Cuisses. Épaules. Décolleté. Nombril. Fesses. Les codes vestimentaires à l’école envoient-ils le message aux jeunes filles que ces parties du corps ne doivent pas être visibles à l’école ? Et avec quelles conséquences ?

Rose Moisan-Paquet s’est intéressée de près aux codes vestimentaires dans son mémoire de maîtrise en sociologie déposé en février dernier, intitulé Expériences et perceptions des filles à l’égard des codes vestimentaires des écoles secondaires publiques québécoises.

Dans tout le débat qui occupe l’actualité ces jours-ci, ces questions reviennent : quels sont les objectifs du code vestimentaire scolaire ? Comment est-il vécu ? Ces interrogations sont centrales dans l’étude de Mme Moisan-Paquet.

« Ce qui est intéressant, c’est de comprendre ce que les codes vestimentaires actuels font, dit l’étudiante de 25 ans au doctorat en sociologie de l’Université Laval. Qu’est-ce qui est réglementé exactement et comment c’est vécu ? »

Pour bien comprendre la situation, Rose Moisan-Paquet a étudié sept codes vestimentaires d’écoles secondaires publiques au Québec et interrogé huit filles âgées de 17 à 19 ans ayant fréquenté d’autres établissements secondaires publics. Elle a aussi fait une mise en contexte : les codes vestimentaires existent depuis longtemps dans les écoles… et les revendications pour les modifier, les abolir ou les faire appliquer différemment aussi. Les premières contestations répertoriées ont eu lieu à l’école secondaire Robert-Gravel de Montréal, en 2016.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Rose Moisan-Paquet

C’est en 2003-2004 que les codes vestimentaires ont été resserrés. Ça venait à l’époque de tout le discours sur l’hypersexualisation du début des années 2000 : on se demandait où s’en allaient les jeunes, on disait que leur sexualité était débridée, amorale. La mode féminine était jugée sexy, et cela était présenté comme un problème.

Rose Moisan-Paquet

Le raccourci entre la « tenue des filles » et une « sexualité dépravée » est établi… même si ce n’est qu’une perception, rappelle l’étudiante en sociologie. « Plusieurs études démentent ce point. Les jeunes ont peut-être une vision plus progressiste, mais ils reproduisent les mêmes comportements sexuels qu’il y a 30 ou 40 ans ! »

Un exemple de cette tendance à juger la conduite d’une adolescente à son habillement ? Marylise*, élève de troisième secondaire de Québec, s’est fait renvoyer chez elle à cause d’un short jugé trop court. L’adolescente de 15 ans affirme que son enseignant lui aurait balancé au passage qu’elle avait l’air d’une « guidoune » habillée ainsi. « Je me suis sentie gênée, surtout que ç’a été dit devant plein d’autres élèves », confie-t-elle.

Qu’à cela ne tienne : les codes vestimentaires scolaires viennent encadrer la décence, le respect de certaines convenances et de normes morales. Mme Moisan-Paquet note dans son mémoire que les mots choisis sont souvent flous, laissant place à l’interprétation. « Cela ouvre la porte à une application subjective des règles », écrit-elle dans un chapitre consacré aux politiques vestimentaires scolaires vues sous la loupe du genre et de la sexualité.

Et c’est là que le bât blesse : l’application du code vestimentaire, conçu pour tous pourtant, vient encadrer la tenue… des filles. Cela revient à dire qu’il sert à « contrôler le corps des filles dans l’espace public », souligne Rose Moisan-Paquet.

Tammy*, 14 ans, de Montréal, illustre bien ce point : « Mon frère a porté des jeans avec des trous plusieurs fois à l’école. Je lui emprunte une journée et je me fais avertir, car les trous sont jugés trop haut et qu’on voit mes cuisses. J’ai dû retourner à la maison me changer, car je refusais de porter un pantalon dégueulasse des objets perdus… »

Iniquité, culpabilité et sentiment d’injustice

Selon Rose Moisan-Paquet, les codes vestimentaires posent des restrictions sur les vêtements « typiquement » féminins : la longueur de la jupe, la profondeur du décolleté, le port du legging, la largeur des bretelles de la camisole. Le seul vêtement unisexe visé : le short.

Mais ici encore, l’iniquité est bien réelle. « Mon frère et moi portons le même short pour l’équipe de volleyball de l’école », témoigne Amélie*, 16 ans, de Gatineau. « Je reçois avertissement par-dessus avertissement lors des pratiques, mais pas mon frère. Évidemment, le vêtement ne tombe pas de la même façon : on n’est pas faits pareils… »

Les réactions des filles averties ? Stress, humiliation, honte, culpabilité, colère. Et sentiment d’injustice. « Est-ce que mes études à moi comptent ? », se demande Maélie*, 15 ans, de Montréal, qui a dû manquer un après-midi d’école après avoir été avertie pour une jupe jugée trop courte qui pouvait « déconcentrer les garçons dans leurs études ».

L’un des plus gros enjeux liés à l’application du code est là, selon Mme Moisan-Paquet : la responsabilité revient… aux filles. Elles doivent « se gérer » et « faire attention »…

Bien qu’on soit après l’ère des dénonciations de violences sexuelles, qu’on pense au mouvement #metoo par exemple, on est encore dans une perspective de la responsabilisation des victimes, et non dans une responsabilisation des agresseurs.

Rose Moisan-Paquet

Est-ce que le code vestimentaire s’inscrit en ce sens ? Se justifie-t-il dans un regard masculin de la chose ? C’est ce que conclut l’étudiante dans son mémoire en écrivant : « Je soutiens que les codes vestimentaires des écoles publiques québécoises (re)produisent des inégalités non seulement genrées, mais également classisées et racialisées […] Les politiques vestimentaires scolaires représentent ainsi à la fois un mécanisme de domination des corps des filles et un dispositif de contrôle répressif de l’expression sexuelle féminine mis en place au nom d’un “regard masculin” essentialisé. »

Ce n’est pas parce que les adolescentes jugent les règles du code vestimentaire « obsolètes et humiliantes », dit Rose Moisan-Paquet, qu’elles se taisent. Elles sont bien conscientes de ce qui se passe. « Elles ont des choses à dire, martèle-t-elle. Elles ont un point de vue. Elles ne sont pas passives et elles se manifestent et revendiquent. »

* Toutes les jeunes filles qui ont témoigné pour cet article l’ont fait sous le couvert de l’anonymat, de peur de représailles à l’école.

Lisez le mémoire de maîtrise de Rose Moisan-Paquet