Si vous connaissez une mère, et vous en connaissez certainement une, vous connaissez la culpabilité maternelle. Ce sentiment de ne pas toujours être à la hauteur, d’avoir possiblement failli à la tâche, de ne pas avoir tout fait, à chaque moment et en toutes circonstances, pour que son enfant ait accès à ce qu’il y a de mieux pour son bien-être, son développement, son avenir.

« Est-ce que les pères aussi éprouvent la même culpabilité un peu malsaine qui accable beaucoup de mères ? Le sempiternel “C’est de ma faute si…” ou encore “Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour que…” ? C’est épuisant à la fin ! », constatait cette semaine une amie, après avoir lu un article sur le sujet dans le Washington Post.

La réponse, Isabelle, c’est… pas vraiment. J’aurais pu, pour afficher plus de solidarité, parler en début de chronique de la culpabilité parentale. La vérité, c’est que j’ai reconnu bien des mères, mais aucun père, dans le portrait que brosse la journaliste du Washington Post, Amy Paturel, dans son texte « Why we feel “mom guilt”– and how to stop ».

La journaliste explique qu’elle n’arrive pas à chasser un sentiment de culpabilité lié au fait que son plus jeune fils souffre d’une malformation cardiaque et qu’il a dû être opéré à plusieurs reprises en bas âge. « La cause se trouve-t-elle dans les antécédents génétiques de ma famille ? » « Aurais-je bu avant de savoir que j’étais enceinte ? », se demande-t-elle, alors que c’est davantage la consommation d’alcool du père qui pourrait avoir une incidence sur ce genre de maladie, semble-t-il.

Les femmes se font tellement de mauvais sang, selon les experts consultés par le Washington Post, qu’elles en viennent parfois à croire que tout ce qui ne tourne pas rond chez leur enfant est de leur faute. Et qu’elles sont a contrario les seules à pouvoir régler ces problèmes dont elles seraient responsables.

Ces « réflexions irrationnelles », qui s’apparentent à de la pensée magique, s’expliqueraient par un mécanisme de défense maternel.

La pression d’être un parent parfait, créée par la société, ne s’applique tout simplement pas aux pères de la même manière qu’elle pèse sur les mères. On jugera qu’une mère couve trop, ou pas assez, son enfant. Qu’elle est envahissante ou négligente. « Elle a décidé de ne pas l’allaiter, on voit le résultat. » « Elle la surprotège, ce n’est pas pour rien qu’elle est toujours dans les jupes de sa mère. » « Son anxiété déteint sur lui », etc.

Croire qu’on sait mieux qu’une femme ce qui est bien pour elle est un sport international. Et on s’étonne que certaines femmes craignent de souffrir de la comparaison avec les autres ou d’être perçues comme de « mauvaises mères ». Et qu’elles en viennent parfois à penser qu’elles sont responsables des soucis de santé de leurs enfants.

Reproche-t-on à un père de ne pas avoir bien tenu le biberon ou d’avoir trop couvé sa fille quand elle était petite ? On connaît l’expression « mère indigne ». « Père indigne » est plus rare…

Les choses évoluent, heureusement, mais en 2022, sauf bien sûr dans des familles homoparentales, les mères sont toujours plus susceptibles que les pères de mettre leur carrière en suspens pour s’occuper de leurs enfants. C’est généralement elles que les services scolaires, de garde ou médicaux contactent lorsqu’il y a un rendez-vous à prendre ou que survient un inévitable pépin.

Vous n’entendrez pas beaucoup de pères s’en plaindre. Moi le premier. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai lâchement évité de me rendre avec mon fiston à son rendez-vous en orthodontie, de crainte de me faire rabrouer parce qu’il ne porte pas ses élastiques la nuit. Sa mère l’a accompagné. Moi, je n’y suis pour rien…

Les mères mettent la barre haut, sont exigeantes envers elles-mêmes, et c’est pourquoi elles se sentent parfois inadéquates. Les pères ? Bof.

Ce n’est pas une règle générale, mais les experts s’entendent sur le fait que ce sentiment de honte ou de culpabilité est plus répandu chez les femmes.

Elles sont plus susceptibles, dans leurs temps libres, d’effectuer des recherches dignes d’une thèse de doctorat sur un problème de santé, même bénin, qui afflige leur enfant. Et d’en tirer des conclusions tendancieuses, leur faisant porter une responsabilité personnelle, afin d’expliquer le trouble de l’attention ou l’hyperactivité de leur enfant, son manque de motivation scolaire ou ses problèmes de dépendance, électronique ou autre.

Cette culpabilité parentale peut être utile jusqu’à un certain point, soutiennent les experts. Elle permet de ne pas répéter certains comportements. J’ai déjà failli, à bout de patience, perdre la voix à force de réprimander mes garçons. On apprend, motivé par la honte qu’on s’inspire, à développer d’autres stratégies. Mais jamais je n’ai pensé que les problèmes de santé réels ou potentiels de mes fistons étaient liés à mes comportements ou à mes habitudes de vie.

« C’est épuisant, à la fin », dit mon amie Isabelle, et elle a bien raison. La culpabilité maternelle peut provoquer du stress, de l’anxiété, voire des dépressions. Une des solutions proposées par les experts, en particulier pour les mères, est de faire preuve de plus de compassion, pour elles et pour les autres. Les pères, eux, devraient aspirer à rester zen… tout en évitant aux mères de porter l’essentiel de la charge mentale.