Tinder a célébré ses 10 ans en septembre. Pour le meilleur — et pour le pire —, l’application de rencontre a propulsé la drague et les relations de couple dans une nouvelle ère.

Tinder revendique plus de 530 millions de téléchargements depuis son lancement en 2012. Malgré une panoplie de compétiteurs, comme Bumble ou Hinge, Tinder réussit encore à ce jour à garder le titre de l’application de rencontre la plus populaire au monde. En 2021, pas moins de 75 millions d’utilisateurs par mois y « swipaient ».

« Tinder a été parmi les premières applications de rencontre introduites dans la scène hétérosexuelle », explique Stefanie Duguay, professeure adjointe de communication à la faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia, chercheuse et directrice du Digital Intimacy, Gender and Sexuality (DIGS) Lab.

Les personnes LGBTQ+ ont été les premières à adopter les rencontres en ligne — notamment avec Grindr, qui a été lancée en 2009. Les applications de rencontre leur ont permis de créer un nouveau lieu pour se retrouver, affirme Stefanie Duguay.

Au fil des années, il est devenu commun de trouver des partenaires par l’internet.

« Ce n’est pas encore la norme d’uniquement faire des rencontres via les applications, mais c’est maintenant normalisé », indique Mylène de Repentigny-Corbeil, présidente et directrice générale de l’organisme Les 3 sex*, qui lutte pour les droits sexuels et la santé sexuelle.

Plus de 30 % des adultes américains ont tenté ce moyen de rencontre, selon un sondage mené par le Pew Research Center en 2020. Parmi les sondés, 12 % ont dit s’être mariés ou avoir eu une relation sérieuse avec une personne rencontrée de façon virtuelle.

Notons que dès 2013, les rencontres en ligne ont dépassé les rencontres par l’intermédiaire d’amis pour les couples hétérosexuels aux États-Unis, révèle une étude de l’Université Stanford. Ce point de bascule coïncide d’ailleurs avec le moment où Tinder a été offert à un plus grand bassin d’utilisateurs en étant téléchargeable sur les téléphones Android.

Lisez l’étude de l’Université Stanford (en anglais)

Ce qui a tout changé

Selon la professeure Stefanie Duguay, les applications de rencontre ont amené ceci de nouveau : la sélection des partenaires potentiels. « Sur Tinder, on glisse nos doigts sur les images, c’est un geste rapide et parfois, on ne s’arrête même pas pour lire la biographie complète. »

Ce qui attire notre attention dans une application de rencontre n’est pas nécessairement la même chose que dans la vraie vie, dit-elle.

« Il y a un côté un peu tordu et bizarre de choisir à partir de photos », concède Iannick Pelletier, qui avait téléchargé l’application en 2014 quelque temps après une séparation. Le camionneur a toutefois embarqué dans le processus et a trouvé sa conjointe actuelle, Annick Lamarre, après quelques mois.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Iannick Pelletier et Annick Lamarre

Le couple, ensemble depuis sept ans, affirme que chacun avait épuisé ses possibilités de partenaires potentiels autour d’eux. « Plus tu vieillis, plus c’est populaire [d’aller sur les applications de rencontre], car tu n’as pas beaucoup d’opportunités », affirme Annick, qui avait 35 ans quand elle s’est lancée sur Tinder.

« Les applications permettent de mieux cerner les personnes qui pourraient avoir des affinités avec toi. Ça aide beaucoup. […] Je ne me voyais pas aller dans un bar et aborder une fille sans rien savoir sur elle et sur ce qu’elle veut », explique Iannick.

Ce qui a changé dans les rencontres amoureuses, c’est davantage le processus de rencontre que la rencontre en soi.

Mylène de Repentigny-Corbeil, présidente et directrice générale de l’organisme Les 3 sex*

Un outil aux multiples usages

Pour Megane Sauvé, Tinder lui a permis de se faire valoir autrement. Il y a les photos, mais surtout la biographie, sur laquelle elle s’est penchée pour se démarquer. « Tinder m’a permis de pratiquer à échanger et à flirter dans un environnement numérique où, si tu te foires monumentalement, tu peux “unmatch” la personne », dit celle qui utilise les applications depuis sa majorité.

Elle admet avoir été une utilisatrice régulière des applications de rencontre. Elle a utilisé celles-ci pour tout : trouver l’amour, avoir des relations sexuelles et se faire des amis.

Tinder a été le témoin de plusieurs de ses premières fois : première relation sexuelle, premier amour, premier « rebound » (une relation éphémère après une rupture) et première relation de couple — toutes avec des personnes rencontrées en ligne.

Après avoir déménagé en Colombie-Britannique, elle a utilisé les applications pour se faire des amis. « Ç’a été une façon de m’intégrer là-bas », précise-t-elle. Elle a aussi eu quelques relations d’un soir, puis elle a rencontré son amoureux actuel en 2018.

PHOTO FOURNIE PAR MEGANE SAUVÉ

Megane Sauvé et son copain Tom Forbes

Encore aujourd’hui, la chargée de projets parcourt le monde virtuel à la recherche d’amis afin de partager sa passion de la littérature et trouver des partenaires de gym.

« Les gens utilisent la technologie à leurs propres fins. Nous savons que certaines personnes utilisent les applications pour se faire des amis, pour rencontrer des gens dans un autre pays, pour chercher un emploi ou un appartement », illustre Stefanie Duguay.

« Ça a permis de créer des lieux de rencontre pour des communautés ou des personnes spécifiques avec des identités particulières », ajoute Mylène de Repentigny-Corbeil.

Beaucoup de gestion

« Ce que j’ai trouvé challengeant, c’est la rapidité, indique Annick Lamarre. Si tu passes une soirée à swiper et que tu as des tonnes de matchs, il y a un paquet de personnes qui vont t’aborder. » Ensuite, il faut gérer toutes ces connexions, et certaines personnes sont plutôt impatientes, dit-elle.

C’est quasiment un deuxième job à gérer.

Annick Lamarre

La psychologue Marika Jauron, dont la thèse de doctorat portait sur l’étude exploratoire des rencontres amoureuses sur l’internet, en 2010, admet que les rencontres se font plus rapidement à l’ère du virtuel. « Il y a plus de rencontres, mais ça ne veut pas dire plus de relations significatives. »

Selon elle, tous ces choix nous rendraient plus sélectifs. « On se dit qu’on va rencontrer mieux ailleurs, si ça ne fonctionne pas avec un, dit-elle. Ça alimente une quête de la perfection. »

Joan S. Paiement, présidente fondatrice de l’agence de rencontre Intermezzo, abonde dans le même sens. « Les gens arrivent [à son agence] avec des critères qui n’ont aucun sens », s’exclame-t-elle.

Les frustrations des usagers des applications de rencontre font la joie de Joan, qui note que plus il y a d’applications, plus elle reçoit de clients. Depuis cinq ans, elle voit aussi sa clientèle de 30 ans et moins prendre de l’ampleur. Alors qu’ils étaient très peu nombreux à cogner à sa porte, ils représentent maintenant 20 % des clients de son agence.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Mylène de Repentigny-Corbeil, présidente et directrice générale de l’organisme Les 3 sex*

Les applications peuvent amener du plaisir, mais celui-ci « n’est pas linéaire », constate Mylène de Repentigny-Corbeil. « Tu peux avoir des bris de confiance ou un sentiment d’exclusion ou d’invisibilité », dit-elle, en donnant en exemple le ghosting, où quelqu’un interrompt sans avertissement ou explication une relation.

« La nature virtuelle fait que le ghosting est plus facile à faire qu’en face à face », admet la psychologue Marika Jauron. Tinder peut donner l’impression de « liens jetables » qui sont « plus faciles » à créer, mais aussi « moins profonds ».

Toutes les personnes qui ont témoigné pour ce reportage n’ont pas vécu de jugement de leurs proches sur la façon dont ils ont rencontré leurs partenaires. C’est un préjugé qui persiste, toutefois. « Certains disent encore que ça casse le romantisme », admet Mylène de Repentigny-Corbeil.

« Nous avons ces idéaux où les gens se rencontrent dans une épicerie ou en promenant leur chien, mais cela fait des décennies que les gens utilisent les médias et la technologie pour se rencontrer », rétorque Stefanie Duguay.

« Tant que nous aurons un téléphone dans notre poche, la technologie sera présente dans nos rencontres amoureuses », croit-elle.