La scène se passe à l’aéroport Montréal-Trudeau, un peu avant la pandémie. Une jeune femme se déplace vers sa porte d’embarquement en tenant en laisse un gros chien, un « animal de soutien émotionnel » selon l’affichette fixée au cou de celui-ci. Subitement, sans le moindre signe précurseur, le chien se précipite en aboyant sur un homme en fauteuil roulant qui passe à côté.

Si les chiens d’assistance, comme les chiens-guides, sont dressés par des professionnels pour accomplir des tâches spécifiques liées au handicap de leur maître, ce n’est pas le cas des animaux de soutien émotionnel. Plusieurs incidents et de nombreux excès ont amené les autorités américaines et canadiennes à remettre en question la présence de ces derniers dans les avions.

La décision est tombée au beau milieu de la pandémie, alors que les aéroports étaient encore vides et que les avions étaient cloués au sol : au Canada et aux États-Unis, les lignes aériennes ne sont plus tenues d’accepter en cabine, sans frais, les animaux de soutien émotionnel. Elles doivent toutefois continuer à accueillir les chiens d’assistance dressés par des professionnels. Plusieurs transporteurs ont rapidement modifié leurs politiques en conséquence, comme Air Canada, WestJet, Delta, American et United. Il n’est plus possible de monter à bord des appareils de ces compagnies avec un animal de soutien émotionnel. Celui-ci doit voyager en soute, comme les autres animaux domestiques.

D’autres transporteurs, comme Air Transat et Porter, continuent d’accepter les animaux de soutien émotionnel en cabine, mais uniquement s’il s’agit de chiens et si un professionnel de la santé confirme que le passager souffre d’un trouble mental ou émotionnel reconnu.

C’est toutefois ce genre de mesures qui a entraîné des excès aux États-Unis. Des firmes ont commencé à offrir frauduleusement de tels billets médicaux à des passagers qui ne souffraient pas de troubles mentaux ou émotionnels, mais qui ne voulaient pas voir leur animal de compagnie prendre le chemin de la soute à bagages.

Il y a un problème plus grave. N’étant pas dressés par des professionnels comme les chiens d’assistance, certains animaux de soutien émotionnel peuvent présenter des comportements répréhensibles.

Or, plusieurs personnes qui dépendent de chiens-guides ont de sérieuses préoccupations à ce sujet.

Un dressage rigoureux

Carole Giguère, qui vit avec un handicap visuel et qui a longtemps compté sur un chien-guide, explique qu’un animal mal dressé peut déstabiliser un chien d’assistance.

« Lorsque le chien-guide est déconcentré, il peut avoir des comportements qui peuvent mettre la personne aveugle dans une situation non sécuritaire », affirme-t-elle.

Elle rappelle que les chiens-guides passent à travers un sérieux dressage dans des écoles reconnues.

« Ils ne vont pas mordre, ils ne vont pas sauter sur les gens. Ils ont été évalués avec un degré zéro d’agressivité. »

Mme Giguère, de l’Association des personnes handicapées visuelles de l’Outaouais, note que les personnes qui reçoivent un chien d’assistance doivent elles-mêmes suivre une formation de trois à quatre semaines.

« On nous apprend comment intervenir de façon efficace avec nos chiens et avec les autres chiens. Le monde des aveugles est un petit monde : quand on se croise, c’est fréquent qu’il y ait deux, trois, quatre chiens autour de nous. Nous devons apprendre quels sont les comportements à adopter pour ne pas nous déranger mutuellement, pour ne pas provoquer les autres chiens. »

Les chiens d’assistance dressés peuvent venir en aide aux aveugles, mais aussi aux malentendants, aux autistes ou aux victimes du syndrome de choc post-traumatique.

Une question de sécurité, selon les transporteurs

L’Office des transports du Canada a organisé une consultation au sujet des animaux de soutien émotionnel en 2019 et au début de 2020 dans le cadre d’une réforme de son Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapées.

Dans son document de discussion, l’Office rapportait que des transporteurs se préoccupaient des questions de sécurité et d’hygiène liées aux animaux de soutien émotionnel.

« Ils ont décrit des situations où des animaux non dressés mordaient et se comportaient agressivement envers le personnel, les voyageurs et les chiens d’assistante dressés, écrivait l’Office. Ils ont également rapporté que les animaux non dressés se soulageaient souvent de façon inappropriée durant le déplacement. »

Les transporteurs se demandaient aussi comment concilier les demandes des voyageurs qui avaient un animal de soutien émotionnel et les voyageurs qui souffraient de graves allergies.

Le Department of Transportation des États-Unis a tranché en décembre 2020 en cessant de considérer les animaux de soutien émotionnel comme des animaux d’assistance. L’Office des transports du Canada a suivi l’exemple quelques mois plus tard.

La décision n’a pas plu à tous.

« C’est de la discrimination pure et simple », a clamé Prairie Conlon, directeur clinique chez CertaPet, une entreprise américaine qui offre des consultations et fournit des certificats médicaux aux passagers qui ont besoin d’un animal de soutien émotionnel