Quand j’étais ado, j’entendais des baby-boomers, alors autour de la cinquantaine, parler de la vieillesse. Le ton était souvent une fin de non-recevoir. « Plutôt crever que de me faire placer. » « Si je perds mes facultés, débranchez-moi. » « S’il me reste un bras valide, je frappe le premier clown qui entre dans ma chambre. » « Promets-moi que tu viendras me faire fumer des joints dans mon foyer de vieux. »

Tout cela était dit un peu à la blague, parce que la vieillesse était encore loin. Mais elle arrive toujours plus vite qu’on pense. Il me semblait clair que cette génération qui avait révolutionné l’image de la jeunesse, avec ses cheveux longs et ses pantalons à pattes d’éléphant, allait probablement révolutionner la vieillesse aussi. Ce n’était pas la « génération silencieuse » qui l’avait précédée, et elle allait conserver jusqu’à la fin la puissance de son poids démographique qui pèse sur les soins de santé et notre avenir collectif.

Il se fomentait là des trucs qui allaient advenir, comme la légalisation du cannabis et l’aide médicale à mourir. Il reste maintenant à définir comment on veut vivre sa vieillesse, alors que la pandémie a révélé au grand jour un système de CHSLD qu’on savait déjà défaillant et un business des RPA pas mal florissant. Selon une étude de la SCHL, environ 18 % des personnes âgées de 75 ans et plus vivaient dans des résidences pour aînés au Québec en 2020, quand cette proportion varie entre 5 et 10 % dans les autres provinces.

Qu’est-ce qui explique cette tendance lourde ? Pourquoi préférons-nous plus qu’ailleurs regrouper les vieux avec les vieux alors que la plupart peuvent très bien vivre dans leurs appartements et leurs collectivités, moyennant un petit coup de pouce ?

Mon chum travaille auprès de deux personnes âgées d’environ 85 ans comme aide domestique depuis le début de la pandémie. Cela ne devait être que de courte durée, parce qu’elles s’apprêtaient à aller vivre en RPA. Elles ont changé d’idée en voyant les gens confinés dans leurs résidences et l’armée débarquer dans les CHSLD. Malgré les limitations dues à leur âge et leur état de santé, elles veulent rester chez elles. Débrouillardes, elles sont entrées dans un système de soins à domicile qui me dit que si on y met l’effort, vieillir pourrait se passer autrement. Tous les jours, elles reçoivent des visites, de leur aide domestique à l’infirmière du CLSC, en passant par l’ergothérapeute, la travailleuse sociale, la femme de ménage et le livreur de médicaments de la pharmacie. Elles font leur épicerie et leurs achats sur l’internet. Elles ont traversé la pandémie probablement mieux que si elles avaient été en résidence, pour laquelle de toute façon elles ne pourraient probablement plus se qualifier avec les services dont elles ont besoin.

Le sort des aînés dans notre société qui devra affronter ce défi démographique me semble trop criant pour laisser ça seulement entre les mains des plus jeunes – ils ont une vision déformée de la vieillesse, qu’ils ne côtoient pas assez parce qu’on la cache. Pourtant, elle fait vivre les théâtres, les musées et les restaurants. Quand je vois mon voisin, M. Lajeunesse (qui porte bien son nom), faire encore du bénévolat à 87 ans, mon beau-père de 77 ans s’occuper seul de sa maison depuis qu’il est veuf, ou ma mère et ses copines faire le party plus tard que je ne le fais moi-même, j’espère les garder auprès de moi le plus longtemps possible, autant qu’ils espèrent rester chez eux. Parce que, merde, ils sont cool, et j’ai besoin de savoir qu’on peut le rester toute sa vie. Je n’arrive pas à voir ces gens-là dans des endroits où on va leur proposer du bingo et du Michel Louvain (paix à son âme), quand ils ont carburé aux Rolling Stones et Jefferson Airplane en prenant de l’acide.

Ils vont devoir imposer leur vision de leurs vieux jours parce que notre regard sociétal est périmé, je crois.

En lisant l’échange entre Louise Forestier et Réjean Hébert dimanche dans La Presse, je sens poindre une révolte. Les prémices d’un combat pour une vieillesse dans la dignité, le plus longtemps possible chez soi. Et j’ai envie de dire : « Luttez, boomers. » Une dernière fois. De façon un peu égoïste, je pense aussi que je pourrai profiter des retombées quand ce sera mon tour. Et je veux que Louise Forestier puisse continuer son Osstidcho en passant le balai chez elle.

Lisez l’échange de Louise Forestier et du Dr Réjean Hébert