Quelle place est faite aux femmes trans dans la célébration de la Journée internationale des droits des femmes ? Se sentent-elles vues et entendues, tant lors de cette journée que dans le discours féministe en général ? La Presse a posé ces questions aux principales concernées.

Gabrielle Bouliane-Tremblay, actrice et autrice, se sent incluse et considérée lors de la Journée des droits des femmes (elle mentionne notamment l’invitation de Marie-Lise Pilote pour son spectacle Femmes ensemble, en mars 2017). Elle confie toutefois se sentir aussi « un peu plus vulnérable » le 8 mars. « On a tellement pris l’habitude de se défendre que ça reste dans nos os, dans nos muscles, dans notre façon de bouger, notre façon d’être et notre façon d’aborder une journée comme celle-ci où il faut des fois se justifier. »

Elle rappelle que « certaines personnes ne considèrent pas les femmes trans comme de vraies femmes et il y a des organismes et des gens qu’on appelle des TERF [trans-exclusionary radical feminist – une mouvance transphobe du féminisme]. [Leurs discours] me blessent énormément parce que c’est comme nous mettre dans une case à part et nous regarder de haut. Ça nous enlève notre humanité, notre dignité. Et souvent, ce sont des gens qui crient très fort et qui sont entendus. C’est dommageable pour toute une communauté qui est déjà super ostracisée. »

« Un principe de base du féminisme, c’est qu’il ne devrait pas y avoir de hiérarchisation des êtres humains en fonction de la biologie, souligne Ariane Marchand-Labelle, qui n’est pas une femme trans, mais qui s’exprime en tant que directrice du Conseil québécois LGBT. Le féminisme remet en question les rôles genrés traditionnels, ce qui est aussi ce que le mouvement trans fait. »

PHOTO MAUDE TOUCHETTE, FOURNIE PAR LE CONSEIL QUÉBÉCOIS LGBT

Ariane Marchand-Labelle, directrice du Conseil québécois LGBT

Les femmes trans vivent en plus de façon exacerbée plusieurs des problématiques dont le mouvement féministe parle dans cette journée, comme le harcèlement de rue, les violences conjugales, la discrimination à l’emploi.

Ariane Marchand-Labelle, directrice du Conseil québécois LGBT

Selon Gabrielle Bouliane-Tremblay, « les personnes cis[genre] ont une responsabilité, en tant qu’alliés, de faire rayonner la transidentité à travers le féminisme », que ce soit pendant la Journée des droits des femmes ou n’importe quel autre jour de l’année. « Parce qu’un féminisme qui n’est pas inclusif n’est pas un féminisme pour moi, dit-elle. Je pense que les alliés ont de plus en plus vraiment pris conscience de l’importance qu’ils ont dans notre révolution, dans notre épanouissement. »

Une évolution, mais beaucoup de travail à faire

Pour Sophie Labelle, écrivaine et militante, des personnes dans les communautés trans sont « découragées de la transphobie ordinaire » qui ressort de la Journée des droits des femmes. « Les femmes trans ne sont le plus souvent qu’une pensée secondaire », remarque-t-elle.

Selon elle, « écouter des discours durant cette journée s’apparente souvent à un champ de mines. Je crois toutefois qu’il existe de part et d’autre des mouvements féministes une volonté d’écoute et d’apprentissage, même si ça peut parfois paraître long lorsqu’il s’agit littéralement d’une question de survie ».

« Étant une artiste dont l’art est résolument féministe, il se passe rarement une année sans que je sois invitée à prendre la parole en lien avec le 8 mars », souligne Sophie Labelle.

Dans « le meilleur des mondes », les femmes trans seraient toujours incluses dans le mouvement féministe, dit l’artiste, toutefois prudente dans son optimisme.

PHOTO JULIE ARTACHO, FOURNIE PAR SOPHIE LABELLE

Sophie Labelle, écrivaine et militante

Je ne peux pas m’empêcher de me dire, à force de voir les droits des personnes trans reculer un peu partout sur la planète, qu’il ne faudrait qu’une étincelle pour que tout ce travail parte en fumée.

Sophie Labelle, écrivaine et militante

Les choses ont évolué au courant des dix dernières années pour la cause des personnes trans, souligne Gabrielle Bouliane-Tremblay. « La transidentité est beaucoup plus acceptée, donc médiatiquement, il y a beaucoup plus de personnes qui prennent la parole. » Mais l’effort d’inclusion est loin d’être encore suffisant. Chaque jour, « on doit faire plus d’efforts pour propager ce message de diversité, pour permettre moins de violence, mais aussi permettre aux gens d’avoir un sentiment d’empuisssancement ».

L’autrice et actrice en vient finalement à « un adage vieux comme le monde » : vivre et laisser vivre. « C’est super simple et c’est une évidence, dit-elle. Avant de juger, il faut écouter. On a deux oreilles et une bouche, on devrait écouter deux fois plus qu’on parle. » Ainsi, avance-t-elle, on comprendrait mieux pourquoi il est impératif de célébrer et défendre les femmes trans lorsque l’on célèbre et défend toutes les femmes.