Vague après vague de COVID-19, nombreux sont ceux qui ont réinventé leur vie en banlieue ou à la campagne. Mais au moment où la ville, ses tours, restaurants et salles de spectacle grouillent à nouveau de monde, certains pourraient-ils avoir des regrets ? Devrait-on se méfier du « biais de proximité », qui pourrait nous défavoriser ?

Loin des yeux, loin du cœur, veut le dicton. Biais de proximité, disent les psychologues pour parler en gros de la même chose : « la tendance inconsciente à accorder un traitement préférentiel aux personnes et à ce qui se trouve dans notre entourage immédiat », selon les mots de la Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.

Dans la vie de tous les jours, on va ainsi plus facilement penser à inviter pour une sortie un ami qui habite tout près qu’un autre qui vit plus loin. Tout comme on va favoriser les commerces de son quartier, par exemple. « Ce biais a toujours existé, précise la Dre Grou. Il n’est pas né avec la pandémie. »

N’empêche, la crise sanitaire a perturbé bien des « entourages », poussant certains à quitter la ville et beaucoup d’autres à réorganiser leur vie autour du télétravail. Or, à mesure que les gens renouent avec une vie sociale et professionnelle plus riche, le biais de proximité s’invite dans de nombreuses réflexions.

« Pour quelqu’un qui est un fervent de la Place des Arts ou qui va régulièrement au restaurant, ce n’était peut-être pas la meilleure chose de s’en aller de la ville », illustre la psychologue.

Ceux qui ont idéalisé la campagne sans trop mesurer les effets d’un déménagement sur leurs activités et leurs fréquentations sont plus susceptibles de se retrouver isolés et d’avoir des regrets, maintenant que la peur des autres s’atténue.

« Tout changement risque d’engendrer une remise en question », rappelle la Dre Grou. Il peut être très sain, à ce stade-ci, de revoir certains choix faits dans un contexte de confinement qui ne correspondent plus nécessairement à ses objectifs de vie, évalue-t-elle.

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« Nos clients qui ont quitté la ville nous disent qu’ils sont très heureux de leur décision », dit François Mackay, président fondateur de l’agence immobilière Groupe Mackay.

Pas encore de retour

Pour l’instant, les courtiers immobiliers n’observent pas un mouvement de retour vers la ville. De l’avis de plusieurs, l’attrait pour la banlieue ou la campagne reste même fort, dans un marché bousculé par la hausse des taux d’intérêt.

« Nos clients qui ont quitté la ville nous disent qu’ils sont très heureux de leur décision, dit François Mackay, président fondateur du Groupe Mackay, une agence active dans l’île et hors de celle-ci. Et on reçoit encore des offres multiples en banlieue, pas en ville. »

Yannick Sarrazin, qui dirige une équipe de courtiers surtout présents dans les quartiers centraux, s’attend toutefois à un retour prochain des acheteurs à Montréal. « Ma boule de cristal n’est pas meilleure que celle des autres, mais je pense que ça va venir », dit-il.

Simon Léger, dirigeant d’agence et associé chez Bardagi équipe immobilière, croit également à un probable regain d’intérêt pour la ville. Parce qu’elle retrouve ses attraits, mais aussi parce que certains n’auront pas le choix. « J’ai des amis qui ont été rappelés au travail en présentiel, dit-il. Ça ne fonctionnait plus pour eux, la vie dans les Laurentides. »

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Selon une enquête menée aux États-Unis, 67 % des gestionnaires considèrent que les télétravailleurs sont plus facilement remplaçables que ceux qui se déplacent sur les lieux de leur travail.

Aller au bureau ou pas ?

Là où le télétravail est possible, beaucoup d’employeurs misent sur un mode hybride, ce qui laisse une certaine latitude aux employés. Mais avec cette souplesse vient un dilemme : le biais de proximité risque-t-il de favoriser les adeptes du présentiel ?

Ceux qui travaillent au bureau semblent le croire. Les deux tiers (63 %) d’entre eux estiment que leur présence leur offre de meilleures occasions d’avancement, révèle un sondage réalisé par Maru Public Opinion et ADP Canada en décembre 2021.

Plus inquiétant pour ceux qui choisissent de rester à la maison : selon une autre enquête menée aux États-Unis la même année par la Society for Human Resource Management, 67 % des gestionnaires considèrent que les télétravailleurs sont plus facilement remplaçables que les autres.

Vite, tous au bureau ? Pas si vite, croit la Dre Grou. « Le biais de proximité existe aussi sur les lieux de travail, entre employés du même étage par exemple, et la solution n’est pas de revenir au modèle qu’on avait avant. »

Aux employeurs qui autorisent le télétravail de traiter leurs employés équitablement, poursuit la psychologue. « Pour les discussions et communications importantes, ou pour des évènements sociaux, la modalité doit être la même pour tous, en présence ou à distance, dit-elle. Comme ça, on n’introduit pas de biais. »

En savoir plus
  • 48 300
    Montréal a perdu plus de 48 000 habitants au profit des autres régions entre le 1er juillet 2020 et le 1er juillet 2021.
    source : Institut de la statistique du Québec