Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier

Le café La graine brûlée est une oasis de couleurs et de vie. À l’intérieur, on oublie que nous sommes dans le tronçon le plus morne de la rue Sainte-Catherine Est entre les stations de métro Berri-UQAM et Beaudry. Il y a un « cocon à Nintendo » pour les familles et des étudiants de l’UQAM y travaillent jusqu’à 22 h chaque soir.

C’est un commerce qui donne espoir pour l’avenir du Village, mais notre optimisme en prend un coup quand on sort à l’extérieur.

À côté, l’ancien Yellow est vide. En face, le propriétaire du restaurant Da Silva a mis la clé sous la porte. « Tout a fermé autour de nous », se désole Marie-Ève Koué, copropriétaire de La graine brûlée.

Ses associés et elle ont ouvert le café en 2016, deux ans après celui appelé Oui mais non dans un quartier tout autre et plus tranquille, Villeray.

« Funky », oui, mais...

Pourquoi le Village ? « À cause du nom. Quand on a lancé à la blague le nom La graine brûlée, on s’est dit que le café ne pouvait ouvrir ailleurs que dans le Village. »

« On n’avait pas d’appréhension et nous étions excités à l’idée d’être sur une rue piétonne qui groove », poursuit-elle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marie-Ève Koué, copropriétaire de La graine brûlée

Marie-Ève Koué a toutefois vite constaté que le secteur est « funky », mais pas toujours pour les bonnes raisons. Des toilettes qui bouchent à cause d’une seringue sont monnaie courante, indique-t-elle. « Il ne faut pas que ça continue à se dégrader. »

D’où l’idée de la pétition1 qui prend fin ce dimanche et qui sera déposée à l’Assemblée nationale par Manon Massé, députée solidaire de Sainte-Marie–Saint-Jacques.

Les signataires demandent au ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, de créer un comité permanent intergouvernemental qui veillera aux enjeux qui menacent l’émancipation du Village.

Quelques jours après le lancement de la pétition en mars dernier par la Société de développement commerciale (SDC) du Village, l’administration de Valérie Plante a annoncé la création d’une « cellule de crise intergouvernementale » (avec la police et le réseau de la santé) pour aider le quartier. Un plan de relance du Village doit aussi être annoncé sous peu, ce qui fait suite à un forum tenu en septembre dernier.

Pourquoi la pétition ? « C’est le temps. Il y a deux vitesses », expose Gabrielle Rondy, directrice générale de la SDC.

Il y a la vitesse des commerçants qui peuvent faire faillite en un mois et celle des élus municipaux et provinciaux qui se renvoient la balle2. « Ils doivent s’asseoir ensemble. »

Tout ce qui s’écrit et se dit sur le Village depuis la disparition des boules arc-en-ciel suspendues est pratiquement négatif. La goutte qui a fait déborder le vase ? La fermeture du légendaire magasin Archambault en janvier dernier après 120 ans d’existence.

On pourrait être pessimiste face à l’avenir, car des travaux de canalisations viendront éventrer la rue Sainte-Catherine Est, mais cela viendra avec de nouveaux aménagements. « Profitons-en pour faire une rue qui peut accueillir des millions de personnes l’été, mais qui soit aussi plaisante, attrayante et sécuritaire toute l’année », fait valoir Gabrielle Rondy.

Car si la rue Sainte-Catherine Est constitue une destination touristique, c’est aussi un milieu de vie. Et ce le sera de plus en plus avec les quelque 20 000 nouveaux résidants attendus dans le quartier, grâce à des projets comme l’Esplanade Cartier, Auguste & Louis et celui des terrains de Molson.

Il y a environ un mois, la SDC a par ailleurs rencontré des promoteurs immobiliers qui construisent des projets près du Village. « On peut unir nos voix. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Gabrielle Rondy, directrice générale de la SDC du Village

« Des locaux vacants, ce sont des occasions », expose Gabrielle Rondy.

Elle voudrait voir ouvrir davantage de commerces de quartier. « Si tu n’as pas faim et tu n’as pas soif, il n’y a pas grand-chose à faire dans le Village », lance-t-elle.

Une liberté d’être

Il faut marcher dans la rue Sainte-Catherine Est (les terrasses sont installées !) entre la rue Berri et l’avenue Papineau pour voir comment le Village est à la croisée des chemins. Nos yeux sont à la fois attirés par la marquise branchée du Bar Renard, mais aussi par le feu Drugstore toujours à l’abandon.

On remarque que Tite Frette – qui vendrait des produits de microbrasseries – a fait faillite, mais que vient d’ouvrir en face la chic boulangerie Arte et Farina. Le spa médical Sabbya accueillera aussi bientôt des clients.

« La rue se transforme », dit Gabrielle Rondy.

Mais la SDC a besoin d’aide pour « protéger le Village ». « C’est un quartier extraordinaire où tout le monde peut vivre son identité », rappelle Gabrielle Rondy.

Marie-Ève Koué voudrait perpétuer tout au long de l’année ce qu’elle aime tant du Village les soirs d’été. « Une joie dans l’air et un beau mélange de gens. »

1. Consultez le site de la pétition 2. Lisez l’article « Affrontement sur le sauvetage du Village »

Le Village en dates

  • 1982 : L’ouverture des bars gais Les Deux R et du Max participe à la naissance du Village.
  • 2002 : Ouverture du Cabaret Mado, célèbre pour ses cabarets de drags.
  • 2008 : Le tronçon de la rue Sainte-Catherine Est du Village entre Berri et Papineau devient piéton l’été.
  • Mai 2019 : Motion adaptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale du Québec pour reconnaître le statut historique et la vocation du Village comme lieu de refuge et d’émancipation des communautés LGBTQ+.