Il fut un précurseur qui a inspiré toute une génération de cuisiniers, comme chef de La Sapinière pendant 30 ans, puis comme enseignant et mentor. Marcel Kretz s’est éteint le 31 janvier, à 91 ans, au Centre hospitalier de Sainte-Agathe, entouré de ses proches.

Né en Alsace en 1931, Marcel Kretz a grandi à Strasbourg. Nourri avec le jardin potager de sa mère, il a trouvé tout naturel de s’approvisionner de façon locale, à petite échelle, lorsqu’il est arrivé au Québec en 1953, après avoir obtenu son diplôme de cuisinier de l’École hôtelière de Strasbourg.

« On parle beaucoup aujourd’hui de l’importance de valoriser les produits régionaux… Enfant, j’ai mangé frais, on peut presque dire bio, tous les jours. On se nourrissait des récoltes du jardin. Il n’y avait ni transport ni réfrigération. Je suis arrivé au Québec avec l’idée que manger local, c’était la norme ! », avait-il confié à La Presse en 2012.

Consultez l’article « Petite leçon de gastronomie avec Marcel Kretz »

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Marcel Kretz en ski de fond dans les années 1950, dans les Laurentides

Au début des années 1960, il s’installe à Val-David avec sa femme pour ne plus jamais quitter sa région d’adoption. Pendant près de 30 ans, il a fait la réputation de la table La Sapinière, qui fut le premier Relais et Châteaux au Canada. Il a influencé toute une génération de chefs, notamment en mettant les produits régionaux de l’avant à une époque où c’était loin d’être la norme.

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En 2002, le chef Claude Pelletier avait organisé une soirée hommage à Marcel Kretz à son restaurant Le Cube.

« Il faisait vraiment sa cuisine à lui, une cuisine assez simple, mais avec des produits de haute qualité », se remémore le chef Claude Pelletier (Club Chasse et Pêche, Le Filet, Le Serpent), qui a travaillé à La Sapinière en 1985-1986 et est toujours resté proche du chef, qu’il considère comme son « mentor ». « Il était passionné des produits ; les produits régionaux, on en avait à profusion à La Sapinière, mais il s’intéressait aux produits de partout dans le monde. Il allait au Mexique, et revenait avec du cactus ! Il était fasciné par la cuisine. »

Idée originale de Lesley Chesterman, le documentaire 100 ans à table rassemblait des chefs ayant marqué la gastronomie québécoise autour d’une grande tablée. Pour celle qui s’est fait connaître comme journaliste et critique gastronomique notamment pour Montreal Gazette, la présence de Marcel Kretz, un chef qu’elle avait notamment découvert dans sa jeunesse grâce au court documentaire The Art of Eating (1976, ONF), était incontournable. « Le documentaire n’existait pas sans lui. On oublie trop souvent les gens qui ont été des précurseurs. À mes yeux, il était aussi important que Normand Laprise ou Anne Desjardins. »

Visionnez The Art of Eating (en anglais)

« On perd un grand monsieur, c’était quelqu’un de très généreux, de passionné jusqu’à la fin. C’est un chef qui a fait beaucoup pour le Québec, mais que malheureusement beaucoup ont oublié aujourd’hui », fait écho Normand Laprise.

En travaillant sans relâche à dénicher et à faire découvrir des produits régionaux et locaux, il a contribué à bâtir l’identité gastronomique québécoise, ajoute Mme Chesterman : « Pour lui, le produit était la clé. On parle beaucoup de chefs qui courent après les produits… Lui, c’était vraiment ça ! Il adorait la mycologie, partir à la recherche de champignons ou d’herbes sauvages dans la forêt. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE KRETZ

Marcel Kretz, aux Olympiades culinaires, à Francfort, en 1980

Un mentor d’exception

Premier chef canadien à devenir membre de l’Ordre du Canada, en 1998, il a également reçu l’Ordre du Québec en 2018. Il a participé au fil de sa carrière à nombre de compétitions culinaires et a récolté plusieurs médailles. D’ailleurs, le trophée décerné au meilleur apprenti cuisinier de l’année par la Société des chefs, cuisiniers et pâtissiers du Québec (SCCPQ) porte son nom.

S’il a officiellement pris sa retraite en 1990, il n’a jamais vraiment arrêté de travailler et de transmettre sa passion, en enseignant à l’École hôtelière des Laurentides, en siégeant à différents comités et jurys de concours culinaires et en agissant à titre de mentor pour toute une génération de jeunes cuisiniers.

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Marcel Kretz, en 2000, alors qu’il était coach de l’équipe canadienne aux Olympiades culinaires de Francfort

Fred Morin en fut un. Pour le chef et cofondateur du Groupe Joe Beef, Marcel Kretz, qu’il a connu alors qu’il étudiait à l’École hôtelière des Laurentides, fut un vrai modèle. « C’était un grand chef, pas autre chose que cela ! Il était très ouvert à la jeunesse, à la nouveauté. À la fin de mes études, il m’avait dit : ‟Fais bien les choses et tu vas aller loin.” Comme il était parcimonieux dans ses encouragements, cette preuve de confiance m’avait donné une assurance, un élan. Connaître Marcel a été un des bons aiguillages dans ma vie », affirme celui qui marche dans les traces de son mentor aujourd’hui en donnant des cours de cuisine aux jeunes athlètes.

Actif jusqu’à la fin, Marcel Kretz, qui était féru de ski de fond, tenait encore, à 91 ans, une chronique dans le journal local de Val-David, Le Ski-se-dit. Il laisse dans le deuil sa femme Nicole Rochon, ses trois enfants, dont Simon Kretz, directeur d’édition à La Presse, ainsi que cinq petits-enfants et trois arrière-petits-enfants… et toute une industrie.