Si vous croisez des gens qui marchent sur le mont Royal avec une chandelle à la main, ce 19 septembre, sachez qu’il s’agit des membres de la Société psychédélique de Montréal. Oh, et que le 20 septembre marque la Journée internationale des champignons magiques…

Si le cannabis jouit de son 20 avril depuis quelques décennies déjà, la fête des champignons hallucinogènes est pour sa part toute récente. C’est en 2015 que le militant américain Nicholas Reville a créé cette journée d’éducation à la psilocybine, l’ingrédient actif des fameux champignons. Et à Montréal, cette année, c’est sur la montagne qu’on s’y préparera. Curieuse de connaître les motivations du groupe derrière l’évènement (et hautement intriguée par le nom « Société psychédélique de Montréal »), j’ai donné rendez-vous à la directrice exécutive de l’organisation dans un café.

Comme on s’apprête à parler de substances illégales, je propose à Roxanne Hallal de prendre une table un peu à l’écart. Elle rit et décline gentiment mon offre. Son nom, sa photo et sa bio (elle étudie à la maîtrise en sexologie) sont sur le site web de l’organisation. Elle ne se cache pas. Au contraire, c’est en s’affichant qu’elle juge contribuer à changer le regard que la population porte sur les personnes qui consomment des drogues psychédéliques.

Il faut dire que de moins en moins de gens se cachent. Silicon Valley carbure aux microdoses d’hallucinogènes, l’Oregon a récemment légalisé les thérapies assistées par la psilocybine et il n’est pas rare de se faire offrir des champignons magiques avec notre verre de vin nature dans certaines fêtes vaguement bourgeoises (me rapportent des sources sur le terrain…). Bref, il y a un engouement pour les psychédéliques dans la société occidentale.

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Roxanne Hallal, directrice exécutive de la Société psychédélique de Montréal

Dans les milieux underground et les contre-cultures, on ne s’est jamais détournés des psychédéliques. On ne vit pas une renaissance, mais une démocratisation. Il y a de plus en plus de recherches sur les psychédéliques, ce qui rend probablement les gens plus à l’aise de parler de leur consommation.

Roxanne Hallal, directrice exécutive de la Société psychédélique de Montréal

Effectivement, plusieurs études en psychiatrie sont en cours pour établir les effets thérapeutiques de certaines drogues psychédéliques. Carrie Katz, qui anime les cercles de discussion de la Société psychédélique de Montréal, faisait d’ailleurs partie de l’équipe clinique d’une étude récemment menée dans la métropole quant aux effets de la MDMA sur le trouble de stress post-traumatique (le projet MAPS).

Or, recherche n’est pas nécessairement synonyme de démocratisation… « Je suis enchantée par l’engouement pour les thérapies psychédéliques, mais à qui seront-elles offertes ? », se demande Roxanne Hallal. « C’est super, un voyage à 8000 $ pour aller prendre de l’ayahuasca dans un autre pays ! Mais les gens que je vois dans nos évènements et qui ont connu une expérience transcendante dans un rave, ils n’iront pas dans ces retraites-là. C’est pour ça qu’on essaie de garder nos racines dans la communauté… »

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Et qui sont donc ces gens que réunit la Société psychédélique de Montréal ? En ligne, on parle d’un bassin de 1500 personnes âgées d’environ 20 à 70 ans qui s’intéressent aux effets de la conscience altérée, selon la directrice de l’organisation : « Pour beaucoup d’entre elles, ça passe par les psychédéliques, mais ça peut aussi être par la méditation pleine conscience, les expériences de mort imminente et la respiration holotropique [technique d’exploration intérieure basée sur le souffle et des séquences musicales]. »

Ces états de conscience altérés auraient le potentiel de nous faire voir le monde d’une nouvelle manière.

« Ce qui peut entraîner des chamboulements dans nos valeurs, nos objectifs de vie ou notre santé mentale… Pour le meilleur et pour le pire », précise Roxanne Hallal.

Commençons par le meilleur. Selon la directrice, les drogues psychédéliques peuvent aider des individus à se reconnecter à leurs émotions, se divertir, accroître leur créativité, voire améliorer leur état de santé mentale. En fait, tout dépend de la personne qui en consomme et du contexte dans lequel elle se trouve.

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Carrie Katz anime les cercles de discussion de la Société psychédélique de Montréal

« En ce moment, beaucoup de gens associent aussi les psychédéliques à la croissance personnelle et à la guérison de traumatismes », ajoute Carrie Katz, coach en intégration psychédélique jointe au téléphone. Celle qui s’occupe également du club de lecture de la Société souligne que ses membres sont en train de lire The Body Keeps the Score, un essai du psychiatre Bessel van der Kolk au sujet des traumas : « Ça rejoint beaucoup les intérêts actuels de notre communauté. »

Passons au pire, maintenant.

« Comme les médicaments, les psychédéliques ne sont pas pour tout le monde, insiste Roxanne Hallal. J’ai moi-même eu des troubles de santé mentale amenés en partie par la consommation de drogues. Et une chance que j’étais bien entourée pour me sortir de ces gouffres momentanés ! Changer de perspective sur notre vie, ça peut nous challengerIl ne faut pas prendre ça à la légère. »

Étienne Billard, trésorier de la Société psychédélique de Montréal et chercheur postdoctoral à l’Université McGill, considère d’ailleurs que l’éducation au sujet de ces drogues devrait être une priorité dans notre société.

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Étienne Billard, trésorier de la Société psychédélique de Montréal

Statistiquement, si de plus en plus de gens consomment des psychédéliques, il y aura de plus en plus d’expériences traumatisantes. Elles sont assez rares, mais il ne faut pas les écarter. C’est pour ça qu’il faut éduquer les consommateurs, les parents et les éducateurs, mais aussi les premiers répondants ! Tous ceux qui, souvent, ne savent pas trop quoi faire quand ils interviennent auprès d’une personne qui a consommé.

Étienne Billard, trésorier de la Société psychédélique de Montréal et chercheur postdoctoral à l’Université McGill

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Revenons à la célébration de ce dimanche, au cours de laquelle les participants se prépareront à la Journée internationale des champignons magiques. Les marcheurs seront-ils drogués ? « Je le leur déconseille vraiment, me répond Roxanne Hallal en riant. Ce n’est pas du tout un contexte propice à ça ! » En fait, le groupe aura simplement assisté à des conférences avant d’entamer sa promenade sur le mont Royal.

On ne consomme jamais pendant nos évènements. La Société intervient surtout avant et après la consommation.

Roxanne Hallal, directrice exécutive de la Société psychédélique de Montréal

Cet avant passe par des ateliers sur la réduction des méfaits, lors desquels les bénévoles abordent des enjeux de sécurité et répondent aux questions des participants. L’après, lui, s’incarne dans des cercles d’intégration.

« On invite les personnes à discuter des expériences qu’elles ont vécues dans un espace sans jugement, m’explique Roxanne. Par exemple, on pourrait se demander ce qu’on a découvert en consommant une drogue et qu’on souhaite appliquer au quotidien. Disons qu’en prenant du LSD, j’ai réalisé que les oiseaux m’apaisent… Pourquoi ne pas faire un détour de deux minutes pour traverser un parc et observer la nature, en me rendant au travail, à partir de maintenant ? »

Et le futur, lui ? Comment l’entrevoient les membres de la Société psychédélique de Montréal ? Roxanne réfléchit un instant. « Tu vois les crèmes que tu peux acheter sans ordonnance, mais qui sont derrière le comptoir du pharmacien ? C’est ce que je souhaite pour les drogues ! Que tu aies à parler à une personne pour en consommer, mais qu’elle ne te juge pas. Qu’elle soit plutôt là pour te renseigner. En ce moment, mon pharmacien peut me dire : “Ne prends pas de jus de pamplemousse avec ton médicament.” Et s’il pouvait aussi me dire : “Ne prends pas de MDMA avec ton antidépresseur ?” Ça sauverait des vies, une petite pharmacie comme ça… »

Chose certaine, si j’en étais la gérante, je mettrais des dépliants de la Société psychédélique de Montréal sur le comptoir.

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