J’ai cédé. J’ai fini par céder. Ceux qui me connaissent bien en sont les premiers étonnés.

Fiston voulait un chat. Il a demandé ça pour Noël. Pour mon propre anniversaire, il y a quelques semaines, j’ai reçu une coloscopie. On a les cadeaux qu’on mérite. Aux admissions en endoscopie, l’infirmière s’est confondue en excuses après m’avoir reconnu. J’ai failli lui répondre que j’étais Olivier Niquet.

« Il faut regarder le chat blanc, pas le chat noir », dit souvent ma mère. Nous avons fait un compromis. Le chat est gris. On dirait un tapis de bain. Je le remarque avec la plus grande affection.

Dire que j’étais réfractaire à l’idée d’accueillir un chaton dans la maison relève de l’euphémisme. Lorsque cette idée saugrenue a germé dans l’esprit de Fiston, à l’automne, deux camps rivaux se sont aussitôt formés dans la famille. Les enthousiastes et les sceptiques (un autre euphémisme).

Je n’ai jamais eu d’animal de compagnie quand j’étais petit. Pas le moindre poisson rouge n’est entré dans la maison de mes parents. Je me souviens d’une petite souris que j’ai pu tenir dans la paume de ma main et nourrir pendant une récréation, à l’école Saint-Léon, dans la classe de première année de madame Diane. Ce fut ma seule incursion au Royaume des animaux avant l’âge adulte (hormis l’émission de télé présentée par la Mutuelle d’Omaha).

À l’université, dans mon premier appartement, j’ai offert à ma blonde un lapin nain qu’elle a nommé Podouchka (« oreiller », en russe). J’avais pour lui un délicieux surnom : Civet (« ragoût », en français). En tchèque, padouchka – ainsi qu’on le prononçait – se traduit aussi par « scélérat ». Le lapin a rongé les fils électriques jusqu’à faire craindre un incendie.

J’ai habité en colocation avec un ami qui a toujours eu des chats… qui ont toujours deviné, par instinct, que je n’étais pas leur allié naturel. « Il va t’attendrir. Un peu de zoothérapie, ça va te faire du bien ! », m’a-t-il écrit cette semaine, lorsque je lui ai envoyé une photo de notre chaton.

Le seul animal qui avait été toléré jusqu’ici dans notre maison, depuis deux décennies, est un poisson Betta bleu du nom de Chewing Gum. On l’a remplacé subrepticement par un autre poison bleu aussi bêta après son décès inopiné. Fiston n’y a vu que du feu. Chewing Gum 2 a aussi terminé ses jours dans les canalisations de la Ville de Montréal.

Je ne suis pas une « personne à chat », comme dirait Kristen Roupenian (l’auteure d’une fameuse nouvelle, Cat Person, publiée il y a cinq ans dans le New Yorker). « Bien sûr que t’es une cat person, comme toutes les BONNES personnes ! », a décrété vendredi une amie, qui a bien sûr un chat. « Un gars de chat », moi ? Voyons donc…

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Loki, le nouveau chaton de notre chroniqueur Marc Cassivi

Pour éloigner Fiston de sa console de jeux vidéo, je suis prêt à revisiter cette idée reçue sur ma personnalité. Et sacrifier quelques meubles aux griffes d’un bébé félin. Je fais déjà mon deuil du divan en cuir du salon. J’espère seulement que l’engouement de Fiston pour son chaton sera plus durable que son intérêt pour le synthétiseur que je lui ai acheté à fort prix il y a deux Noëls…

Il a un peu plus de deux mois. Dans sa première famille d’adoption, on l’appelait Monsieur Le Gris. J’ai milité sans succès pour Grizou ou Zizou, trahissant mon inclination pour le soccer français. Fiston a plutôt choisi Loki, du nom de l’un de ses personnages préférés de Marvel. Si d’aventure on adopte sa sœur, on l’appellera Sylvie (les « vrais savent », comme on dit).

On a fait le grand ménage de la maison en prévision de son arrivée cette semaine. Elle n’avait pas été aussi bien rangée depuis deux ans environ. Ma blonde a dû se soumettre à l’équivalent d’un entretien d’embauche ou d’une enquête de crédit de la part de la SPCA, afin de s’assurer que Monsieur Le Gris avait été confié à un foyer stable, aimant et sûr. J’aurais sans doute été recalé si on m’avait interrogé. On aurait envoyé les inspecteurs à mes trousses.

Il faut dire que ce ne sont pas les foyers qui manquent pour accueillir des animaux de compagnie depuis le début de la pandémie. En septembre dernier, selon un sondage Léger commandé par l’Association des médecins vétérinaires du Québec (AMVQ), plus de la moitié des ménages québécois (52 %) hébergeaient un chat ou un chien. Une première. L’essentiel de l’augmentation provenait d’ailleurs de l’adoption de chats, présents dans 36 % des foyers (comparativement à 31 % en janvier 2020) et dans 47 % des ménages avec des enfants.

Selon une étude de l’AMVQ réalisée dans la foulée auprès de quelque 700 Québécois ayant adopté un chat ou un chien entre le 1er avril 2020 et le 1er octobre 2021, la première expression qui leur vient à l’esprit lorsqu’on leur demande ce que représente pour eux cet animal est « membre de la famille », suivie du mot « amour » et, pour les chats, du mot « enfant ».

Cela ne m’étonne pas outre mesure, étant donné qu’une certaine personne de mon entourage immédiat – je ne nommerai personne – s’adresse à Loki comme s’il s’agissait d’un nouveau-né. N’allez pas imaginer qu’il n’a pas réussi à éveiller chez moi une forme d’instinct paternel, avec son regard doux, son ronron de moteur à deux temps et ses petits coussinets. Je n’ai pas un cœur (complètement) de pierre.

Ce qui m’inspire cette parenthèse. Non, je ne compte pas vous entretenir désormais de Loki dans cette chronique dominicale, consacrée depuis cinq ans à la vie familiale (pour ceux qui ne l’auraient pas encore remarqué). Personne ne sait parler de ses chats comme Foglia. Je lui ai avoué un jour que je me méfiais de ceux qui préfèrent les animaux aux gens. Il m’a jeté un regard réprobateur au-dessus de ses lunettes, pendant que ses chats allaient et venaient chez lui comme bon leur semblait. J’ai changé de sujet. Fin de la parenthèse.

Loki miaulait faiblement derrière la porte pendant que je terminais cette chronique. Il sait déjà me prendre par les sentiments. Je l’ai laissé entrer et il est allé se fourrer le museau dans les fils sous mon bureau. Il a fallu que je l’attire avec un jouet pour le sortir de là. Je sens qu’il va m’en faire baver, celui-là.

Contre toute attente, je dois bien me l’avouer, je me laisse attendrir par cette petite boule de poils mignonne et affectueuse. Je crains bien d’être devenu ce que je n’aurais jamais cru : une personne à chat.