Les défis font partie intégrante du réseau social TikTok. La plupart sont mignons et anodins, mais d’autres sont très dangereux, comme en témoigne la mort récente de deux fillettes, aux États-Unis. Pourquoi les « challenges TikTok » attirent-ils autant les jeunes ?

À l’été 2021, des vidéos du « défi du foulard » auraient commencé à apparaître dans le fil TikTok de Lalani Erika Walton, une fillette de 8 ans du Texas. Ce « défi » consiste à s’étouffer avec un foulard jusqu’à l’inconscience. Et à publier le tout sur TikTok, bien sûr.

Au retour d’un voyage de 20 heures en voiture, durant lequel la petite Lalani aurait regardé des vidéos du défi du foulard, sa belle-mère l’a retrouvée « pendue après son lit, une corde autour du cou », selon une poursuite contre TikTok déposée ce mois-ci à Los Angeles par le cabinet d’avocats Social Media Victims Law Center.

PHOTO TIRÉE DU SITE GOFUNDME

Lalani Erika Walton

La poursuite relate aussi l’histoire tragique d’une autre fillette, Arriani Jaileen Arroyo, 9 ans, qui s’est asphyxiée avec la laisse d’un chien en février 2021. Elle était, selon la poursuite, « obsédée » par l’application du réseau social chinois.

Le défi du foulard n’est pas le seul défi risqué lancé par des utilisateurs de TikTok ces dernières années. Il y a eu le « défi du miroir en feu », que les internautes relevaient en dessinant sur un miroir avec un liquide inflammable et en y mettant le feu (une Américaine de 13 ans a été gravement brûlée, en 2021). Il y a également eu le défi de l’eau bouillante, qui consiste à s’immerger la main dans de l’eau très chaude. Et le défi Benadryl, qui s’est aussi soldé par la mort d’une adolescente en 2020.

Comme adulte raisonnable, ces comportements très risqués semblent insensés. Comment expliquer l’attrait auprès de certains jeunes ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Emmanuelle Parent, directrice générale et cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne

Directrice générale et cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne, Emmanuelle Parent évoque deux raisons. Il y a l’attrait du risque, en soi, qui existait dans la cour d’école bien avant les réseaux sociaux. Par ailleurs, note-t-elle, de façon générale, les défis sur TikTok relient les jeunes à leur communauté, leur confèrent un sentiment d’appartenance et l’impression de participer à un mouvement plus grand qu’eux.

« Ces deux éléments, ensemble, ça peut faire un petit cocktail explosif », convient la doctorante et chargée de cours en communication à l’Université de Montréal.

Emmanuelle Parent invite néanmoins à éviter la généralisation. Elle se rappelle un atelier qu’elle avait donné en classe pendant lequel l’enseignante avait abordé la question des défis dangereux sur TikTok avec ses élèves. « Il y avait eu une espèce de soulèvement, se souvient-elle. Les jeunes disaient qu’il ne fallait pas tous les mettre dans le même panier. »

Qui plus est, la vaste majorité des « défis » lancés par la communauté TikTok sont inoffensifs. Une chorégraphie de danse, une recette de Ramen au fromage, un concours du plus beau coucher de soleil, un coup de pied précis pour décapsuler une bouteille sans la faire tomber…

Dans le cadre de ses travaux, Emmanuelle Parent a parlé de nombreux jeunes utilisateurs de TikTok. Beaucoup ne publient pas du tout, mais ceux qui le font évoquent diverses raisons, dit-elle. Certains mentionnent aimer le processus créatif précédant la production de la vidéo. D’autres y voient une façon de s’exprimer, d’être vus, d’être écoutés.

« Comme adulte, on peut regarder ces comportements et se dire que, dans 10 ans, il va peut-être être gêné de sa danse, mais c’est important de ne pas faire sentir au jeune qu’on le trouve étrange de participer à ces tendances-là, parce que c’est typique de son époque », dit-elle.

Ouvrir la discussion

Par contre, lorsqu’il s’agit de défis dangereux, c’est une tout autre histoire.

Professeure au département d’études intégrées en éducation de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université McGill, Shaheen Shariff estime que tous les acteurs de la société ont une responsabilité pour prévenir des drames comme ceux qui ont coûté la vie aux deux fillettes américaines.

Les réseaux sociaux se doivent de faire une surveillance appropriée, de mettre en garde les utilisateurs ou de carrément retirer les vidéos montrant des comportements dangereux, estime Shaheen Shariff. L’école aussi doit contribuer à sensibiliser les enfants aux risques de suivre ces « tendances ». Enfin, dit-elle, les parents devraient ouvrir la discussion avec leurs enfants.

C’est difficile de tout surveiller, mais il faut au moins parler aux enfants du risque réel de participer à ce type de défis.

Shaheen Shariff, professeure au département d’études intégrées en éducation de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université McGill

Shaheen Shariff déplore le temps que les jeunes passent sur les réseaux sociaux alors qu’il y a tant à faire et à apprendre dans le monde extérieur. Depuis 20 ans, dit-elle, c’est devenu une façon culturelle de socialiser, mais aussi d’obtenir de l’attention.

« Je pense vraiment, mais vraiment que nous devrions veiller à ce que nos enfants ne deviennent pas de grands utilisateurs des réseaux sociaux et les inviter à être plus actifs socialement, dans la vraie vie », conclut-elle.