Une relation amoureuse est souvent un défi. Si les personnes concernées sont de cultures différentes, le degré de complexité peut être encore plus grand. Qu’en est-il des couples formés d’une personne trans ou non binaire et d’une personne cisgenre (dont le genre correspond au sexe assigné à la naissance) ?

S’identifiant comme non binaire et n’ayant pas de préférence de genre dans ses relations, Laura Doyle-Péan avait toutefois du mal à s’imaginer à long terme avec un homme cisgenre. « Ce n’est pas l’idée d’être avec un homme qui me rebutait, mais d’être avec une personne qui a une attitude patriarcale et qui ne comprend pas les questions de privilèges et d’oppressions », explique Laura.

« Avec Zahur, j’ai été étonné.e au départ que ça dure, mais nous avons une compréhension mutuelle des dynamiques de pouvoir et le désir de les déconstruire. »

Son partenaire n’a pas l’impression que leur couple non traditionnel exige une adaptation.

PHOTO FOURNIE PAR ZAHUR ASHRAFUZZAMAN ET LAURA DOYLE-PÉAN

Zahur Ashrafuzzaman et Laura Doyle-Péan

« On se connaissait depuis des années avant d’être en couple. Je connaissais déjà quels pronoms utiliser. Puisqu’on se parle surtout en anglais, c’est plus facile de trouver les termes non genrés qu’en français », explique Zahur.

Il s’est toutefois questionné sur son orientation sexuelle.

Je me vois comme un homme cisgenre hétérosexuel puisque je suis attiré par une personne non binaire, soit un genre différent du mien, précise-t-il. D’autres personnes affirment que ça me rend gai ou queer. Si c’est le cas, je suis à l’aise aussi.

Zahur Ashrafuzzaman

Couple en transition

Alexandre Bédard et Roxane Orsini ont également remis en question leur orientation sexuelle lorsque Alexandre a entrepris sa transition de genre. « On était un couple lesbien à l’origine, mais en transitionnant, je me suis demandé si je devenais hétéro », se souvient Alexandre.

« Roxane s’est positionnée comme pansexuelle, et j’ai réalisé que je pourrais moi aussi être en amour avec une personne trans, un homme ou une femme cisgenre ou une personne non binaire. Ma vision du couple n’était plus la même. »

PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRE BÉDARD ET ROXANE ORSINI

Roxane Orsini et Alexandre Bédard

En effet, leur union a été influencée par la transition. « Au quotidien, je devais mentionner que je n’avais plus de blonde, mais que j’étais avec la même personne, explique Roxane. Depuis qu’on a un enfant, certaines personnes me demandent de quoi le père avait l’air et je leur réponds que c’est Alexandre le père, même s’il n’est pas le donneur. »

Elle se permettait aussi de reprendre Alexandre quand celui-ci utilisait des pronoms ou des accords féminins comme avant.

« Au début, quand je me trompais, je craignais ce que ça sous-entendait sur mon identité. Pourtant, ça faisait 30 ans que je parlais de moi au féminin. Le fait que Roxane était bonne là-dedans, ça me donnait l’impression d’être valide. »

La prise d’hormones d’Alexandre a aussi changé sa pilosité, son odeur, sa peau, son style vestimentaire, ses goûts alimentaires et ses émotions.

Au début, je réapprenais à me connaître. J’étais plus égocentrique, donc moins axé sur mon couple. Roxane a dû accepter que je sois moins présent pour elle temporairement.

Alexandre Bédard

Leur intimité s’est modifiée. « Comme le corps change, les sensations sont différentes, ajoute-t-il. Je ne me touchais plus de la même façon. Il fallait être assez ouverts pour faire les choses différemment et nommer les choses. » Même les « je t’aime » ne sonnaient plus comme avant. « Ma voix avait changé, alors on s’est adaptés. Quand je pleurais dans ses bras, je ne reconnaissais pas ma voix. J’avais l’impression que c’était le voisin qui sanglotait. »

Roxane a toujours soutenu Alexandre. Et n’allez pas lui dire qu’elle est admirable. « Quand il m’a annoncé son désir de transiter, je me suis demandé si j’étais prête à embarquer et à faire face aux préjugés. Je ne suis pas restée par sacrifice, mais parce que je suis en amour. Notre couple fonctionne. »

Éduquer la société

On peut quand même avancer que leur couple est un modèle d’ouverture. « On a le désir commun d’éduquer les gens sans qu’ils se sentent invalides dans leurs façons de parler, dit Roxane. J’essaie de tout aborder avec humour. On est très ouverts aux questions et on ne veut pas tomber dans la chicane. »

Cela dit, le duo doit souvent lâcher prise en présence de personnes qui ne connaissent pas leur réalité et les bons termes.

Si une personne qui ne navigue pas auprès des communautés LGBTQ+ utilise un mauvais mot, ça va peut-être me faire réagir intérieurement, mais ça se peut que je ne la reprenne pas pour éviter qu’elle s’empêche de poser d’autres questions pour s’éduquer.

Alexandre Bédard

Du côté de Laura et de Zahur, la dynamique avec les personnes inconnues est plus ou moins problématique. « Je pense que c’est dû au fait que je porte des vêtements codés comme étant féminins assez régulièrement, souligne Laura. Les gens qui ne me connaissent pas me genrent comme étant une femme cis. »

Ainsi, en public, leur couple est perçu comme hétérosexuel. « Je ne suis pas encore habitué.e à ça. Surtout que je n’ai pas de patience pour les couples hétéros qui expriment leur affection en public sans se soucier du privilège de pouvoir agir de la sorte sans crainte de représailles comme les personnes queers. »

Alexandre, pour sa part, se fait appeler « monsieur » depuis le quatrième mois de sa prise de testostérone. Les gens ne savent donc pas qu’il est trans. « Dans la société cisnormative et hétéronormative, on ne veut pas avoir à dire qu’Alex est trans, explique Roxane. Mais dans les communautés LGBTQ+, on veut le mettre de l’avant pour être validé. On est comme entre deux chaises. »