De son bureau, un cagibi juché dans un demi-étage de son commerce, Jimmy Zoubris peut voir tous les clients qui passent à la caisse. Ce sont souvent des habitués. Clients fidèles qui viennent acheter des fournitures scolaires ou de bureau, faire des photocopies, imprimer des documents. Ou simplement le saluer.

« J’aime voir qui passe et parler avec les clients, dit-il. Ce contact-là est important pour les petits magasins. »

Pratiquement tous les cartables, cahiers, crayons, calculatrices de mes enfants ont été achetés depuis le début du primaire chez Papeterie & Photocopie Zoubris, qui offre un service de liste de fournitures scolaires avec étiquette personnalisée.

Lorsque je me suis installé dans le Mile-End, il y a 30 ans, Zoubris venait d’emménager dans ses locaux actuels, sur l’avenue du Parc, entre Bernard et Saint-Viateur. Il se trouvait depuis 1982 à quelques adresses au nord.

La petite entreprise familiale a célébré ses 40 ans d’existence en août. Son fondateur, le père de Jimmy, Evangelos Zoubris, conserve son propre bureau dans le même local exigu que son fils, même s’il ne s’occupe plus des affaires courantes. « Il vient trois ou quatre fois par semaine, il va à la banque, il rencontre ses amis », m’explique Jimmy.

C’est dans les années 1950 qu’Evangelos Zoubris a migré à Montréal de la Grèce. Il y a rencontré sa femme, elle aussi originaire de Grèce, dans le quartier. « C’était un quartier plus grec avant », se souvient Jimmy Zoubris, dont l’oncle avait un studio de photographie, de l’autre côté de l’avenue du Parc, à compter du début des années 1970.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jimmy Zoubris

De vénérables commerces tels que la poissonnerie Nouveau Falero, le restaurant Milos ou le supermarché P. A., ont survécu au passage du temps. Papeterie & Photocopie Zoubris est devenu, comme eux, un incontournable du Mile-End, au même titre que St-Viateur et Fairmount Bagel, la boulangerie Cheskie, le théâtre Rialto, le café Olimpico ou le Club Social.

Dans sa liste des « 51 quartiers les plus cool de la planète », publiée la semaine dernière, Time Out a classé le Mile-End cinquième... en nommant le commerce que Jimmy Zoubris dirige avec sa sœur Demetra. Une papeterie dans une liste de commerces à la mode, c’est assez rare.

On n’a jamais pensé qu’on était un incontournable du quartier, mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui nous appellent pour avoir des conseils sur quoi faire dans le Mile-End. On est devenu comme un centre Accès-Montréal !

Jimmy Zoubris, propriétaire de Papeterie & Photocopie Zoubris

La personnalité de Jimmy Zoubris y est pour beaucoup. Sa présence calme et rassurante, sa bonhomie et ses valeurs ont fait de lui un personnage apprécié, non seulement dans le Mile-End, mais à Montréal de façon générale. On peut l’entendre chaque semaine à la radio de CJAD et depuis cinq ans, il agit à titre de conseiller spécial de la mairesse Valérie Plante.

« Je m’occupe beaucoup des communautés culturelles, des partenaires d’affaires, qui ne savent pas où ou à qui s’adresser. J’essaie de les aider », dit M. Zoubris, qui a étudié les sciences politiques à l’UQAM et a été vice-président de Projet Montréal pendant six ans, à l’époque de Richard Bergeron.

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Le commerce offre des fournitures scolaires et de bureau.

Jimmy Zoubris, 58 ans, a grandi dans le quartier Parc-Extension, très grec lui aussi à l’époque, puis à Laval. Mais il est toujours resté en contact avec le Mile-End, qu’il a vu évoluer d’un quartier d’immigrants grecs, italiens et juifs d’Europe de l’Est, à un lieu prisé par les artistes, les étudiants et les hipsters.

Il jouait au football dans le quartier avec l’équipe de l’organisme Jeunesse au Soleil et il a commencé à travailler dans le commerce de son père dès son ouverture, en 1982. « Entre les cours, je faisais des livraisons, je venais au magasin. Mes deux sœurs et moi, on y a travaillé. Puis quand mon père a décidé de ralentir, ma sœur et moi, on a pris la relève. »

Il n’envisageait pas de reprendre l’entreprise familiale au départ. « J’ai été impliqué très jeune en politique, dit-il. Mais je sentais que j’avais certaines obligations envers la famille. J’aime l’entreprise familiale. J’aime le contact avec les clients. J’aime être dans le quartier et prendre mon café le matin sur Parc ou Saint-Viateur. »

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La clientèle du commerce revient et revient encore...

Il entretient ce lien privilégié avec les gens du quartier. Pour rendre service à ses nombreux clients juifs hassidiques, il a mis à leur disposition des ordinateurs leur permettant de consulter l’internet et d’imprimer des documents. Lorsqu’il a dû être hospitalisé d’urgence pour la COVID-19, il y a un an et demi, son médecin traitant était un de ses clients.

Craint-il parfois pour la survie de son commerce de proximité, avec la concurrence des Bureau en gros et Dollarama ? « Quand le Jean Coutu a ouvert à côté, tout le monde a dit qu’on allait fermer. Ensuite il y a eu un Dollarama et on nous a dit la même chose. Notre modèle d’affaires est différent. On vend des produits de meilleure qualité, comme des calepins Clairefontaine haut de gamme, et on offre du service personnalisé. »

Certains clients, remarque-t-il, n’habitent plus le quartier, mais reviennent chaque année acheter un agenda ou des fournitures scolaires. « On a des clients de deuxième et même de troisième génération. Tes enfants viennent acheter leurs fournitures sans toi maintenant ! », me fait-il remarquer, en riant.

Un jour, peut-être que leurs propres enfants feront de même.