Ici, mais surtout ailleurs, un nombre croissant de séries télévisées destinées à un public adulte, familial ou adolescent mettent en scène des personnages lesbiens ou des femmes bisexuelles. Que l’orientation sexuelle soit un élément clé ou non de ces émissions, elles montrent une réalité longtemps restée beaucoup moins visible que l’amour entre deux hommes. Elles offrent aussi une diversité de modèles à des filles et des femmes qui en manquaient au petit écran.

« Je me rappelle avoir regardé The L Word en version française à ARTV quand j’étais adolescente, raconte Florence Gagnon. Je ne l’écoutais pas fort dans le sous-sol chez mes parents pour qu’ils n’entendent pas. C’était la première fois que je voyais des lesbiennes dans un contexte quotidien. Je ne savais même pas comment ça vivait, des lesbiennes, tellement on manquait de modèles. »

La fondatrice de Lez Spread the Word, magazine lesbien et queer qui vise justement à montrer des modèles positifs, ne se reconnaissait pas vraiment dans la vie de ces femmes de Los Angeles « qui se promènent en BMW ». Mais, au début des années 2000, elle n’avait pas vraiment d’autre option au petit écran.

La cinéaste Chloé Robichaud et elle ont voulu remédier à la situation en créant, en 2014, Féminin/Féminin, série web axée sur la vie d’un groupe de jeunes femmes lesbiennes vivant à Montréal. « The L Word avait changé notre vie à toutes les deux, mais ça ne nous ressemblait pas », insiste Florence Gagnon, co-idéatrice et productrice exécutive de la websérie de 16 épisodes divisés en deux saisons.

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Florence Gagnon, fondatrice de Lez Spread the Word et co-idéatrice de la série Féminin/Féminin

Diversification importante

Féminin/Féminin et The L Word (créée en 2004) demeurent des exceptions. Néanmoins, au cours de la dernière décennie, le nombre de séries qui mettent en scène des lesbiennes ou des femmes bisexuelles a considérablement augmenté, même dans les émissions grand public. Florence Gagnon songe entre autres au couple formé par Carrie et Arizona dans la populaire série Grey’s Anatomy. « Ça, c’était vraiment réussi, dit-elle, et ç’a été une grande avancée dans la télévision pour la représentativité lesbienne. »

« Il y a eu une diversification assez impressionnante dans les derniers temps, et l’orientation sexuelle n’est plus nécessairement le fil narratif principal du personnage comme ça pouvait être le cas il y a une dizaine d’années », a constaté Tara Chanady, chercheuse en communication qui a signé un texte sur la visibilité « lezbiqueer » dans l’essai Télévision queer, publié le printemps dernier aux éditions du remue-ménage. Son affirmation s’appuie surtout sur la diversité grandissante à la télévision américaine.

IMAGE FOURNIE PAR DREAMWORKS

Catra et Adora, tandem au cœur de la série animée She-Ra et les princesses du pouvoir, où la diversité sexuelle, en particulier les couples de femmes, est bien représentée.

Il y a et a eu des lesbiennes à la télé québécoise bien sûr : dans Mémoires vives, L’académie ou Unité 9. « Des personnages lesbiens à la télé qui sont en prison, ça n’aide pas nos parents à penser que notre vie va être si belle que ça », glisse toutefois Florence Gagnon en songeant aussi à Orange Is the New Black.

Elle préfère Sans rendez-vous, de Marie-Andrée Labbé, où Magalie Lépine-Blondeau joue une infirmière-sexologue lesbienne sans que ce soit important dans l’histoire. « Je trouve ça intéressant, explique-t-elle, parce que c’est en montrant le plus de modèles possible qu’on enlève les idées préconçues au sujet de ce à quoi une lesbienne devrait ressembler. »

Les exemples de séries de ce genre, qui s’adressent à un public familial ou adolescent, sont plus nombreux au sud de la frontière : The Fosters, One Day At a Time, She-Ra and the Princesses of Power, Atypical et quantité d’autres montrent des personnages lesbiens ou queer et parfois même non binaires. Tara Chanady signale aussi la série Euphoria, où l’homosexualité féminine est représentée de façon assez centrale, sans même qu’elle soit nommée.

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Tara Chanady, chercheuse en communication, s’est intéressée à la représentativité « lezbiqueer » au petit écran.

On essaie de normaliser en ne nommant plus [l’homosexualité]. Ça donne une vision plus fluide de la sexualité.

Tara Chanady, chercheuse en communication

Moins visibles que les gais

Une réalité demeure toutefois : les lesbiennes restent moins visibles au petit écran que les hommes homosexuels. « Les hommes gais ont toujours eu plus de visibilité médiatique », constate Tara Chanady. « Ça revient à l’égalité entre les hommes et les femmes en général, estime Florence Gagnon. Les femmes vivent une double discrimination : sexisme et homophobie. Même dans la communauté LGBTQ2+, les hommes ont toujours plus de place, c’est le reflet de notre société. »

Elle est convaincue que le fait que Féminin/Féminin s’intéresse à un groupe de femmes a posé des limites.

Si on avait fait la même série, mais que ç’avait été des gars, on aurait été financé full pin et on aurait fait huit saisons. Un projet entre femmes, ça a moins de pouvoir.

Florence Gagnon

Les deux femmes sont convaincues qu’une meilleure et plus grande représentation des réalités lesbiennes à la télévision peut avoir un effet positif. Il est cependant important que celle-ci soit le fait de femmes de la diversité, croient-elles. « Quand ce n’est pas écrit par des personnes LGBT, on a tendance à tomber dans les clichés », acquiesce Florence Gagnon. « Je pense qu’il est nécessaire d’avoir des séries qui sont produites par des femmes issues de la diversité sexuelle — lesbienne, queer ou bi. Féminin/Féminin, précise Tara Chanady, ce ne serait pas la même chose si aucune des personnes impliquées ne s’affichait en public comme faisant partie de la diversité sexuelle. »

Six univers lesbiens au petit écran

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Chloé Robichaud (à gauche) en compagnie d’une partie de la distribution de Féminin/Féminin, en janvier 2014, soit Noémie Yelle, Kimberly Laferrière, Carla Turcotte et Ève Duranceau.

On trouve désormais des personnages lesbiens ou de femmes bisexuelles dans une variété de séries pour le petit écran, de la comédie de situation aux aventures fantastiques en dessin animé. En voici quelques-unes.

The L Word

Ellen DeGeneres a fait son coming out dans la vie et dans sa sitcom Ellen en 1997. The L Word, diffusée à partir de 2004, est toutefois la première série axée sur la vie de lesbiennes et de femmes bisexuelles, et a notamment été reconnue pour sa façon directe de montrer la sexualité entre femmes. Les intrigues amoureuses sont nombreuses, mais l’essentiel de l’émission s’attarde au quotidien : Tina et Bette cherchent un donneur pour avoir un enfant, Jenny vient d’emménager avec son fiancé, mais est attirée par Marina, Dana est une joueuse de tennis professionnelle qui craint de s’afficher publiquement, Shane est une tombeuse… The L Word ne présente pas seulement des personnages lesbiens, mais tout un univers.

Sur Netflix

Féminin/Féminin

Avec Chloé Robichaud, Florence Gagnon a créé Féminin/Féminin, qui montre la vie de jeunes lesbiennes québécoises principalement à la fin de l’adolescence ou dans la vingtaine. L’orientation sexuelle est au cœur de l’univers de Féminin/Féminin, mais les enjeux soulevés concernent tout le monde : quête amoureuse, ruptures, maladie, différence d’âge dans un couple, etc. La série possède un volet « documentaire » où les personnages parlent entre autres de leur coming out ou du besoin qu’elles ressentent de mettre une étiquette sur ce qu’elles sont ou pas.

Sur ICI Tou.tv

She-Ra and The Princesses of Power

Inspirée d’une série des années 1980, She-Ra and The Princesses of Power (She-Ra et les princesses du pouvoir en version française), du créateur trans ND Stevenson, s’articule autour de la quête d’Adora et de sa relation amour-haine avec Catra, son amie d’enfance. La série fantastique présente des personnages féminins forts et met l’accent sur la diversité corporelle, ethnique et sexuelle. En plus du tandem d’héroïnes, plusieurs personnages — des hommes, mais surtout des femmes — vivent des relations homosexuelles qui sont affichées, mais ne constituent jamais un enjeu dans ces aventures surnaturelles. Quelques personnages aux attirances plus ambiguës évoquent la bisexualité et d’autres la fluidité de genre. On trouve aussi des personnages lesbiens dans des séries animées comme Arcane, The Owl House et Steven Universe.

Sur Netflix

One Day at a Time

On ne peut pas trouver de comédie de situation plus classique que One Day at a Time : la série montre une famille de Los Angeles aux origines cubaines avec une grand-mère extravagante (extraordinaire Rita Moreno) nostalgique de son pays, une mère de famille monoparentale et deux ados. Sous ces apparences, elle aborde toutefois une quantité d’enjeux liés à l’immigration, aux inégalités sociales et au racisme, mais aussi à l’homophobie et à l’identité de genre, puisqu’un des personnages finira par faire son coming out et à intégrer à la vie familiale son partenaire non binaire. One Day at a Time n’est pas une « série lesbienne », mais montre néanmoins une vie lesbienne au sein d’une famille de prime abord conventionnelle, comme c’est aussi le cas d’Atypical, dont l’un des personnages principaux jongle entre homosexualité et bisexualité.

Sur Netflix (saisons 1, 2 et 3) et AppleTV (saison 4)

Sense8

Créée entre autres par les sœurs Wachowski (scénaristes et cinéastes trans aussi derrière The Matrix), Sense8 s’articule autour de huit personnages venant de différentes parties du monde (États-Unis, Angleterre, Allemagne, Islande, Kenya, Mexique, Corée du Sud et Inde) qui découvrent qu’ils sont psychologiquement et émotionnellement connectés les uns aux autres. La série s’est démarquée en montrant un couple de femmes dont l’une, Nomi, est trans et d’ailleurs interprétée par l’actrice trans Jamie Clayton. Sense8 parle d’homophobie, mais n’en fait pas un fil narratif principal. Ou seulement brièvement. Ici, la diversité sexuelle est un fait, tout comme la diversité ethnique.

Sur Netflix

Sans rendez-vous

Rare série québécoise dont le personnage principal est lesbienne. Sarah (Magalie Lépine-Blondeau), infirmière-sexologue dans la trentaine, travaille dans une clinique de santé sexuelle et se questionne sur sa relation avec Maude, son amoureuse. L’orientation sexuelle de Sarah n’est toutefois pas le fil narratif principal de la comédie Sans rendez-vous, signée par Marie-Andrée Labbé. On trouve aussi des personnages lesbiens dans des séries québécoises s’adressant à un jeune public comme L’académie et… Passe-Partout : dans la version de 2019, Madame Coucou, autrefois présentée comme une mère célibataire, forme une famille avec une autre femme.

Sur l’Extra d’ICI Tou.tv