l’envie de célébrer mes maigres progrès.

Apprendre à patiner à 34 ans me rend euphorique. On est loin de la gêne ou de la honte que j’anticipais.

« Il y a un double plaisir, ici, précise la neuropsychologue. Le sport stimule le système de récompense : endorphines, dopamine et adrénaline nous donnent un sentiment de plaisir au niveau physiologique. Mais le fait de se sentir valorisé dans un apprentissage apporte aussi un plaisir ! »

Et l’apprentissage n’a pas à être sportif pour que ce soit vrai. Le chant, la peinture ou l’ébénisterie en feraient tout autant… « On aime ça parce que ça nous sort des séquences prévues à l’avance et de nos automatismes, ajoute Catherine Duchesne. Ça nous connecte à notre pouvoir créateur en tant qu’humain. »

(Je doute que mes profs de patinage associent mes tentatives de freinage à la moindre force créatrice, mais je comprends ce qu’elle veut dire.)

La peur ressentie lorsque l’on s’attaque à une nouvelle activité n’est pas mauvaise, elle permet au contraire de sortir notre cerveau du mode « pilote automatique ».

« Ce qui est particulier dans l’adaptation à la nouveauté, c’est que ça sollicite les fonctions exécutives, précise la neuropsychologue. Le cerveau est paresseux, il va toujours scanner les choses qu’il connaît parce que ça prend moins d’énergie. Quand il rencontre quelque chose de nouveau, il y a une mobilisation des fonctions exécutives. La capacité de planifier, d’organiser nos idées et d’inhiber les informations ou non, par exemple… »

Notre cerveau veut comprendre ce qu’on fait pour qu’un jour, le geste devienne banal et qu’il puisse à nouveau jouer au paresseux. Mais entre-temps, on se fait aller la capacité d’attention et la mémoire de travail. On se fait du bien.

Ce qui m’amène à croire qu’on a tous et toutes besoin d’un nouveau loisir.

Trop de gens s’empêchent d’apprendre un nouveau sport, en vieillissant. Que ce soit par peur d’être jugé ou de se blesser, mais Catherine Duchesne insiste sur le fait que plusieurs activités peuvent être adaptées aux envies et limitations de chacun.

Il faut juste oser s’informer. Ça tombe bien, la rencontre fait partie des nombreux avantages d’un nouveau loisir, selon la neuropsychologue…

« Et si tu commences à patiner avec tes amies dehors pour combiner tout ça aux bienfaits d’être dans la nature, alors il y aura encore plus de bénéfices, ajoute Catherine Duchesne.

— OK, mais qu’est-ce qu’on fait si on devient accro à la peur ?

— Vous vous mettrez au patinage de vitesse ! »