Olha et ses deux fillettes, qui habitent près d’Odessa, en Ukraine, se sont réfugiées en France après que la guerre eut éclaté. De là, Olha a fait une demande de visa temporaire pour venir s’installer au Canada le temps que la paix revienne dans son pays d’origine.

Sur Facebook, la jeune mère a publié une annonce pour trouver un hébergement temporaire à Montréal qui sera prêt lorsque ses filles et elle poseront leurs valises.

Sa publication a été partagée plus de 26 000 fois sur le réseau social. Olha et son mari, Dmytro, ont reçu plus de 1000 messages privés de personnes souhaitant leur offrir de l’aide de toute sorte : logement, travail, nourriture, vêtements pour enfant…

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE FACEBOOK

Dmytro, Olha et leurs deux filles

Joint au centre de l’Ukraine, Dmytro, qui parle très bien français, s’est dit à la fois ému et abasourdi par l’empressement des Québécois à vouloir les aider. L’homme de 27 ans a demandé de taire son nom de famille et celui de sa femme pour des raisons de sécurité. Comme les hommes n’ont pas le droit de quitter le pays, Dmytro se trouve toujours en Ukraine en espérant pouvoir retrouver les siens bientôt.

« On ne s’attendait pas à ce qu’autant de gens répondent à cette publication », confie Dmytro, qui indique qu’ils tentent de répondre à tous ceux qui leur écrivent pour les remercier. Déjà, quelques endroits où la famille pourrait s’installer ont été repérés. « Tout ça me fait croire qu’il y a encore de bonnes personnes, gentilles, agréables, dit Dmytro. Ça me fait croire, encore, en l’humanité. »

60 000 demandes

Depuis le 17 mars, les Ukrainiens peuvent présenter une demande de résidence temporaire pour venir séjourner au Canada pendant trois ans. Il s’agit d’un nouveau programme simplifié au traitement accéléré. Les Ukrainiens pourront obtenir un permis de travail sans frais ou encore étudier au Canada. Les gouvernements canadiens et québécois ont annoncé qu’ils ne restreindraient pas le nombre de demandes.

En date du 26 mars, Immigration Canada avait déjà reçu quelque 60 000 demandes pour ce programme spécial. Comme l’évaluation des dossiers prendra de deux à trois semaines, les premières vagues d’immigrants ukrainiens temporaires devraient arriver au Canada à partir du 1er avril. Il est difficile de savoir combien d’entre eux opteront pour le Québec, qui compte huit fois moins de descendants ukrainiens que l’Alberta et l’Ontario.

Mais déjà, comme l’ont fait bien des Européens depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, de nombreux Québécois lèvent la main pour leur ouvrir leur porte.

C’est le cas de l’ex-conseiller municipal Richard Ryan, qui s’apprête à partir en voyage quatre mois en Espagne. Au lieu de louer son appartement du Mile End pendant ses vacances, il préfère y loger gratuitement des Ukrainiens. Il l’a donc proposé à quelques familles ukrainiennes qui ont publié une demande d’aide sur le groupe Facebook CANADA – Host Ukrainians/Hébergeons les Ukrainiens.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Richard Ryan

« Ça va être ma contribution personnelle, dit Richard Ryan. Je ne serai pas sur place, mais j’ai un grand réseau – ça fait 35 ans que j’habite le quartier. Et il y a du monde fantastique dans le quartier qui pourra les aider. »

« Ça me fait chaud au cœur de voir cette mobilisation pour aider les Ukrainiens », ajoute M. Ryan, qui a été intervenant en immigration pendant plusieurs années.

Danielle Bourgault et son conjoint – deux retraités – souhaitent eux aussi accueillir une famille ukrainienne dans leur grand condo de Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec. Leurs enfants sont partis de la maison, ils ont de la place.

« C’est une grosse responsabilité et on est conscients de ce que ça implique, dit Danielle Bourgault, révoltée par la guerre en Ukraine. Notre rôle, ce sera d’être leur filet de sécurité à leur arrivée au Canada. »

Selon Michael Shwec, président du conseil du Québec du Congrès des Ukrainiens canadiens, les Québécois et les Ukrainiens ont beaucoup en commun. « Les Québécois donnent deux becs, les Ukrainiens en donnent trois. On est du monde généreux, chaleureux, qui veut aider. Et quand on veut aider, on ouvre nos portes. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Michael Shwec, président du conseil du Québec du Congrès des Ukrainiens canadiens

Comment être utile ?

Des Ukrainiens comme Olha et Dmytro préfèrent établir des liens directs avec des Québécois avant leur arrivée, mais d’autres arriveront à l’aéroport Montréal-Trudeau sans avoir de plans d’hébergement. Évidemment, personne ne se retrouvera à la rue : il existe déjà un réseau bien établi pour accueillir les réfugiés et les demandeurs d’asile. Ces ressources seront aussi mises à la disposition des Ukrainiens qui en auront besoin.

Québec a annoncé la semaine dernière qu’un stand sera installé à l’aéroport Montréal-Trudeau pour accueillir les immigrants ukrainiens et leur expliquer les services qui leur sont offerts (aide financière de dernier recours, assurance maladie, etc.). À l’instar des réfugiés, ils pourront bénéficier d’un hébergement temporaire (généralement quelques jours à l’hôtel). Des organismes partenaires les aideront ensuite à trouver un logement permanent – le nerf de la guerre.

Est-ce que les Québécois qui souhaitent accueillir des Ukrainiens pourront être utiles ?

« Je pense que, dans le court terme, ça va combler un besoin », dit Michael Shwec, du conseil du Québec du Congrès des Ukrainiens canadiens. Sur son site internet, l’organisation recueille les noms des gens qui souhaitent faire du bénévolat pour soutenir l’Ukraine. À ce jour, plus de 2000 personnes ont rempli le formulaire, dont la moitié sont prêtes à loger des gens chez eux. Cette liste sera remise aux autorités municipales et provinciales.

Consultez le formulaire de bénévolat

« C’est sûr que les organismes vont pouvoir piger dans la liste, indique Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes. Ce qu’on recherche, surtout, ce sont des logements entiers à louer. »

M. Reichhold souligne que l’hébergement chez l’habitant pose un risque en matière de sécurité pour les Ukrainiens qui arriveront au pays – en grande majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées. En Europe, des cas d’agressions sexuelles à l’endroit d’Ukrainiennes vulnérables ont été signalés.

Le souhait, ce serait que les autorités compétentes puissent vérifier les antécédents des gens qui figurent sur la liste. M. Shwec encourage les organisations et les municipalités qui ont leurs propres listes à faire de même.

Enjeux de sécurité

Plusieurs Ukrainiens établissent des liens avec des hôtes potentiels sans intermédiaire, sur des plateformes en ligne comme icanhelp.host, UkraineTakeShelter.com et shelter4ua.com, ou encore sur des groupes Facebook.

Comme le jumelage représente un grand défi organisationnel, ces façons de faire simplifient les choses. Toutefois, il revient aux réfugiés de vérifier le profil des hôtes et aux hôtes de vérifier la légitimé des réfugiés (attention aux escroqueries !). Les plateformes en ligne et les groupes Facebook proposent souvent des politiques de sécurité.

Sur le groupe Facebook CANADA – Host Ukrainians/Hébergeons les Ukrainiens, un homme aurait récemment offert à trois Ukrainiennes d’une vingtaine d’années de payer leurs billets d’avion pour les faire venir au Canada. Des membres du groupe ont fait part de leurs « suspicions » et se sont mobilisés pour trouver une solution de rechange, plus sûre. Les administrateurs du groupe Facebook, qui sont intervenus dans le dossier, n’ont pas répondu aux demandes d’entrevue de La Presse.

« Si Roger, au coin de ma rue, trouve une femme sur Facebook, lui paie son billet d’avion et va la chercher à l’aéroport de Dorval, personne n’en saura rien », résume Michael Shwec. Selon lui, si le gouvernement dépêchait des avions pour évacuer les Ukrainiens vers le Canada (comme il l’a fait, par exemple, en Syrie), il serait plus facile d’assurer la sécurité des Ukrainiennes.

Par ailleurs, des familles immigrantes pourraient avoir besoin d’un encadrement et de soutien, souligne Michael Shwec, selon qui il reste des fossés à combler. « Ce sont surtout des mamans et des enfants qui vont venir, qui ne savent pas si leur mari est vivant ou non », rappelle-t-il.