Une petite Rose-Aimée Automne est née, l’an dernier.

Je ne la connais pas, c’est la Banque de prénoms du Québec qui m’a appris qu’on était dorénavant deux. La nouvelle m’a réjouie. Une victoire !

Parce que si vous saviez les courriels que je reçois de la part de certains lecteurs...

« Je trouve votre nom tellement ronflant, long et ridicule que je saute rapidement à la page suivante. Désolé. »

« Auriez-vous pu faire plus long encore ? Ridicule ! »

« Trois ans pour apprendre à écrire ton nom. »

« Votre nom est trop long je vous li [sic] pas et n’achète pas vos livres. »

(Lui, c’est mon préféré !)

Alors que ma toute première année à titre de collaboratrice spéciale tire à sa fin – je ne manquerai quand même pas l’occasion de vous parler de la fête des Pères, la semaine prochaine –, le moment est venu de reconnaître l’éléphant dans la pièce.

Mes parents voulaient m’appeler Automne. On leur a dit que c’était trop audacieux... Automne a donc été relégué dans mes deuxièmes prénoms. (Oui, même ça, j’en ai plusieurs.)

À 12 ans, j’ai dû me faire faire une carte d’identité. Le fonctionnaire qui s’occupait de mon dossier m’a demandé quels prénoms je souhaitais conserver.

« Rose-Aimée Automne, s’il vous plaît. »

Je trouvais dommage que mes parents aient caché un nom si romantique. Je le voulais, lui aussi.

Pour ce qui est du « T. Morin », ce n’est pas mon choix.

T., c’est pour ma mère. Elle tenait à ce que je porte son nom de famille, mais étant adoptée, elle ne s’identifiait pas complètement à son clan... T., ce serait suffisant.

Voilà qui devrait éclairer les gentils lecteurs qui m’ont écrit pour en savoir plus sur le tas de lettres qui se trouvent chaque semaine à côté de ma photo.

(J’en profite pour saluer celui qui m’a écrit que ladite photo serait plus belle si on voyait mes dents...)

Maintenant, comment expliquer qu’un prénom puisse nous choquer ?

J’écris « nous » parce que je m’inclus dans le lot... Si j’adore mon nom, je suis quand même curieuse de connaître l’histoire des petits Victor-Hugo, Simon-Guy, Hibou et Paul-Rouge nés en 2021.

« Tant que le prénom était transmis [du parrain au filleul notamment], il n’y avait pas de “beaux” ou de “mauvais” prénoms, à quelques exceptions près », m’a appris le sociologue Baptiste Coulmont.

En fait, ce n’est que depuis qu’ils sont choisis en fonction de nos goûts (autour du XIXe siècle) qu’ils font l’objet de jugements. Maintenant, « le prénom est vu comme exprimant quelque chose », résume le chercheur.

Dans un prénom se cache une histoire, selon Étienne Guertin-Tardif.

L’enseignant de sociologie au cégep Marie-Victorin utilise les prénoms pour démontrer à ses élèves que la société pèse sur nous sans qu’on s’en rende compte.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Étienne Guertin-Tardif

On se croit libres de donner n’importe quel prénom à un enfant, mais l’époque, le milieu dans lequel on évolue et notre niveau d’instruction vont jouer un rôle dans notre choix. On est plus conditionnés qu’on le pense !

Étienne Guertin-Tardif, enseignant de sociologie au cégep Marie-Victorin

Notre prénom évoque quelque chose sur le plan social : une génération, une classe, des origines. Il peut donc avoir un certain poids.

« Des recherches ont montré que les prénoms typiquement liés aux milieux populaires sont moins attirants, sur les sites de rencontre, souligne l’enseignant. Et à l’école, ceux dont le prénom est noble peuvent recevoir de meilleures notes ! »1

Un nom, ça vient avec des connotations.

À quels clichés invite le mien ?

Il fait peut-être un peu hautain. Ou hippie. Ou fleur bleue. Je peux concevoir qu’on me prête certains traits en l’entendant (comme je présume que tous les Mike sont des fêtards qui rêvent de voyages à moto)...

Et qu’est-ce qui fait un « beau » prénom ?

Étienne Guertin-Tardif me répond avec une référence au sociologue Pierre Bourdieu : « C’est difficile d’identifier nos goûts, mais c’est facile d’identifier nos dégoûts ! Lorsqu’un prénom nous déplaît, on a une réaction claire. On sait qu’on ne le donnerait jamais à notre enfant... »

Mais s’il fallait trouver une tendance phare, on pourrait penser à la brièveté. Les prénoms les plus populaires sont généralement très courts, comme Emma et Noah, grands gagnants de 2021.

Quatre lettres. C’est vrai que là-dessus, je ne réponds pas aux attentes...

« Nous avons souvent des prénoms relativement communs, croit pour sa part Baptiste Coulmont. Si votre prénom était “Rose” tout seul, vous auriez moins de commentaires. »

Selon lui, comme j’utilise publiquement plusieurs de mes prénoms, j’invite peut-être davantage aux réactions. En faisant migrer Automne de mon certificat de naissance à mon quotidien, j’ai fait un pied de nez aux normes...

Petite Rose-Aimée Automne née en 2021,

Si jamais tu tombes sur cette chronique en googlant ton nom, dans quelques années, sache qu’il t’ouvrira de nombreuses portes. Il suscitera la curiosité, fera un excellent sujet brise-glace dans n’importe quel party et inspirera des lettres d’amour passionnées.

Ou des courriels, parce que j’imagine que le papier n’existera plus.

Tu as un poème pour prénom et, selon mon expérience, aucune raison de le regretter. C’est précieux, la rareté. Ça te rendra dure à oublier.

S’il devait tout de même survenir des épreuves, rappelle-toi alors qu’il y a des prénoms beaucoup plus difficiles à porter que le tien...

On salue les quatre Adolf nés au Canada depuis 1980.

Consultez la Banque de prénoms 1. Lisez un résumé de l’étude : « Unfortunate first names: Effects of name-based relational devaluation and interpersonal neglect » (en anglais)