La reine du rangement, la consultante japonaise Marie Kondo, a récemment avoué que… sa maison est en désordre. Depuis la naissance de ses enfants – et particulièrement de son troisième –, le rangement et l’organisation ne trônent plus au sommet de sa liste de priorités. Cette confidence a réjoui de nombreuses personnes qui ressentent une pression d’avoir une demeure toujours en ordre.

L’arrivée de son émission sur Netflix il y a trois ans, L’ordre des choses, dans laquelle elle visitait des familles américaines pour les aider à trier leurs choses, à les organiser et à mettre de l’ordre dans leur maison, lui avait donné une notoriété planétaire et.... avait fait beaucoup réagir. Les réseaux sociaux étaient alors inondés de commentaires la dénonçant. La série suivait la publication du livre Le pouvoir étonnant du rangement, qui s’est vendu à des millions d’exemplaires.

Elizabeth Alescio, organisatrice professionnelle et propriétaire de Mlle Range-Tout, rappelle qu’on ne peut pas prétendre « avoir une maison organisée à tout moment ». « On s’attend à voir une image parfaite en tout temps, comme sur Instagram ou Pinterest, alors que ça ne représente pas la vie de tous les jours », dit-elle.

PHOTO ALAMY STOCK, FOURNIE PAR NETFLIX

Dans son émission L’ordre des choses, Marie Kondo réorganisait la maison (et la vie...) de cobayes.

La pression est sociale, confirme la psychologue Sylvie Boucher. « C’est valorisé dans notre société d’avoir une maison bien rangée. » Une pression que ressentent davantage les femmes, ajoute-t-elle. Ce propos fait écho aux organisatrices professionnelles interrogées qui disent être contactées en majorité par des femmes, et plus particulièrement des mères de famille.

C’est aussi une question d’identité sociale. La tenue de la maison est encore associée à la femme. Si la maison est en désordre, qui va-t-on blâmer ? La femme !

Sylvie Boucher, psychologue

Florence Marquis, propriétaire de La Casita, qui offre un service d’organisation à domicile, avoue qu’elle contribue peut-être à cette pression en diffusant des images de pièces parfaitement rangées. « Si je ne publiais pas des photos parfaites sur Instagram, je n’aurais pas autant de business. Il y a vraiment un cercle vicieux qui est associé », concède-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR FLORENCE MARQUIS

Florence Marquis, organisatrice professionnelle et propriétaire de La Casita

« Il y a comme une dichotomie entre vouloir avoir une société qui est plus ouverte et plus transparente, mais on ne veut pas tant que ça voir le moins beau », souligne Florence Marquis.

Jeanne Soubry a succombé à cette pression du rangement. Elle succombe encore, dit-elle, mais elle s’est défaite de l’idée d’avoir un espace toujours organisé. La jeune femme se permet maintenant de laisser traîner ses livres et ses papiers, très présents chez elle puisqu’elle fait une maîtrise en littérature. Avant, elle rangeait chaque objet à sa place au moment où elle avait fini de l’utiliser.

« J’ai réalisé que ce n’est pas grave si des choses traînent. Et ce n’est pas possible d’avoir un appartement propre tout le temps », indique-t-elle.

Mais le jugement des autres l’effraie encore un peu. « Si la famille débarque à l’improviste, j’angoisse, illustre-t-elle. J’ai l’air de quoi si ma vaisselle n’est pas rangée, mon lit n’est pas fait et il y a une pile de livres qui traîne ? »

Des attentes… réalistes ?

Le mot d’ordre est « équilibre », croit la psychologue Sylvie Boucher. « Si c’est assez en ordre pour qu’on gagne du temps, et qu’on ne cherche pas nos bas ou nos clés, c’est bon. »

PHOTO FOURNIE PAR SYLVIE BOUCHER

Sylvie Boucher, psychologue

Le rangement et l’organisation nous donnent une impression de contrôle sur notre environnement, indique la psychologue. « Ça peut baisser notre anxiété. »

Mais attention aux dérives. « Si on est très anxieux et qu’on fait du rangement pour baisser notre anxiété, ce n’est pas nécessairement la bonne solution. » Et si un espace un peu en désordre provoque beaucoup d’anxiété, ce n’est pas mieux, rappelle la psychologue.

« Le rangement libère notre esprit, c’est sûr, mais on doit rester flexible », explique Sylvie Boucher.

Il faut modérer nos attentes, croit Florence Marquis.

II faut y aller tranquillement, ce n’est pas vrai qu’on devient organisé du jour au lendemain.

Florence Marquis

Et mieux vaut y aller une pièce ou même un tiroir à la fois si on veut se lancer dans l’organisation de notre demeure, conseille-t-elle.

Est-ce possible d’avoir une maison rangée, même avec des enfants ? Oui, disent les deux organisatrices professionnelles. Le tout passe par un bon système de rangement adapté à chacun, croient-elles.

« Ayant quand même de l’expérience [avec les familles], pour en avoir fait une cinquantaine environ depuis que j’ai démarré l’entreprise, si on intègre des systèmes qui fonctionnent, ça peut vraiment perdurer dans le temps », dit Florence Marquis.

La place du rangement dans notre vie

Selon l’organisatrice Elizabeth Alescio, « l’organisation est un outil au quotidien pour se concentrer sur des choses qui sont plus importantes pour nous, avoir plus de temps pour nous, pour notre famille et pour nos passe-temps ».

PHOTO JOËLLE GAUVREAU, FOURNIE PAR ELIZABETH ALESCIO

Elizabeth Alescio, organisatrice professionnelle et propriétaire de Mlle Range-Tout

Selon la propriétaire de Mlle Range-Tout, l’organisation devrait disperser la charge mentale de la femme aux autres membres de la famille. « C’est mettre un système en place pour que tout le monde puisse s’arranger dans son propre espace et puisse contribuer à l’organisation de la maison », dit-elle.

Combien de temps devrait-on consacrer à ordonner nos espaces ? « Ça devrait faire partie de notre quotidien, on peut prendre un peu de temps tous les jours, comme 15 minutes, pour faire un tour rapide des pièces et ranger les objets », indique Elizabeth Alescio.

Jeanne Soubry passe moins de temps qu’avant à ranger. « Ça pouvait aller jusqu’à deux heures par jour. » Maintenant ? « Peut-être deux heures par semaine, dit-elle. J’ai accepté que j’aime le ménage et le rangement, que j’y accorde de la valeur, mais j’accepte aussi de dériver de ça et de laisser traîner des choses pour quelque temps. »

« On ne peut pas nier notre existence dans un lieu, s’exclame l’étudiante. On ne peut pas effacer les traces de soi. »