Les dernières semaines ont été particulièrement cruelles, vous ne trouvez pas ? On dirait que personne ne va bien et que tout le monde attrape Omicron.

Mais comment peut-on bien aller, quand on a passé un temps des Fêtes encore plus morose que l’année d’avant, que chaque jour nous avons le compte des morts de la COVID-19, que plus personne ne sait sur quel pied danser dans cette pandémie interminable ?

On voit la lessive qui s’accumule derrière les parents cernés et stressés dans les réunions Zoom. On a recommencé à s’habiller en mou, non pas pour le confort, mais parce qu’on s’en fout maintenant. Des fois, on a une soudaine envie de pleurer juste parce qu’on s’enfarge encore avec nos masques et nos lunettes embuées en revenant de la pharmacie où quelqu’un a pété les plombs devant la caissière.

Ces temps-ci, je balance entre la grosse déprime et l’envie de flipper des tables en hurlant, comme Michel Charette dans la série Le bonheur. Ça doit faire tellement de bien. Je ne m’en prendrais pas à des ados, je serais plus du genre à gueuler : « C’est qui les adultes, esti, dans cette galère ? C’est qui, les petits lapins qui font des crises de bacon juste en voyant Safia Nolin ou Hubert Lenoir à la télé ? C’est qui, les fragiles qui ont peur pour l’avenir parce que des jeunes veulent dire “iels” tandis que les 10 hommes les plus riches de la planète se sont enrichis pendant la pandémie alors que le reste de l’humanité s’est appauvrie ? »

En tout cas, ça doit faire du bien si tu flippes des tables en même temps. Mais je n’ai même plus l’énergie pour être fâchée de quoi que ce soit maintenant.

Regardez l’extrait du Bonheur

Mais sérieux, comment fait-on ? Comment on tient le coup ? Par exemple, mes collègues et moi, dans la section Arts et être, on se sent par moments dans les pages nécrologiques.

Aux morts soudaines d’artistes s’ajoutent les annulations de spectacles, les fermetures de restaurants et la détresse des travailleurs de l’industrie culturelle. Et tout ça s’écrit chacun chez soi, entrecoupé de réunions Zoom.

Ce qui nous fait tenir, c’est qu’on continue de se lever le matin en voulant faire le meilleur journal pour nos lecteurs.

N’empêche, la mort de Karim Ouellet, ça a fichu un sale coup. Comme celle de Jean-Marc Vallée dernièrement. Des personnes sans qui nos paysages sonores et visuels ne seraient pas les mêmes, avec qui on voulait que se poursuivent nos transformations intimes et esthétiques.

Nous avons appris la disparition de Karim Ouellet le lendemain du troisième lundi de janvier, dont on dit qu’il est le plus déprimant de l’année ; on l’appelle le « Blue Monday ». M’est revenu le regard brûlant de Stromae au téléjournal de TFI, quand il a chanté L’enfer. Le débat que cela a créé sur les dangers de l’info-spectacle n’a pas gommé l’intense impression qui m’est restée de ce jumelage contre nature pour les normes journalistiques, comme si le mal (ou le bien, peut-être) était déjà fait. J’ai découvert Karim Ouellet en show parce qu’il faisait les premières parties de Stromae, une bête de scène, et un monstre de la mise en scène. Quand il se tourne vers la caméra et commence à chanter « J’suis pas tout seul à être tout seul, ça fait déjà ça de moins dans la tête, et si je comptais combien on est... »

Et là, le travelling commence, et Stromae balance, avec beaucoup d’émotion dans la voix, la vérité : « beaucoup ».

Ça m’a ébranlée. Mais pour ne pas céder à la mélancolie qui ne m’apporterait rien de plus pour l’instant, j’ai besoin de riffs de guitare et de rythme. Je revisite les albums de The Black Keys et quand je suis en colère, je me retape du vieux Ministry.

Dans le livre La grande tueuse – Comment la grippe espagnole a changé le monde de Laura Spinney, on apprend qu’à la fin de la pandémie qui avait ravagé la planète, il y a eu une épidémie de dépressions post-virales. On n’a jamais trop su si cela était une conséquence du virus ou si le monde avait été traumatisé non seulement par une pandémie, mais aussi par la Première Guerre mondiale qui avait été une boucherie. Mais il y a eu, d’un autre côté, une hausse de la natalité et une coupure temporelle profonde : la médecine, la littérature, l’art et la musique n’ont plus jamais été pareils ensuite.

En tout cas, il a existé une grippe longue, comme existe aujourd’hui la COVID-19 longue, et un grand nombre de gens ont vécu avec les séquelles de la grippe espagnole très longtemps.

IMAGE TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE STYLIST

Illustration du magazine Stylist

Une amie m’a envoyé une illustration du magazine Stylist, où l’on voit une fille couchée par terre avec cette question : « Is this the most January January ever ? » Bref, est-ce que c’est le pire mois de janvier jamais vécu de mémoire ? Je ne m’avancerais pas trop, il y a février qui s’en vient qui ne donne pas sa place non plus.

Comment je fais pour tenir ? Je m’accroche à la moindre petite chose qui me fait du bien. Je fais des bouillons.

J’achète des os – de bœuf, de poulet ou d’agneau, ça ne coûte presque rien. Je les fais griller une dizaine de minutes au four, et ensuite, je les mets dans une casserole, avec du poireau, de l’ail, des carottes, du sel de céleri, de gros grains de poivre et une feuille de laurier, je recouvre d’eau et je laisse mijoter pendant des heures. Ça embaume la maison, une odeur qui promet une soupe fabuleuse. Et un os que mon chien gruge avec bonheur. Gruger son os ou ronger son frein, c’est un peu là qu’on est rendu.

À propos de bouffe, je reçois encore des courriels de gens qui cherchent une de mes recettes publiées il y a presque deux ans, quand j’ai voulu apporter un peu de réconfort au début de la pandémie. Ce doit être un signe, et ça m’a donné envie de préparer un autre petit spécial pour notre cahier Gourmand, car je ne sais plus trop quoi faire pour aider un peu en ce moment.

Mais d’ici là, j’aimerais savoir : quels sont vos trucs pour tenir bon jusqu’au printemps ?

Lisez notre article « Perfectionner trois classiques de la cuisine »