Nous avons l’habitude des influenceurs qui vantent les bienfaits miraculeux ou les qualités exceptionnelles d’un produit. Sur le réseau social TikTok, une des tendances est de décourager l’achat du dernier mascara, shampoing ou fard à joues à la mode. Critique de la surconsommation ou coup de marketing ? Décryptage.

Après les influenceurs… les « désinfluenceurs »

« Vous n’avez pas besoin d’autant de rouges à lèvres. Utilisez ceux que vous avez déjà », prône une étudiante dans une vidéo vue plus de 715 000 fois sur TikTok. « N’achetez pas ce mascara », conseille une autre. Dans les dernières semaines, le mot-clic #deinfluencing a cumulé plus de 272 millions de vues sur l’application. Des internautes, en majorité des jeunes femmes, déconseillent à leurs abonnés de dépenser leur argent pour une nouvelle crème pour le visage ou la paire de souliers à la mode. Les raisons évoquées ? La qualité du produit est discutable, des solutions moins chères existent ou personne n’a besoin d’un énième fard à joues qui finira de toute façon dans le fond de la trousse de maquillage… Elles « désinfluencent », quoi.

Critiquer la surconsommation…

La tendance n’a rien de nouveau. Sur YouTube, les « anti-hauls » (vidéos dans lesquelles les créateurs de contenu expliquent pourquoi ils ont décidé de se passer d’un produit populaire) ont la cote depuis plusieurs années. « Le mouvement vise à critiquer la surconsommation encouragée en ligne et à reconnaître que ce n’est pas normal », explique Michelle Skidelsky, une étudiante ontarienne qui a publié une série de vidéos de « produits dont vous n’avez pas besoin » sur TikTok1. Pendant la pandémie, elle s’est tournée vers le magasinage en ligne comme une forme de thérapie. De son propre aveu, elle était une « dépensière incontrôlable », avec toutes les conséquences que cela entraîne pour la santé mentale, le portefeuille et la planète, et elle tente maintenant de faire des choix plus raisonnables. « Il est très facile de tomber dans le piège de l’achat en ligne avec l’idée qu’un produit nous offrira une vie meilleure, prévient-elle. Voir des vidéos comme celles-là lorsque mon problème de dépenses était à son apogée aurait pu faire une grande différence. »

… et se faire un coup de marketing ?

Qu’on ne s’y trompe pas : la « désinfluence » demeure… une forme d’influence. Ça paraît contradictoire, mais recommander ou déconseiller un produit à ses abonnés revient au même résultat : orienter les choix des consommateurs. « Les influenceurs sont excellents pour lire les tendances et ils vont assurément surfer sur cette vague de non-consommation, qui leur permet aussi de bâtir leur auditoire », estime Jean-François Renaud, professeur associé de HEC Montréal et cofondateur d’Adviso, firme spécialisée en stratégie et marketing numériques. Notons d’ailleurs que la tendance émerge dans un contexte de forte inflation et d’une baisse du pouvoir d’achat, fait remarquer la consultante en communications numériques et réseaux sociaux Nellie Brière. « C’est une récupération marketing pour que les influenceurs continuent à maintenir une forme d’engagement », note-t-elle. Et paraître plus authentiques au passage. Dans le monde de l’influence, l’authenticité et l’originalité sont la clé du succès, affirme Nicolas Bon, président de l’agence Clark spécialisée en marketing d’influence. En effet, personne ne veut s’abonner à un tableau publicitaire. « Je ne suis pas surpris par la tendance du deinfluencing. C’est authentique, c’est vrai », ajoute-t-il. Justement, Michelle Skidelsky qualifie la tendance d’influence « honnête ».

Comme un centre commercial

Maintenant, est-ce que la tendance suffira à faire changer les habitudes de consommation ? Nellie Brière en doute. Pour elle, l’application est « comme un centre d’achat où on veut tout nous vendre ». Difficile d’y résister. De toutes les applications, TikTok est le champion des achats qui se font directement sur sa plateforme. En 2023, TikTok devrait encaisser jusqu’à 15 milliards en revenus publicitaires, selon la firme d’études de marché Insider Intelligence. C’est beaucoup moins que Facebook (70 milliards) et Instagram (50 milliards), mais il s’agit de l’application avec la plus forte croissance. Également digne de mention : l’application chinoise représente 5 % des parts de l’achat publicitaire numérique dans le monde, ce qui est plus que LinkedIn, Snapchat, Twitter et YouTube réunis, souligne Jean-François Renaud.

1 Visitez la page web du compte TikTok de Michelle Skidelsky