La Québécoise Monia Chokri a reçu à Cannes une ovation et des critiques très positives pour son film Simple comme Sylvain. Sa tenue – une robe transparente – lui a valu des articles supplémentaires dans les magazines et les journaux. Que dit ce vêtement de Cannes, des femmes et de la mode ?

La robe est signée Courrèges. Contactée, la maison de couture a répondu par courriel avoir été sollicitée par l’agent de Monia Chokri. La réalisatrice et actrice « est ensuite venue faire des essayages, à la suite desquels nous avons réalisé une robe sur mesure […] conçue dans une matière appelée « second skin » qui est l’un des tissus emblématiques de la maison », écrit Caroline Lachenal, chargée de communication pour Courrèges.

Monia Chokri n’était pas disponible ces derniers jours pour nous expliquer les raisons pour lesquelles son choix s’est arrêté sur la robe Courrèges (et son agence non plus).

Juliette Gosselin trouve que « Monia est un modèle d’élégance, de sophistication. Elle est radieuse, bien dans sa peau ». En entrevue, l’actrice note qu’elle aime elle-même beaucoup la transparence. « J’aime l’organza, qui laisse voir ce qu’il y a à travers. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE JULIETTE GOSSELIN

Juliette Gosselin dans les rues de New York, sur une photo publiée sur son compte Instagram

Sur Instagram, elle a d’ailleurs affiché récemment une photo d’elle avec un haut transparent à New York. Dans la rue, Juliette Gosselin raconte n’avoir pas observé de réactions particulières.

Sur les réseaux sociaux, c’est une autre paire de manches. Des gens ont salué le fait que des femmes comme elle se sentent assez libres pour porter et dévoiler ce qu’elles veulent, explique-t-elle. D’autres l’ont vu comme un affront. « Certains m’ont reproché le message que cela peut envoyer aux jeunes. Mais je ne peux pas être tout le temps en représentation. C’est me donner une trop grosse responsabilité. »

Juliette Gosselin ajoute qu’adolescente, elle ne correspondait pas aux critères de beauté et qu’elle était persuadée qu’elle se ferait « refaire les seins ». La mode était alors aux poitrines voluptueuses et celles pour qui « la nature en avait décidé autrement » portaient des soutiens-gorge trompe-l’œil, en quelque sorte.

Elle est restée comme elle était. La mode a changé. De se sentir assez à l’aise aujourd’hui pour porter ce qu’elle trouve beau est pour elle un pur plaisir. À l’adolescence, « j’aurais aimé voir des modèles de femmes avec des seins de formes et de tailles différentes », illustre-t-elle.

La sociologue Francine Descarries rappelle qu’il y a deux points de vue féministes. De nombreuses jeunes estiment que de se servir de son corps et de le mettre en valeur est très correct dès lors que l’on est consentante. Des féministes plus âgées, poursuit Mme Descarries, sont au contraire nombreuses à penser que de sexualiser le corps, « c’est se placer dans le regard de l’autre pour se définir ».

Arnaud Granata, président du Groupe Infopresse spécialisé en communication-marketing, a trouvé magnifique cette robe au concept tout entier tourné vers « l’aspect dénudé et transparent ». La robe permet de « deviner certaines parties de son corps », et c’est « dans l’air du temps ». « C’est très authentique, très libre, très cohérent » avec Monia Chokri, selon lui. « Cannes, c’est l’endroit où s’éclater, où on monte les marches avec des tenues qui osent. »

Une robe « très 2023 »

La crainte de l’hypersexualisation des femmes est-elle encore d’actualité ? Chantal Maillé, professeure titulaire en études des femmes à l’Université Concordia, répond que « le débat là-dessus s’est surtout centré sur les adolescentes et les enfants plutôt que sur les femmes adultes, matures et consentantes ».

« Monia Chokri est une femme intelligente qui est déjà allée à Cannes et qui savait qu’elle avait intérêt à avoir cette attention. […] Ça a marché. »

La robe est transparente, couleur chair « très 2023 », ajoute-t-elle, « mais il y a du tissu ».

Mme Maillé ne trouve pas cette robe plus provocante que des robes très courtes et hyper décolletées que l’on voit dans tant de boutiques.

Son choix n’est pas innocent. Elle y a réfléchi, elle ne s’est pas fait manipuler.

Chantal Maillé, professeure titulaire en études des femmes à l’Université Concordia

Et surtout, ajoute Mme Maillé, Monia Chokri allait à Cannes, « qui est très XXe siècle ».

Les hommes y sont en smoking, fait-elle remarquer, les femmes, en talons hauts « et l’attente au corps dénudé pour elles est un standard », souligne Chantal Maillé.

Selon Mariette Julien, professeure honoraire à l’École supérieure de mode de l’UQAM, la femme, peu importe son talent, « est encore beaucoup jugée à partir de sa capacité à séduire ».

Or, il n’est pas facile de se distinguer à Cannes, d’attirer le regard des autres et l’attention médiatique alors qu’il y a là « plein de belles femmes avec des décolletés plongeants ».

La mannequin Irina Shayk n’en est d’ailleurs plus là : c’est dans un ensemble de lingerie qu’elle s’est présentée à Cannes cette semaine.

La provocation, c’est aussi de défier les codes bourgeois et cela fait partie d’une démarche artistique, conçoit Mme Julien.

Tout de même, elle n’adhère pas « à la stratégie de mode hypersexualisée » en vogue, pas plus qu’à l’idée que cela serait le reflet d’une liberté et d’une égalité qui seraient conquises par les femmes.