Les générations futures ont-elles des droits ? Cette question, sur laquelle les tribunaux sont appelés à se pencher un peu partout dans le monde, est au cœur des discussions du premier Sommet international de l’écocitoyenneté, qui se tient à Montréal jusqu’à ce vendredi, sur fond d’incendies de forêt.

Organisé par la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais et Oxygène, avec le soutien de l’UNESCO, l’évènement de deux jours réunit 90 conférenciers au Palais des congrès de Montréal, dont l’avocate et militante Erin Brockovich⁠1, l’ambassadeur du Canada à l’ONU Bob Rae et l’ancien secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon.

Sur place également, des jeunes préoccupés par leur avenir et par celui des gens qui viendront après eux. « C’est difficile de m’imaginer qu’il va y avoir des générations futures avec tout ce qui se passe en ce moment », souligne Manuel Sauvé Chevalier, qui fréquente le collège Lionel-Groulx.

On voit à quel point le changement climatique s’accélère. New York et Washington sont enveloppés de fumée à cause des incendies de forêt en Abitibi. Ça me fait paniquer. J’ai l’impression que ma génération est peut-être la dernière, puis qu’il faut se battre pour ne pas l’être.

Manuel Sauvé Chevalier, militant pour le climat qui participe au Sommet

Avec Anaïs Gousse et Yuna Godefroid, il participe au sommet pour présenter Après nous, un documentaire diffusé sur Unis TV qui expose les réflexions et les actions climatiques de jeunes âgés de 13 à 21 ans. Devant la perspective d’un avenir assombri par les changements climatiques et la perte de biodiversité, ils estiment que leurs droits et ceux des générations à venir sont lésés.

Voyez le documentaire Lisez notre compte-rendu du documentaire

À commencer par le droit à la vie, cité dans le premier article de la Charte des droits et libertés de la personne. « C’est illogique qu’on bafoue ce droit en laissant un héritage aux futures générations, à ma génération, qui est celui d’une planète qui est de plus en plus dévastée », argue Manuel.

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Yuna Godefroid lors d’une manifestation pour le climat à Montréal en 2022

Devant leurs mères, qui les accompagnaient au sommet, ils affirment ne pas en vouloir aux générations passées. « Je ne pense pas que ce soit la faute d’une génération en particulier. C’est plus contre le gouvernement et les décisions qui ont été prises », dit Yuna, 15 ans, qui aimerait voir le droit de vote abaissé à 16 ans pour qu’elle puisse bientôt faire entendre sa voix, en dehors des manifestations auxquelles elle participe.

Un combat juridique

Cette lutte se transporte aussi devant les tribunaux à travers le monde. Aux Philippines il y a 30 ans et, plus récemment, en Allemagne, les tribunaux ont reconnu des droits aux générations futures dans des actions liées à l’environnement. Mais le chemin est tortueux. L’an dernier au Canada, la Cour suprême a refusé d’entendre l’organisme Environnement Jeunesse, qui souhaitait intenter une action collective contre le gouvernement de Justin Trudeau, l’accusant d’inaction dans la lutte contre les changements climatiques.

Parce qu’il vise à protéger ceux et celles qui ne sont pas encore nés, l’intégrité humaine et celle des écosystèmes, le droit des générations futures nécessite un changement de paradigme. « Le droit tel qu’il est actuellement pensé et mis en œuvre devient insuffisant », affirme la juriste Émilie Gaillard, maître de conférence à Sciences Po Rennes et spécialiste du droit des générations futures.

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Émilie Gaillard, maître de conférence à Sciences Po Rennes et spécialiste du droit des générations futures

Il y a des risques existentiels auxquels on doit faire face, c’est-à-dire des risques de civilisation, des enjeux qui relèvent d’un contrat de société.

Émilie Gaillard, spécialiste du droit des générations futures

Devant l’urgence climatique, le droit ne peut plus être convié a posteriori, poursuit-elle. « Si la catastrophe s’est réalisée, c’est trop tard. » Le fait qu’une génération n’existe pas encore ne doit pas être un frein à la reconnaissance de ses droits fondamentaux tels que le droit à la vie, le droit à la santé et le droit de naître sans être contaminé, croit celle qui forme juges et avocats et accompagne des défenseurs des droits de l’homme.

« La semaine dernière, on a adopté un droit à un environnement sain au Canada, dans notre législation fédérale, a rappelé lors d’un panel Sabaa Khan, directrice générale pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki. Comment assurer un droit à un environnement sain à un pays qui brûle en ce moment ? Il faut forcer les gouvernements à repenser la manière d’implanter ce droit. »

Pris en compte dans certains traités internationaux, le droit des générations futures sera examiné prochainement par la Cour internationale de justice, qui, à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies, devra rendre un avis consultatif sur les obligations des États en matière de protection du climat pour les générations actuelles et futures. Le Tribunal international du droit de la mer et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont également été saisis de questions similaires.

Anaïs Gousse aimerait voir les gouvernements prêter une oreille plus attentive à la parole des jeunes : « Vu qu’ils agissent pour leurs électeurs, [les dirigeants] pensent à dans quatre ans, comment ils vont se faire réélire, pas à dans sept générations. » Au pays de Galles, un commissaire aux générations futures remédie à cette vision du court terme en s’assurant que les pouvoirs publics réfléchissent à l’impact à long terme de leurs décisions.

Sept générations

Ce concept des sept générations vient de la culture autochtone. « L’idée qu’il faille prendre en compte, pour toute décision importante, l’impact que ça pourrait avoir sur les sept prochaines générations est un des rares principes qui est quasiment universel, en tout cas dans de très nombreuses nations et cultures », expose Alexandre Bacon, Innu de Mashteuiatsh et président de l’Institut Ashukan. Il présentera cette approche ce vendredi lors d’un atelier organisé dans le cadre du sommet.

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Alexandre Bacon, président de l’Institut Ashukan

Cette vision, influencée par les modes de vie nomade et semi-nomade, s’exprime par exemple lorsque les communautés autochtones négocient avec les industries minière et forestière en les amenant « à exiger des protections environnementales plus élevées que ce qu’exigeraient les droits provinciaux et fédéral ».

Si la sédentarisation forcée, les politiques d’assimilation et la mise en place de structures politiques administratives comme les conseils de bande ont insufflé au sein des communautés d’autres logiques qui prévalent parfois, « c’est un principe qui est partagé, souvent répété, et appliqué dans la mesure du possible dans différentes décisions », constate Alexandre Bacon.

Ce vendredi, les droits des générations futures seront de nouveau discutés dans le cadre d’une série de tables de travail, et par un panel auquel participeront les mairesses Valérie Plante (Montréal), Catherine Fournier (Longueuil), Julie Bourdon (Granby) ainsi que le maire Xavier-Antoine Lalande (Saint-Colomban).

1. Lisez notre entrevue avec Erin Brockovich
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  • 1993
    Année au cours de laquelle un avocat philippin a invoqué pour la toute première fois devant la Cour suprême l’arrêt de la surexploitation des forêts au nom des générations futures, créant un véritable précédent.
    Source : Univ-Droit