Je suis peureuse. Comme j’aime dormir paisiblement (et me laver le visage sans craindre qu’un fantôme n’apparaisse dans mon miroir de salle de bains), j’évite les films d’horreur. J’ai beau ne pas y croire, les récits effrayants m’affectent sans bon sens. Comment expliquer qu’ils puissent à ce point nous hanter ?

Quand j’ai posé la question à Bernard Perron, directeur du département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, il a proposé de me donner un cours accéléré sur le cinéma d’horreur.

J’ai répondu « présente ! » sans me douter que j’aurais un plaisir fou à l’entendre…

Le chercheur — d’une passion époustouflante – m’a d’abord expliqué que la peur est une émotion primaire orientée vers un objet. Stephen King, roi du genre, a déterminé dix sources de peur particulièrement importantes : celle du noir ; des choses gluantes ; de la difformité ; des serpents ; des rats ; des insectes (tout ce qui renvoie à la crainte de l’infection) ; des lieux clos ; de la mort ; des autres ; et, finalement, la peur pour les autres.

Très bien. Mais pourquoi ressent-on cette peur même quand on se trouve devant un récit fictif ? Même quand on sait que personne n’est réellement pris dans une cage et contraint aux ordres d’un clown amateur de scies ?

Le professeur cite le philosophe Noël Carroll et sa théorie de la pensée. En somme : on a peur parce que l’on conceptualise l’objet de la peur.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Bernard Perron

« C’est quand on a peur qu’on se raconte les plus belles histoires de peur et d’horreur, m’explique Bernard Perron. Quand je vois un zombie, je conceptualise ma peur du zombie — j’imagine la morsure, l’infection, le danger. Ma pensée part et me fait réagir ! »

D’ailleurs, le zombie est au cœur du cours actuellement offert par l’enseignant. Pour lui, la figure représente le 4e âge : « Le 4e âge est le moment où le corps dégénère, résume Bernard Perron. C’est la perte d’autonomie, l’alzheimer et la peau qui s’assèche, signe que la fin s’approche. » Quand on parle de conceptualiser des peurs à partir d’une simple image…

Si les récits effrayants nous affectent, c’est donc parce qu’on accepte de jouer le jeu et de laisser les monstres fictifs éveiller des craintes bien réelles chez nous.

« Ce genre nous fait penser à l’horreur du monde, estime Bernard Perron. C’est une manière de se projeter. On laisse aller nos limites plus facilement parce qu’on sait qu’on n’est pas réellement en danger. La peur devient thrillante. »

Disons que j’aie maintenant envie de m’initier convenablement au genre, comment y arriver en tant que grande peureuse ?

Le professeur, qui s’avoue lui-même peu brave, m’offre quelques suggestions :

« Je dis toujours à mes étudiants de commencer à compter dès le début d’un silence. En général, ça va péter entre trois et cinq secondes plus tard ! Et je ferme les yeux, pendant ce temps-là. On sursaute parce que notre corps répond par réflexe à l’image qui apparaît soudainement pour nous faire peur. Si on ne la voit pas, on se donne un coup de main. Finalement, je suggère de regarder les films en plein jour. Si Stephen King place la peur du noir en premier sur sa liste, c’est parce que c’est le moment parfait pour raconter ce genre d’histoires. On se souvient tous des légendes entendues autour du feu, quand on était enfant ! »

C’est d’ailleurs la nostalgie du feu de camp qui explique la passion que Sébastien Diaz voue au cinéma d’horreur. Je tenais à parler au réalisateur de la série Terreur 404, après mon cours accéléré, pour continuer à apprivoiser cette forme d’art…

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Sébastien Diaz

« C’est le seul genre qui me ramène autant à l’enfance, m’a-t-il confié. J’ai toujours l’impression d’être le petit cul autour du feu avec une lampe de poche ! Il y a une forme de transgression, comme un interdit de regarder ça. »

Plus encore, le cinéma d’horreur a pour lui une importante fonction sociale.

On regarde tellement de trucs, de nos jours ! On est bombardés d’images et je crois qu’on est devenus un peu insensibles. J’aime quand on me bouscule et que je ne suis plus un spectateur passif. Les bons films d’horreur te poussent dans tes derniers retranchements ; ce n’est pas agréable, mais tu te questionnes à titre d’individu ou de père, par exemple.

Sébastien Diaz

À cet effet, Sébastien Diaz cite son plus récent coup de cœur, le thriller psychologique danois Speak No Evil de Christian Tafdrup. Ce film l’a fait réfléchir à la place qu’occupe la gentillesse dans notre société et à la difficulté qu’il a parfois à mettre son pied à terre.

Puis, il me lance un ultime argument massue : le cinéma d’horreur est une formidable porte d’entrée vers plusieurs autres formes d’art. Les réalisateurs s’inspirent souvent de peintres, de compositeurs classiques ou d’auteurs importants. Plonger dans la démarche des maîtres de l’horreur, c’est à la fois s’instruire sur l’histoire de l’art et sur la culture de différentes époques.

« Le cinéma d’horreur nous parle de l’évolution des mœurs, poursuit Sébastien Diaz. Quand j’étais petit, j’étais fasciné par les films censurés sous Thatcher, qu’on appelait les video nasties [vidéos malsaines]. Mon frère et moi, on s’était donné comme mission de tous les louer ! Aux États-Unis, il y a aussi eu le code Hays [qui a assuré 30 ans d’autocensure hollywoodienne]. Certains films ont réussi à le contourner par l’horreur. Les zombies symbolisaient l’air radioactif, par exemple… »

Le cinéma d’horreur nous permettrait donc de vivre une émotion primaire en toute sécurité, de conceptualiser nos peurs et d’aborder des sujets qu’on peine autrement à envisager. « Comme tu es dans une ride de montagnes russes, tu ne réalises pas tout de suite qu’on te parle de la guerre froide », résume Sébastien Diaz.

OK, c’est bon. Vous gagnez, messieurs.

Qu’on m’amène l’Halloween et ses terrifiants classiques, svp… J’ai du rattrapage à faire.