Dans leur cabinet et sur le terrain, ils voient passer des cas de tout poil. Des larmes, des rires, des complicités : les vétérinaires en ont long à raconter sur nos amis les bêtes, tout autant que sur les joies et les peines de leurs propriétaires. Cette semaine, deux professionnelles évoquent des séances d’euthanasie qui les ont marquées.

C’est l’un des défis quasi quotidiens des vétérinaires en cabinet : tout faire pour sauver des vies, mais aussi savoir comment et quand offrir le Grand Voyage.

Un aspect à peine survolé dans le cadre de leurs études, alors qu’en plus des animaux à gérer, il faut aussi composer avec les émotions des propriétaires. « Au début, c’était affreux, je ne savais pas comment parler aux gens, ça se passait plus ou moins bien, puis j’ai appris », témoigne Céline Leheurteux, vétérinaire à Saint-Louis-de-Gonzague, en Montérégie. « Les euthanasies, ce sont des moments riches en humanité. Les gens sont hyper reconnaissants, la relation humaine nous nourrit », dit-elle, précisant qu’un professionnel peut pratiquer de 100 à 500 injections létales annuellement. Mais ce geste répété n’en fait pas des machines à toute épreuve pour autant.

C’est la gorge serrée que la Dre Leheurteux évoque une euthanasie pratiquée il y a quelques années. Dans sa salle d’attente, une mère et sa jeune adolescente, avec une boîte à chaussures bellement décorée sur les genoux. Un chaton ? Un chiot ? Non, un rat. Un simple rat. Mal en point.

Les rongeurs étant rarement de passage en clinique, la vétérinaire doit rapidement plonger dans ses livres pour retrouver la formule adéquate, tout en appliquant sa recette psychologique éprouvée pour encadrer cette jeune fille très émotive. Néanmoins, la scène lui renvoie sa propre adolescence au visage.

Les ados avec des animaux, ça me touche tout le temps, je sais à quel point c’est une présence dans leur vie, comme ça l’a été pour moi.

La Dre Céline Leheurteux

Avec toutes les précautions du monde, elle explique le processus, étape par étape. Puis passe à l’acte. Les larmes coulent à flots, les plaintes sont déchirantes… bien plus que ne l’aurait pensé la vétérinaire. Entre deux sanglots, inconsolable, l’adolescente raconte l’affectuosité de son amie à museau, leurs liens, comment elle lui a appris à nager. « Mon cœur s’est serré, j’étais tout à l’envers », se souvient-elle. Car elle a vite compris que ce n’était pas qu’un simple rat.

Sauvé par des rats

De fil en aiguille, la mère de la jeune fille lui confie comment le rongeur avait aussi, en retour, enseigné à nager à l’enfant : il lui avait été donné dans le cadre d’un projet, couronné de succès, pour mieux vivre le deuil de son père, survenu deux ans auparavant. Ne pas la laisser couler, noyée dans sa peine. « Le rat qui sauve l’homme… Il n’y a pas d’homme comme un animal pour éponger les émotions… », lance la vétérinaire, doublement ébranlée par la situation.

Le petit rat partira ainsi, dans sa boîte à chaussures, elle-même glissée dans une housse funéraire conçue par la médecin. Cette dernière, chagrinée de voir les dépouilles de nos compagnons échouer dans de vulgaires sacs poubelles, a en effet mis au point une série de housses mortuaires, Euthabags, pour préserver leur dignité.

D’autres poignantes histoires d’euthanasie, la Dre Leheurteux en a plein ses tiroirs à pharmacie. Elle pourrait tout aussi bien vous parler de ce chien, condamné alors qu’il avait sauvé sa propriétaire quelques années auparavant, en griffant à répétition un point précis sur son sein – une tumeur s’y était développée, alors que des médecins n’avaient rien détecté. Ces récits, la vétérinaire souhaiterait les consigner dans un ouvrage, un jour.

« À sa place »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La Dre Jeanne Morency se souvient de l’une de ses premières euthanasies, qui a eu lieu en présence de jeunes enfants. Un moment marquant dans sa jeune carrière.

Contrairement à la Dre Leheurteux, la Dre Jeanne Morency entame sa carrière. Fraîchement diplômée, elle s’est retrouvée confrontée à l’une de ses premières euthanasies en 2019, aux urgences du Centre vétérinaire Rive-Sud. Une famille entière était venue assister aux derniers instants d’un vieux shih tzu très malade, dont deux jeunes enfants. Le premier lui avait confectionné un bracelet rituel, l’autre avait esquissé un dessin du chien endormi, lui souhaitant un bon repos.

« On ne sait jamais comment les enfants vont réagir, mais dans ce cas-ci, c’était une bonne chose que toute la famille soit présente et c’était un beau moment avant d’en être un triste », raconte la jeune vétérinaire, fortement émue. Malgré les larmes, tout s’est bien déroulé et, après l’acte, la femme l’a remerciée à part, lui assurant qu’elle était « bien à sa place » dans la profession. Une récompense attribuable aux vertus de la communication, adaptée aux enfants, et à l’empathie de la médecin, primordiale. La Dre Leheurteux, forte de son expérience, a d’ailleurs insisté sur le fait que les vétérinaires marchent souvent sur la mince ligne séparant empathie et sympathie.

La Dre Morency précise cependant qu’il n’est pas toujours recommandé de faire assister les enfants aux euthanasies. Mais un travail de communication fait en amont par les parents, si l’on voit que la santé de l’animal décline, peut grandement influer sur le déroulement. « Tout dépend s’ils ont abordé le sujet avec leurs enfants et comment. La discussion préalable fera la différence. »

Les vétérinaires ne doivent pas s’oublier non plus, car eux aussi sont éprouvés, malgré leur carapace. « En ce moment, on parle beaucoup de santé mentale dans le milieu de la médecine vétérinaire, avec des accumulations excessives », alerte-t-elle.