La question qu’il faut se poser n’est pas si l’on veut retourner à la normale ni même si l’on devrait retourner à la normale. Mais bien : peut-on se permettre, comme espèce – l’espèce humaine – un « retour à la normale » ? Dans l’absolu, la réponse est oui… à condition de ne pas craindre de devenir une espèce en voie d’extinction.

En lisant l’excellent dossier de mes collègues Valérie Simard et Catherine Handfield au sujet de notre rapport au « retour à la normale », j’ai retenu la conclusion de l’historienne Laurence Monnais. La pandémie devrait nous faire réfléchir non seulement à ce que la crise sanitaire nous fait regretter du passé, croit-elle, mais à ce que l’on pourrait regretter à l’avenir. Surtout si l’on ne change pas profondément nos habitudes de vie.

La professeure Monnais se demande si l’on ne peut pas, collectivement, avoir plus d’ambition que la normalité. Profiter de l’épreuve que nous traversons pour revoir notre manière de penser et d’agir, eu égard notamment aux changements climatiques et aux inégalités sociales. Afin que le retour à la normale ne soit pas un « retour en arrière ».

Cette cinquième vague nous est rentrée dedans comme un camion à ordures à 150 km/h sur l’autoroute. Justement parce que nous en étions à croire que le pire était derrière nous. À envisager la fin des hostilités covidiennes et le retour des beaux jours : les rencontres familiales, les projets de voyage, etc.

Puis est arrivé Omicron, comme un mononcle soûl dans un party de Noël, et la fête a été gâchée.

Avant la cinquième vague, je n’aurais pu affirmer avec certitude à la combientième vague nous étions rendus. La COVID-19, qui avait jusque-là gardé ses distances pour les plus chanceux, est entrée chez à peu près tout le monde à un degré de séparation. La moitié de ma famille a eu la COVID-19 pendant les Fêtes. Sans grandes séquelles heureusement.

Je ne suis pas le seul à avoir le moral dans les talons. Nous avons tous, à divers degrés, le sentiment de revivre quotidiennement le jour de la marmotte. En « temps normal », en particulier l’hiver, j’arrive à me motiver à la tâche grâce à des objectifs tout simples : la sortie prochaine d’un film en salle, un souper prévu dans un resto ou chez des amis, la préparation d’un voyage à l’été. J’ai besoin d’objectifs, autres que professionnels, pour me motiver.

Tout ça a été mis sur la glace, une fois de plus. À un moment de l’année où l’on termine nos journées de travail alors qu’il fait déjà nuit. Avant ce week-end, il m’a semblé n’avoir vu le soleil que trois fois en un mois, et seulement par la fenêtre, isolement covidien oblige. Je n’ai pas avalé de comprimés de vitamine D ni installé ma lampe de luminothérapie, par pure paresse. Je n’ai pas davantage retrouvé l’énergie – un euphémisme pour « volonté » – d’aller courir le soir dans le froid et le noir.

PHOTO NIKO TAVERNISE, FOURNIE PAR NETFLIX, VIA ASSOCIATED PRESS

Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence dans Don’t Look Up

Je me trouve dans un état de léthargie quasi permanent, alors qu’il faudrait que je me secoue les puces. Il faudrait qu’on le fasse tous. Comme bien des gens, j’ai regardé le plus récent film d’Adam McKay, Don’t Look Up, pendant le temps des Fêtes. La paresse, c’est aussi regarder la première chose que nous propose l’algorithme de Netflix sur sa page d’accueil.

Don’t Look Up n’est pas un grand film, mais c’est une satire divertissante et efficace, qui semble avoir fait œuvre utile. En sensibilisant un très large auditoire au péril des changements climatiques et aux conséquences désastreuses de la nonchalance des dirigeants politiques face à la catastrophe environnementale annoncée.

Des experts mettent en garde contre les effets du réchauffement climatique depuis des décennies, études sérieuses à l’appui. Mais il n’y a rien comme des scientifiques fictifs et aussi sexy que Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence dans une comédie burlesque, semble-t-il, pour nous convaincre que l’heure est grave. Ce que met ironiquement en scène Adam McKay lui-même.

J’exagère à peine, malheureusement. Ce que nous rappelle tristement Don’t Look Up, c’est que l’être humain a besoin de voir la catastrophe en face pour en prendre la pleine mesure et réagir (souvent trop tard). Certains refusent de se rendre à l’évidence même devant la manifestation indéniable de la catastrophe. Le bonjour à mes lecteurs antivax…

Espérer un simple « retour à la normale », c’est être nostalgique d’une insouciance qui était déjà mal avisée il y a 2 ans, 20 ans, voire 40 ans. Les catastrophes ne sont pas que des ressorts dramatiques efficaces pour des films à gros budgets destinés à distraire les masses.

Je serai le millionième à nommer ce lieu commun (j’en ressens presque une gêne) : nous sommes ce camion à ordures qui roule à 150 km/h sur l’autoroute de l’urgence climatique vers un mur de béton armé. L’actuelle pandémie est de la petite bière en comparaison de la catastrophe environnementale à laquelle nous faisons face et que nous avons contribué à créer.

La quasi-totalité des scientifiques (99 % pour être précis) s’entend là-dessus, même si une poignée de négationnistes aimeraient nous faire croire que l’humain n’y est pour rien, que les cycles climatiques nous dépassent et que nous n’avions rien à voir non plus avec la disparition des dinosaures. Logique.

Après toutes ces années, toutes ces études, toutes ces conférences et sommets, il s’en trouve encore pour confondre le climat et la météo. Non, ce n’est pas parce qu’il fait - 20 °C sur les plaines d’Abraham aujourd’hui que le réchauffement climatique est un leurre et une exagération. Ce n’est pas parce qu’il y a un record de froid en janvier, à un endroit donné, que la température moyenne observée sur l’ensemble de la planète n’augmente pas de manière très inquiétante d’année en année. Devoir le rappeler est gênant, mais moins pour moi que pour un animateur de Radio X.

On se console comme on peut. Pour tenir, nous rappellent les experts interrogés par mes collègues, il faut rester optimiste. Cette pandémie aura une fin, disent-ils en chœur. Mais qu’est-ce qui nous attend après le générique ? Espérons que ce ne soit pas un film-catastrophe.