On se réveille en pleine nuit et un souci nous vient en tête. Un courriel qui aurait pu être mal interprété, une tâche à accomplir le lendemain, quelque chose de plutôt anodin. Pourtant, ce quelque chose prend soudainement de l’ampleur. On décortique la situation, on cherche des solutions, l’angoisse monte… On se rendort agité. Puis, au petit matin, on réalise que c’était complètement niaiseux.

Je me dis souvent : « Je ne peux pas croire que je me suis empêchée de dormir pour ça ! » La semaine dernière, ce sont justement mes chroniques dans La Presse qui m’ont gardée éveillée. Je me demandais de quoi vous parler… en décembre prochain.

Le lendemain, j’ai réalisé que cette angoisse nocturne était absurde, mais que je tenais peut-être là un bon sujet : pourquoi tout nous paraît-il plus grave, la nuit ?

« On va commencer avec une petite anecdote ! Mozart voyageait en Bavière quand il s’est arrêté pour dormir dans une auberge. De sa chambre, il pouvait entendre quelqu’un pianoter, à l’étage plus bas. Puis, d’un coup, cette personne a cessé de jouer. Mozart n’arrivait plus à trouver le sommeil. Il est descendu, s’est assis au piano et a appuyé sur une seule note… celle qu’il manquait pour terminer la mélodie. Mozart est remonté et il s’est enfin endormi. »

Marcel Mazaltarim, directeur de la clinique Neurothérapie Montréal, laisse planer un silence. Je finis par le briser en lui demandant ce que cette histoire peut bien nous dire sur l’insomnie passagère… Il répond à ma question, jovial : « Eh bien, que tout ce qu’on n’a pas terminé dans la journée peut venir nous perturber la nuit ! »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marcel Mazaltarim, directeur de la clinique Neurothérapie Montréal

Selon le chercheur, ce qui est laissé en plan peut revenir nous hanter. Et si ces petites tâches prennent parfois des proportions exagérées, c’est en partie parce qu’on est très peu sollicité. « On est seul, souligne-t-il. Il y a peu de stimuli visuels, de sons ou d’éléments auxquels penser, autres que la note manquante… »

(J’aime bien quand on compare mes nuits à celles de génies.)

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Le cerveau étant infiniment complexe, les pensées intrusives peuvent être analysées sous plusieurs angles. Mélanie Vendette, neuropsychologue clinicienne à la clinique des troubles du sommeil de l’hôpital du Sacré-Cœur, m’en propose un autre : on n’est vraiment pas bon pour résoudre des soucis, à 3 h du matin…

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Mélanie Vendette, neuropsychologue clinicienne à la clinique des troubles du sommeil de l’hôpital du Sacré-Cœur

De nombreuses études démontrent que la région du cerveau responsable du raisonnement logique, le lobe frontal, est déconnectée en pleine nuit. Ses interconnexions avec le reste de l’organe sont diminuées. Notre cerveau n’est donc pas fait pour réfléchir à des problèmes, à ce moment-là. C’est ce qui nous permet de dormir !

Mélanie Vendette, neuropsychologue clinicienne à la clinique des troubles du sommeil de l’hôpital du Sacré-Cœur

Puis, reviennent les fameuses tâches laissées en plan… La neuropsychologue me dit qu’aujourd’hui, on est souvent trop occupé pour prendre le temps de digérer ce qui nous dérange. Un souci fait surface et hop, on le balaie sous le tapis pour passer à la prochaine mission ! Pour garder le rythme, on ne se permet pas d’encaisser l’émotion ou de réfléchir à la suite. Or, notre cerveau se fait un devoir de dégager du sens des informations reçues… Et la nuit, il fait le ménage. « S’il y a eu des blocages pendant la journée, le cerveau va essayer de les traiter », résume-t-elle.

D’où l’importance de se donner le luxe du temps, si on veut bien dormir. Mélanie Vendette parle même de planifier des moments pour ruminer ! Elle appelle ça du « worry-time ». C’est plus facile de retrouver le sommeil quand on sait que le lendemain, on aura du temps pour cogiter et pour s’en faire… L’essentiel, selon elle, c’est d’éviter de succomber aux pensées qui émergent, la nuit. Autrement, le cerveau cherchera à en faire une habitude. S’il en vient à croire que la nuit est la meilleure fenêtre pour réfléchir à nos problèmes, il va s’en emparer.

Parlez-moi d’un bon allié !

– Et vous avez un conseil pour ces moments où je me mets à paniquer parce que je suis en train de paniquer au lieu de dormir, Mélanie ?

Elle rit avec compassion (j’aimerais d’ailleurs la remercier de me faire sentir comprise), avant de me répondre qu’il faut briser ce cercle vicieux en sortant du lit.

– On doit éviter que notre cerveau associe la chambre à coucher à l’éveil et le lit à l’angoisse. On peut quitter la pièce et se changer les idées avec une activité calme. On peut aussi se répéter que c’est normal, des fois, de mal dormir… qu’au fond, ce n’est pas grave !

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Le cerveau est électrique, me rappelle Marcel Mazaltarim : « Il y a des ondes lentes et des plus rapides. Lorsqu’on se couche, on est censé se mettre automatiquement en mode lenteur. Or, si des pensées viennent nous fatiguer, des ondes plus rapides perturbent notre sommeil. Notre cerveau ne réussit pas à se mettre en mode récupération. Heureusement, il y a toutes sortes de techniques pour y revenir : faire de l’exercice physique, se coucher à la même heure, ne pas manger trop tard, méditer… Mais ce que j’aimerais que les gens retiennent, c’est qu’il faut essayer de boucler nos tâches de la journée ou de les garder consciemment pour le lendemain. Facile à dire, mais moins facile à faire, j’en conviens ! »

J’estime donc que deux options s’offrent à moi, si je veux espérer dormir à poings fermés : planifier des moments précis pour réfléchir à mes chroniques de décembre ou toutes les écrire avant d’oser retourner me coucher…

Merci, la science. Merci, Mozart.