(Montréal) Dans les affres du virus qui a bouleversé la majeure partie du monde, des millions de personnes, de Bogota à Berlin, ont vu à quoi pouvait ressembler la vie sur deux roues plutôt que sur quatre.

Alors même que les trajets domicile-travail et domicile-école ont chuté au plus fort du confinement imposé par la pandémie de COVID, les loisirs de plein air, et le vélo en particulier, se sont multipliés dans tous les pays, les gens cherchant à échapper à l’isolement d’une manière relativement sûre. En réponse, les villes du monde entier ont développé des pistes cyclables avec une nouvelle urgence depuis 2020.

La question est de savoir si les gens conserveront leurs nouvelles habitudes cyclistes en ces temps plus proches de la normale.

Jusqu’à présent, les données sont incomplètes et varient d’un endroit à l’autre. Mais les chiffres suggèrent que si l’on construit, les gens viendront.

Les études de cas menées par les chercheurs en urbanisme Ralph Buehler, de Virginia Tech, et John Bucher, de l’Université Rutgers, retracent ce que plus d’une douzaine de villes ont fait au cours des dernières décennies, et plus particulièrement pendant la pandémie, pour améliorer les déplacements et les loisirs à bicyclette.

Montréal, qui était déjà un leader mondial en matière de convivialité pour les cyclistes, a fait plus que toutes les autres villes nord-américaines étudiées pour développer la pratique du vélo en toute sécurité pendant la pandémie. En Europe, ce sont Londres, Paris et Bruxelles qui ont fait le plus. Mais de nombreuses autres villes dans le monde ont également saisi les occasions offertes par la crise.

« Un grand changement de paradigme est en train de s’opérer, a déclaré M. Buehler lors d’une entrevue. En matière de planification, de politique et d’ingénierie des transports, nous avons encouragé la conduite pendant près de 100 ans. Nous avons fait en sorte que la conduite soit rapide et pratique.

« Aujourd’hui, toutes ces villes et tous ces endroits reprennent une partie de l’espace et le donnent aux vélos. »

Certaines mesures ont été progressivement abandonnées au fur et à mesure que le virus s’est estompé, comme les nombreuses pistes cyclables temporaires qui sont apparues du jour au lendemain. Mais plusieurs sont restées, grâce à l’augmentation du nombre de voies dotées de barrières permanentes contre le trafic, d’artères centrales interdites aux voitures et d’autres concessions à une demande refoulée de se déplacer sans essence.

Les préoccupations environnementales ont également incité de nombreuses personnes à abandonner la voiture pour le vélo ― un choix qui, selon les chercheurs, présente des avantages évidents en termes de réduction des émissions de carbone responsables du réchauffement de la planète et de lutte contre la pollution en général.

Voici un aperçu de ce que certaines des villes les plus ambitieuses de trois continents ont fait pour le vélo avant et pendant la pandémie. Les conclusions sont principalement tirées du livre Cycling through the COVID-19 Pandemic to a More Sustainable Transport Future, de M. Buehler, le titulaire de la chaire d’affaires urbaines à Virginia Tech, et de M. Pucher, qui est professeur émérite à l’école de planification et de politique publique de Rutgers.

Montréal

Innovatrice dans le domaine du vélo urbain depuis la fin des années 1980, Montréal a été la première grande ville d’Amérique du Nord à développer un vaste réseau de pistes cyclables séparées physiquement sur la voie publique, selon le livre. Elle a également été la première à mettre en place un système de vélos en libre-service à grande échelle, avec ses vélos BIXI en 2009.

Au cours des cinq années qui ont précédé la pandémie, le réseau cyclable de Montréal a augmenté de 34 %, dépassant le millier de kilomètres. Près d’un tiers de ce réseau est constitué de pistes hors rue et une grande partie du reste est séparée en toute sécurité sur des routes partagées.

La mairesse de la ville, Valérie Plante, favorable au vélo, a facilement été réélue en 2021 sur la base d’un programme d’initiatives écologiques. Un nouveau réseau de voies cyclables express, le Réseau Express Vélo (REV), est en cours d’extension et devrait permettre de doubler en quatre ans le réseau cyclable déjà très étendu de la ville.

Washington

PHOTO CAROLYN KASTER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

En 2019, le réseau de vélo de Washington a franchi la barre des 160 kilomètres, et la part du vélo dans l’ensemble des déplacements de la ville a été multipliée par cinq.

En 2001, la capitale des États-Unis n’offrait aux cyclistes qu’un maigre réseau de cinq kilomètres de pistes cyclables, sans protection. En 2019, le réseau a franchi la barre des 160 kilomètres, et la part du vélo dans l’ensemble des déplacements de la ville a été multipliée par cinq. En 2020 et 2021, la ville a encore accéléré le rythme en construisant près de 32 kilomètres de voies protégées, beaucoup plus sûres que de simples voies marquées dans les rues partagées avec les voitures.

Bogota, Colombie

Bogota est une réussite éclatante. Selon certaines mesures, plus de 9 % des déplacements dans la capitale se font à vélo, ce qui la place dans le peloton de tête au niveau mondial et en fait un modèle que d’autres villes d’Amérique latine tentent d’imiter.

C’est ce qui ressort d’une étude publiée avant le début de la pandémie de COVID-19 par les ingénieurs civils de Bogota Daniel Rosas-Satizábal et Alvaro Rodriguez-Valencia. Ils attribuent une « augmentation remarquable du nombre de cyclistes » au leadership de la mairesse, aux groupes de défense et à une « culture latente du vélo » qui a émergé lorsque les autorités ont investi pour rendre les rues plus sûres.

Lorsque la pandémie a éclaté, la mairesse Claudia Lopez a notamment ouvert les voies de circulation aux vélos, ajoutant 85 kilomètres au réseau de pistes cyclables de la ville.

Europe occidentale

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Londres a plus que doublé le nombre de ses pistes cyclables protégées lorsque le virus est apparu, portant leur longueur totale à 260 kilomètres en un an.

Paris a vu sa fréquentation cycliste augmenter de 60 % en 2020-2021. Considérée il y a un quart de siècle comme hostile au vélo, la ville a depuis pris des mesures radicales pour inciter les gens à rouler, allant même jusqu’à subventionner un tiers du coût d’achat de 85 000 vélos électriques ou vélos-cargos entre 2009 et 2022. Les voitures ont été interdites ou reléguées à une seule voie sur certaines routes le long de la Seine, dans le centre de Paris.

Londres a plus que doublé le nombre de ses pistes cyclables protégées lorsque le virus est apparu, portant leur longueur totale à 260 kilomètres en un an. Et ce, après avoir triplé de longueur au cours de la décennie précédente. Selon MM. Bucher et Buehler, la pandémie a entraîné la transformation la plus rapide du paysage urbain du Grand Londres depuis des décennies, ce qui s’est traduit par une forte augmentation des déplacements à pied et à vélo.

En 1998, 10 % des déplacements à Berlin se faisaient à vélo, une proportion dont beaucoup de villes ne peuvent que rêver aujourd’hui. En 2018, ce chiffre est passé à 18 %. Cela s’explique en partie par le fait que Berlin est une ville composée de nombreux centres de quartier, où davantage de personnes vivent à proximité de leur lieu de travail et d’achat. Au début de la pandémie, les autorités de la ville ont accéléré la mise en place d’un plan visant à créer davantage de pistes cyclables pour répondre à la demande.

À Bruxelles, le nombre de cyclistes a augmenté de 22 % en 2020, puis a diminué en 2021, tout en restant supérieur de 14 % à celui de 2019. Cela suggère que certaines personnes qui avaient commencé à faire du vélo à l’arrivée de COVID ont abandonné cette activité, mais que d’autres y sont restées. La ville a investi 74 % d’argent en plus dans le vélo en 2020-21.

Bruxelles semble déterminée à rendre les choses plus difficiles pour les voitures dans le centre-ville. Elle prévoit d’éliminer 65 000 places de stationnement pour les voitures d’ici 2030 et reconfigure les rues centrales pour réserver les itinéraires les plus directs aux cyclistes et aux transports en commun.

New York

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New York a construit plus de 100 kilomètres de voies cyclables protégées entre 2019 et 2022.

La ville a construit plus de 100 kilomètres de voies cyclables protégées entre 2019 et 2022, les reliant généralement à des intersections protégées, et un plus grand nombre de voies cyclables régulières. Les stations d’accueil pour les vélos en libre-service CitiBike ont dépassé les 1500 à la mi-2022, contre 860 en 2019.

Pendant le pic de COVID en 2020, plus de 130 kilomètres de rues, principalement de quartier, ont été fermés aux véhicules à moteur pendant certaines heures ; ce chiffre a depuis été ramené à 32 kilomètres.

Minneapolis

Entre 2000 et 2017, la longueur des pistes cyclables de Minneapolis a plus que doublé, le nombre de cyclistes a triplé et la proportion de cyclistes gravement blessés ou tués a chuté de près de 80 %, ce qui n’est pas rare dans les villes qui ont développé leurs réseaux de manière agressive. Au cours du premier mois de la pandémie, la ville a annoncé qu’elle ajouterait rapidement 24 kilomètres de pistes cyclables, fermant de nombreuses routes à la circulation, sauf pour les résidents du quartier.

À l’instar de Montréal, de Québec et d’autres villes nordiques, Minneapolis est également une grande adepte de la bicyclette pendant les hivers rigoureux. Les chercheurs placent Minneapolis aux côtés de Denver et de Chicago parmi les villes d’Amérique centrale les plus avancées en matière d’amélioration de la sécurité des cyclistes.