Il y a trois semaines, le Sénat de la Floride a voté une loi qui interdit aux enseignants du primaire d’évoquer l’identité de genre et l’orientation sexuelle dans leurs cours. Ça m’a fait penser : au Québec, comment parle-t-on de ces enjeux aux élèves de moins de 10 ans ?

La loi – surnommée par ses détracteurs « Don’t say gay » – permettrait des discussions spontanées entre enseignants et élèves, mais interdirait l’enseignement de matières relatives aux questions LGBTQ+ dans les écoles primaires publiques. Une approche à l’opposé de celle préconisée au Québec, ai-je appris.

Si on a beaucoup jasé des cours d’éducation à la sexualité depuis leur retour en 2018, je dois avouer que j’en ignorais les modalités exactes... La sexologue Julie Lemay, porteuse de dossier en éducation à la sexualité dans un centre de services de la Rive-Sud, m’a gentiment tout expliqué.

Première clarification : les apprentissages sont déterminés par une équipe de sexologues et d’experts en santé, puis leur évolution est établie par le ministère de l’Éducation de manière à respecter le développement des enfants.

Consultez le tableau synthèse du ministère de l’Éducation

Par exemple, dès le préscolaire, on aborde notamment l’expression des sentiments. En 1re année, on parle des rôles et stéréotypes sexuels ; en 2année, on explore les relations interpersonnelles ; en 3e, l’influence des stéréotypes ; en 4e, les représentations de l’amour et de l’amitié, etc.

(On est loin des cours auxquels j’ai eu droit ; je suis encore traumatisée par l’enseignante qui m’a dit qu’accoucher, c’était comme extraire une orange d’une narine.)

Pour chaque thème abordé, les responsables de l’éducation à la sexualité reçoivent un document nommé « canevas pédagogique » avec des suggestions d’activités, de lectures et de vidéos pour leurs élèves.

Parmi le contenu proposé, par exemple, une magnifique affiche créée par Élise Gravel qui illustre les différentes familles qu’on peut côtoyer.

Consultez l’affiche créée par Élise Gravel

Cette approche toute bienveillante incarne un changement de culture, au Québec.

Julie Descheneaux offre le cours Éducation à la sexualité en milieu scolaire et social : exigences et enjeux, à l’UQAM. Selon elle, le programme mis en place depuis 2018 tend à nous faire passer d’une stratégie réactive à une stratégie proactive. Plutôt qu’attendre qu’un élève pose une question ou exprime son mal-être, on met la table pour de belles discussions...

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Julie Descheneaux

Les canevas nous amènent à parler d’homophobie et de transphobie avant que ces enjeux ne soient cristallisés chez les élèves. Et on ne nomme pas précisément ces mots en 2e année ! On parle plutôt de stéréotypes sexuels ; on rappelle aux jeunes que tout le monde peut jouer avec n’importe quels jouets ou encore que ça se peut que les parents d’un ami soient différents des nôtres.

Julie Descheneaux, professeure à l’UQAM

Les canevas pédagogiques sont également pratiques dans la vie de tous les jours. Julie Lemay me cite l’exemple d’une enseignante qui récitait des syllabes à ses élèves. Les enfants ont ri en entendant la syllabe « gué ». La prof en a profité pour sortir son canevas sur la diversité sexuelle et plonger dans le sujet...

Un réflexe qui s’inscrit dans un projet de société nécessaire, selon la sexologue.

« En offrant l’éducation à la sexualité, on s’assure que tous les jeunes du Québec aient accès à des informations de base qui leur serviront toute leur vie. Parce qu’ils n’y ont pas nécessairement droit à la maison... »

Seconde clarification : si les contenus sont obligatoires, chaque direction d’école détermine la manière dont ils sont transmis. Tout établissement a un porteur de dossier en éducation à la sexualité. Ensuite, les différents contenus peuvent être livrés par des enseignants, des experts psychosociaux ou des organismes communautaires.

Seules les personnes à l’aise de le faire prodiguent la matière.

Sur ce plan, Julie Descheneaux – dont la thèse de doctorat porte sur l’implantation des cours d’éducation à la sexualité – a remarqué deux enjeux importants.

« Le premier qui ressort, c’est le filet de sécurité. Qu’ils veuillent ou non faire de l’éducation à la sexualité, les enseignants souhaitent qu’il y ait des gens formés en intervention psychosociale pour accompagner les élèves. Ils sont aux prises avec l’expérience vécue par leurs étudiants, mais ils ne se sentent pas capables d’être spécialistes en tout : diversité sexuelle et de genre, violence en milieu familial, image corporelle, violence sexuelle, etc. »

On les comprend, évidemment.

Ensuite, des enseignants estiment ne pas avoir les connaissances nécessaires pour se mêler de l’éducation à la sexualité. Pourtant, il ne faut pas en savoir tant que ça, selon Julie Descheneaux... Surtout au primaire !

« Quand je donne des formations aux enseignants, je leur rappelle que les parents n’ont pas de formation pour aider leurs enfants avec leur sexualité ou leur coming out, eux ! Ce que les enseignants doivent développer, ce sont plus des aptitudes que des connaissances. Et si on décortique le contenu thème par thème, on réalise souvent qu’au fond, on est à l’aise de parler de tout ça... »

Plus de peur que de mal, donc.

Et les enfants, ils sont à l’aise, eux ?

« Ils adorent les contenus d’éducation à la sexualité, me répond Julie Lemay. Ils sont intéressés ; normal, on parle de leur réalité ! Ce qu’on nomme, ils l’ont déjà observé... on leur donne simplement un espace pour en jaser. »

Ce qui nous ramène à l’outrageuse loi floridienne...

Certaines personnes se demandent si les élèves ne sont pas trop jeunes pour entendre parler de transidentité. Au contraire, ils sont en train de bâtir leurs repères ! Tant mieux si on leur donne tout un éventail de possibilités. Ils n’auront pas à déconstruire de fausses croyances, une fois adultes.

Julie Lemay, sexologue

On a fait beaucoup de chemin, depuis 2018. Or, la suite reste à déterminer.

La Coalition avenir Québec entend implanter un cours de Culture québécoise, à la rentrée 2023. Celui-ci devrait intégrer les contenus d’éducation à la sexualité, mais les thèmes et modalités des apprentissages sont à définir.

En attendant, je paierais bien un petit voyage en Floride à Julie Lemay et Julie Descheneaux. Il me semble qu’elles en auraient beaucoup à apprendre aux sénateurs du coin…