Louis-Philippe Pratte est designer de produits. Dans son essai La méthode Y – Penser et vivre la déconsommation, il dénonce la responsabilité des designers dans ce consumérisme effréné qui avale la planète et convie à une réflexion pragmatique et philosophique sur les dérives de notre propre consommation.

« Nous [les designers de produits] sommes coupables. Nous sommes en réalité au cœur même du crime. » Dès les premières pages de son premier essai, Louis-Philippe Pratte laisse tomber les gants blancs. Les designers industriels, un groupe dont il ne s’exclut pas, participent à une obsolescence formelle programmée qui nous incite immanquablement à davantage consommer. « Nous sommes aux premières loges de ce fléau, car nous savons comment vous faire aimer un produit pour vous en désintéresser dans un an », écrit-il.

Votre voiture, modèle de l’année 2018, semble sortie d’une autre époque ? C’est voulu. Lorsque vous l’avez achetée, la prochaine génération était probablement déjà dessinée, explique-t-il. De sorte qu’au moment du lancement de cette dernière, la vôtre paraisse désuète. Dans le cadre de sa maîtrise en design automobile en Allemagne, il a eu la chance d’effectuer un long stage chez Mazda. Malgré la note parfaite reçue pour son mémoire de maîtrise, il a abandonné son rêve pour rentrer au bercail, n’ayant plus la conviction que ce métier en valait la peine.

Après un passage à l’agence Sid Lee, il fonde en 2009 À Hauteur d’homme, une entreprise qui crée du mobilier écologique. Cette réflexion sur la responsabilité des designers et sur la nécessité de créer des produits durables, requérant moins de matières et réparables ne l’a jamais quittée. « C’est nous qui créons la consommation. Ce n’est pas un détail, et je ne suis pas sûr que les designers soient conscients de ça. On a l’obligation de regarder notre profession avec un regard critique. Mais c’est complexe, parce qu’on veut vendre. Si je ne vends plus, je n’ai plus de travail. Mais j’incite quand même mes clients à se demander s’ils ont besoin de tout ça et s’ils ne pourraient pas faire avec moins. » À ceux qui expriment le besoin d’avoir plus de rangement dans leur future cuisine (90 % de ses clients, estime-t-il), il demande de faire l’exercice de noter les objets qu’ils utilisent dans une semaine.

Parce que plus de rangement veut aussi dire plus de caissons, donc plus de matériaux, un coût plus élevé et une empreinte environnementale plus grande.

Bien sûr, il est contre-intuitif pour un entrepreneur de suggérer à ses clients d’acheter moins. Mais, le constructeur automobile qui développerait une voiture deux fois plus légère qui dure deux fois plus longtemps y trouverait une clientèle, croit Louis-Philippe Pratte. « Je pense qu’un produit peut avoir de la personnalité et durer », affirme-t-il. Pour ce faire, il faut aussi réfléchir à la façon dont notre ego s’exprime à travers les sources d’identification que sont les produits. « Il est là, le pouvoir d’un produit, souligne-t-il. Pour certains, c’est l’automobile ; pour d’autres, les vêtements. Pour certaines personnes, c’est avoir un vieux téléphone qui est humiliant. »

Lui, ce sont les voitures. Aussi critique qu’il puisse être envers cette industrie, il ne se dit pas prêt à s’en affranchir. « J’ai une auto hybride. J’ai de la misère à lâcher ça. Être dans une vieille minoune, ouf, c’est pas facile ! » On a tous nos faiblesses, enchaîne-t-il, et c’est pourquoi la méthode qu’il propose est progressive, pas du tout radicale, et laisse la place aux imperfections.

Le principe du Y

En bon designer qu’il est, il l’a nommée Y, un symbole tout en formes pour synthétiser son message. C’est la croisée des chemins et la nécessité de faire des choix. Il y a deux portes d’entrée : la réduction de notre consommation et l’union (les relations interpersonnelles). Selon notre situation de vie, il propose de choisir trois éléments sur lesquels travailler, par exemple, l’utilisation de sa voiture, sa consommation de viande, ses achats en ligne, sa quantité de déchets ou ses déplacements en avion. On commence par diviser par deux, puis, éventuellement, encore par deux, et cetera. Et ce, sans jamais perdre de vue les gains que cette démarche nous apporte.

Réduire juste pour réduire, sur le plan rationnel, ça ne peut pas être durable. Ça ne peut pas être l’entièreté de l’équation. Il faut qu’il y ait un gain quelque part. Est-ce que ça nous permet de dégager de l’argent pour un projet ou d’avoir du temps pour apprendre quelque chose ?

Louis-Philippe Pratte, designer

L’union, quant à elle, fait référence à l’aspect relationnel. « C’est créer un moment, et partager aussi l’achat d’un produit. » Et ces deux éléments se rejoignent dans une verticale qui symbolise l’éloignement de l’ego et le chemin vers la « désidentification ».

Une route qui est longue et qu’il est encore bien loin d’avoir traversée. « C’est un long processus. Je me bute encore à toutes sortes de désirs, mais un des principaux changements que je constate, c’est que j’attends. Je prends vraiment plus de temps [avant de faire un achat], puis souvent, ça passe. Je sais que j’ai encore plein de travail à faire. Mais je trouve plus intéressant d’aller dans cette direction que dans l’autre. »

La réduction a aussi besoin des designers, plaide-t-il. Pour la rendre séduisante et invitante comme ce livre, très joliment formaté.

La méthode Y – Penser et vivre la déconsommation

La méthode Y – Penser et vivre la déconsommation

Cardinal

208 pages