Anna Delvey, Elizabeth Holmes, Simon Leviev : les arnaqueurs et les manipulateurs sont au centre de plusieurs productions audiovisuelles cette année. Comme téléspectateur, on a tendance à se croire à l’abri de ces escroqueries parfois éhontées, commises par des personnages sans scrupule. Mais le sommes-nous vraiment ?

Les histoires d’escroqueries inspirées par des faits vécus ont le vent dans les voiles sur les plateformes numériques. Depuis le début de l’année, les abonnés de Netflix ont pu regarder L’arnaqueur de Tinder, documentaire sur les manipulations de Simon Leviev, Israélien qui rencontrait des femmes sur Tinder, les couvrait de luxe et leur soutirait ensuite de l’argent. Netflix propose aussi L’invention d’Anna, qui raconte le parcours d’Anna Delvey, née Sorokin, Russe qui se faisait passer pour une riche héritière allemande et qui a escroqué de jeunes New-Yorkais de la haute société. Sur Disney+, la série The Dropout relate la chute d’une autre femme — Elizabeth Holmes — qui a réussi à convaincre bien des gens d’investir des millions de dollars dans une technologie d’analyse sanguine révolutionnaire… n’ayant jamais fonctionné.

Les personnages d’Anna Delvey, d’Elizabeth Holmes et de Simon Leviev sont tous différents, les fraudes qu’ils ont commises le sont aussi, mais ils ont tout de même des points en commun, souligne l’autrice, conférencière et psychothérapeute Isabelle Nazare-Aga.

Ils sont en quête de prestige, de richesse, de célébrité, et ils semblent n’avoir aucun scrupule à utiliser les autres pour arriver à leurs fins.

« Le processus de l’arnaque est un jeu pervers avec un seul joueur, résume Isabelle Nazare-Aga, autrice du livre Les manipulateurs sont parmi nous. Les autres membres ne sont que des pions sur l’échiquier. »

Isabelle Nazare-Aga constate aussi chez les trois personnages un ego « extrêmement grand », qui n’est pas sans rappeler la pathologie narcissique.

Psychologue et expert psycholégal, Hubert Van Gijseghem souligne qu’il n’existe pas de portrait-robot pour décrire ces manipulateurs et ces arnaqueurs, mais que dans le DSM (un ouvrage de classification des troubles mentaux), on les connaît surtout sous l’appellation de trouble de la personnalité narcissique ou de trouble de la personnalité antisociale.

PHOTO BETH DUBBER, FOURNIE PAR HULU

Amanda Seyfried incarne le personnage inspiré par Elizabeth Holmes dans The Dropout.

« Ce sont de grands manipulateurs qui sont à la recherche de pouvoir, de plaisir, d’argent, de sexualité, et qui présentent un manque d’empathie total », explique Hubert Van Gijseghem, qui note aussi chez eux un sentiment de grandiosité. Tandis que l’antisocial est prêt à tout — y compris la contrainte et l’agression —, le narcissique utilise davantage le charme et la séduction pour atteindre ses buts, dit-il.

Enfin, Isabelle Nazare-Aga souligne que les trois personnages — Anna Delvey, Elizabeth Holmes et Simon Leviev — ont tous du bagou. « Ils ont une force de persuasion inhabituelle, qui n’est pas basée sur la logique et la rationalité, mais plutôt sur le rêve », résume-t-elle. Notons qu’Elizabeth Holmes avait le souhait de changer le monde, rien de moins.

À l’abri ?

Comme psychothérapeute, Isabelle Nazare-Aga a accompagné plusieurs victimes de manipulateurs. Et souvent, note-t-elle, ces personnes ressentent de la rage envers elles-mêmes. Elles se sentent coupables d’être tombées dans le panneau, d’avoir cru les gens qui les ont manipulées.

Pourtant, Isabelle Nazare-Aga et Hubert Van Gijseghem s’entendent sur un point : personne n’est vraiment à l’abri.

« Toute personne normale est susceptible d’être dupée, parce que nous vivons tous avec une certaine insécurité, un certain sentiment d’incomplétude, explique Hubert Van Gijseghem. Nous sommes fascinés par ces êtres qui ont l’air si sûrs d’eux, qui se promènent avec cet air de supériorité, et qui ont ce charme auquel nous ne résistons pas parce que nous aimons nous frotter à quelqu’un qui a l’air si supérieur, si complet. »

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Simon Leviev

« En général, quand on veut y croire, c’est parce qu’on a espoir de changer quelque chose dans notre vie, poursuit Isabelle Nazare-Aga. Et ça, c’est totalement humain. »

Les arnaqueurs n’utilisent pas seulement les mots pour convaincre ; ils s’arrangent aussi pour être appuyés par les faits, souligne Isabelle Nazare-Aga, qui pense à Simon Leviev, qui allait cueillir ses victimes en limousine. « L’arnaqueur a sa légende et il n’en démord pas. »

Malheureusement, les troubles de la personnalité narcissique ou antisociale demeurent difficiles, voire impossibles à traiter.

« Les gens dont on est en train de parler ne sentent pas qu’ils ont des failles et sentent encore moins qu’ils ont besoin d’aide, résume Hubert Van Gijseghem. Et quand ils échouent — ce qui est quand même souvent le cas —, ils ne se mettent jamais en doute. C’est toujours la faute de tel ou tel autre imbécile. »