Depuis le lancement du blogue Portraits de Montréal en 2014, les photographes Thibault Carron et Mikaël Theimer ont rencontré des centaines de personnes qui font battre le cœur de la métropole. Lorsque nous leur avons demandé de nous présenter leurs coups de cœur, Nahid Aboumansour figurait dans leur courte liste.

« On a toujours été touchés par le parcours de ces femmes aux histoires parfois difficiles, mais qui font tous les efforts possibles pour s’adapter à la vie montréalaise, participant ainsi à son enrichissement culturel et humain », affirme Thibault Carron.

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Bien qu’elle accumule les distinctions (Chevalière de l’Ordre de Montréal et de l’Ordre du Québec, Croix du service méritoire, Prix du premier ministre), assez peu de Montréalais connaissent Nahid Aboumansour. Mais, Montréal, elle connaît. « J’aime Montréal et je défends toujours la ville dans n’importe quelle discussion ou négociation. C’est la ville qui m’a accueillie et qui m’a donné cette possibilité de réaliser ce que je voulais réaliser pour d’autres. »

Si des femmes immigrantes peuvent se dire pleinement montréalaises et québécoises aujourd’hui, c’est beaucoup grâce à elle.

Arrivée du Liban en 1989, elle a cofondé six ans plus tard Petites-Mains, une entreprise d’insertion professionnelle qui aide les femmes immigrantes à faire leurs premiers pas sur le marché du travail. C’est la clé de l’intégration, selon cette architecte de formation qui a dû rebâtir sa vie en arrivant ici. « Je ne parlais pas français, mes diplômes n’étaient pas reconnus, il fallait que je recommence à zéro, raconte-t-elle. Mon intégration a passé par là, par l’intégration des autres. Je me suis lancée dans ce projet qui était petit, mais avec une grande vision. »

Petit train va loin

Alors qu’elle était bénévole pour une banque alimentaire du quartier Côte-des-Neiges, elle y a rencontré sœur Denise Arsenault, de la congrégation des Sœurs de Sainte-Croix, qu’elle a convaincue de l’aider à trouver un local et des machines pour donner des cours de couture à des femmes immigrantes. C’est ainsi que Petites-Mains est née, avec 600 $ en dons et la générosité d’un propriétaire qui a accepté de leur prêter un local.

Aujourd’hui établi dans un grand immeuble du boulevard Saint-Laurent, l’organisme emploie 35 personnes, sans compter les femmes à qui il offre une formation professionnelle en couture industrielle, en cuisine (le café-resto actuellement en rénovation doit rouvrir dans quelques mois) et en bureautique, ainsi que des cours de francisation, de l’aide à la recherche d’emploi et même un service de garde par l’entremise d’un CPE de 50 places.

« Je ne peux pas travailler avec une vision à court terme. Je vais aller au fond des choses et je vais régler un problème après l’autre pour arriver au résultat escompté », dit Nahid Aboumansour, qui nous reçoit dans son bureau, égayé par les couleurs automnales du parc Jarry et les rayons de soleil de l’après-midi.

Ce résultat, c’est la pleine intégration des femmes immigrantes à la société.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Nahid Aboumansour

Je ne veux pas que les femmes soient dépendantes financièrement, ni du gouvernement ni du mari ou du conjoint. Parce que tant et aussi longtemps qu’on est dépendant financièrement, on n’a pas notre liberté. Je me bats chaque jour pour ramener cette liberté à ces femmes-là.

Nahid Aboumansour, cofondatrice de Petites-Mains

Depuis 27 ans, elle estime à « des milliers » le nombre de femmes que Petites-Mains a aidées.

« Ce que j’aime ici, au Canada, au Québec ou à Montréal, c’est qu’une fois que tu montres tes compétences, que tu es capable, les gens vont te faire confiance. »

Politisée, elle a suivi de près la campagne électorale. Le portrait négatif que certains ont fait des immigrants, notamment le ministre sortant du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, Jean Boulet, qui a déclaré que « 80 % des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise », l’ont choquée. Des propos erronés pour lesquels il s’est par la suite excusé.

« Après ça, j’ai entendu : “Oh, tu viens ici pour rester à la maison, pour ne rien faire, tu fais partie du 80 %.” C’est devenu comme une joke, une blague pas plaisante. C’est décevant pour la communauté immigrante. Si un jour, un jour seulement, la communauté immigrante disait “on reste à la maison, on ne va pas aller travailler”, on verrait l’impact que ça aurait. »

Se donner sans compter

On ne peut certes pas accuser Nahid Aboumansour, mère de quatre enfants aujourd’hui devenus grands, de s’être tourné les pouces depuis son arrivée au pays. « Je n’ai pas compté mes heures, je n’ai pas compté mes vacances. »

Elle ne compte pas son temps non plus quand vient le temps de parler de sa mission. « Parfois, on me dit : “Venez faire une conférence, on va vous donner dix minutes et quart !” Non. Quand je parle de Petites-Mains, c’est une passion. »

Une passion qui lui a valu un doctorat honoris causa, remis par l’Université TÉLUQ le 9 octobre dernier aux côtés de... Gilles Vigneault. Comme un symbole fort du succès de son intégration.