L’autobus 11, en route vers le mont Royal, est bondé de touristes. Je le devine au nombre de langues parlées autour de moi et à la carte de Montréal crispée dans la main de l’homme assis tout près.

Ils s’exclament devant les arbres qui rougissent aux abords de Camillien-Houde ; leur excitation est palpable. C’est vrai qu’on est chanceux de l’avoir, notre mont Royal… On l’oublie, parfois. C’est d’ailleurs pourquoi je tenais à rencontrer quelqu’un qui protège ce joyau montréalais pour ce dossier sur les personnages qui font la marque de Montréal.

Je débarque du bus et file vers la maison Smith, où m’a donné rendez-vous Thérèse Nadeau, une bénévole de 77 ans. Devant moi, une dame marche d’un pas pressé. Je crois la reconnaître.

« Madame Nadeau ? Je pense qu’on était dans le même autobus ! »

Elle me pointe un groupe, un peu plus loin. « Eux aussi, ils étaient dans notre autobus ! Ils viennent de Barcelone. Je leur ai expliqué comment se rendre au belvédère, mais ils m’ont mal comprise… Ils ne s’en vont pas dans la bonne direction, là ! »

Je sens que Thérèse est tiraillée entre son devoir de bénévole et l’entretien qu’elle a promis de m’accorder.

« Ah, fiou ! Ils viennent de virer de bord ! »

L’entrevue est sauve.

*** 

Thérèse Nadeau est originaire d’Edmunston, au Nouveau-Brunswick. Elle a suivi ses parents à Montréal, en 1953. Le clan a rapidement adopté le mont Royal, il est devenu « leur forêt ».

Quand tu viens de la campagne et que tu te retrouves entourée d’asphalte et de ciment, ce n’est pas drôle… Mais au fil des ans, j’ai appris à aimer la ville.

Thérèse Nadeau

— Qu’est-ce que vous avez appris à aimer, exactement ?

— Montréal, c’est une ville vivante. Tu ne t’ennuies pas ici ! »

Le parcours de Thérèse Nadeau a de quoi étonner. Après avoir vécu en Papouasie–Nouvelle-Guinée et à Boston, elle a réalisé que sa place était ici. Dans la quarantaine, elle a entrepris un baccalauréat en arts plastiques, à l’UQAM. Elle a travaillé au Musée des beaux-arts de Montréal, tout en menant une carrière en arts visuels. Ses créations dévoilent différents pans de la condition humaine et sont fortement inspirées par l’environnement des personnes en situation d’itinérance. Elle s’est d’ailleurs impliquée pendant une décennie auprès d’un organisme qui soutenait cette population marginalisée.

Le bénévolat, ce n’est rien de neuf pour Thérèse Nadeau.

C’est en 1998 qu’elle s’est intéressée aux Amis de la montagne, l’organisme à but non lucratif fondé 12 ans plus tôt pour protéger le mont Royal. La crise du verglas venait de faire des ravages et Thérèse voulait aider à remettre sa montagne sur pied. Elle a ensuite participé à chaque corvée printanière annuelle.

Quand la retraite a sonné, du temps libre s’est soudainement dessiné. « Je me suis dit : j’aime Montréal ! Qu’est-ce que je pourrais bien faire pour la ville ? »

La réponse a rapidement surgi : prendre soin de son emblème, le mont Royal. Thérèse Nadeau n’avait aucune expérience en horticulture, mais une solide soif de découverte.

« Je ne connais même pas encore toute la montagne ! », avoue la bénévole. Ça se comprend, on parle de 40 km de chemins et sentiers pédestres, 200 000 arbres, 600 espèces de plantes et 182 espèces d’oiseaux. Il y a à voir, disons…

Depuis 2015, on peut trouver Thérèse ici chaque samedi. En travaillant auprès des Amis de la montagne, elle a appris à planter des arbres (« au début, je me perdais dans les sentiers et je ne faisais que charrier de l’eau ! »), suivre les plantations, couper du nerprun cathartique, gérer l’anthrisque et déterrer les racines du dompte-venin de Russie.

Pour une femme qui n’y connaissait pas grand-chose, je trouve son vocabulaire impressionnant. (En toute honnêteté, je ne comprends pas ce qu’elle me raconte, mais je reconnais que ses yeux sont pétillants.)

Elle propose de me montrer les végétaux dont elle parle, question que je saisisse mieux. Elle repère rapidement du nerprun, à l’orée d’un sentier. Cet automne, sa tâche sera d’empêcher la plante envahissante de se déployer. Puis, cet hiver, elle se postera devant les mangeoires pour compter les mésanges, sittelles, pics-bois et cardinaux qui viendront s’y poser.

« J’adore faire ça. Le seul défaut, c’est qu’on gèle ! »

Non seulement Thérèse Nadeau veille sur la faune et la flore du mont Royal, mais elle tente également de le rendre plus invitant pour les visiteurs. Depuis 2017, elle contribue à arracher l’herbe à poux qui pousse tout le long de Camillien-Houde. Elle le fait aussi dans son quartier, Villeray, et elle entend lancer l’entreprise dans Parc-Extension.

« Vous avez des allergies ?

— Non, mais d’autres oui ! »

Elle fait tout ça pour nous, dans un cadre qui lui fait du bien à elle.

C’est que la bénévole s’est débarrassée de sa voiture il y a plus de 40 ans. Comme elle se déplace en transports en commun, sa campagne, c’est le mont Royal.

Il m’apporte la sérénité. Je reviens chez moi fatiguée physiquement, mais je n’ai plus aucune fatigue mentale. Je me dégage de tout ! Cet été, j’ai fait des folies… Du bénévolat plusieurs jours de suite, par exemple. Mais je suis plus en forme que je l’étais au printemps !

Thérèse Nadeau

Dans l’ombre, Thérèse Nadeau veille sur les Montréalais. Son énergie — je vous rappelle qu’elle a 77 ans – et son implication méritent d’être soulignées, mais elle n’est pas du genre à chercher les projecteurs…

L’artiste est une solitaire. C’est en joignant des groupes comme Les amis de la montagne qu’elle comble son besoin de rencontres. « J’aime partager, mais il faut que ça ait une signification », dit-elle.

Quel sens prend son travail, ici ?

Elle réfléchit un instant.

« Quand je plante un arbre, je me dis : “Je ne te verrai pas grandir, mais je sais que tu vas continuer à vivre”. J’ai toujours ça en tête : je plante quelque chose qui va aller au-delà de ma vie. On garde le mont Royal en bon état pour qu’il soit plus beau que jamais pour les prochains. »