À mesure que la pandémie se résorbe, beaucoup s’imaginent repartir à la conquête du monde… Or, si la crise sanitaire s’atténue, celle du réchauffement climatique devient chaque jour plus pressante, comme vient encore de le rappeler un rapport du GIEC. Peut-on exaucer ses envies d’ailleurs sans mettre à mal l’avenir de la planète ?

La crise climatique s’emballe et la fenêtre « se referme rapidement pour assurer un avenir viable », a prévenu lundi dernier le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Pour éviter un réchauffement catastrophique, l’heure est aux sacrifices, insistent scientifiques et environnementalistes, et les voyages non essentiels en avion devraient faire partie des choses auxquelles il faut renoncer. Tout de suite.

« Le rapport du GIEC est probablement le plus dévastateur qu’on a eu à ce jour, lance Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada. Il faut réduire de moitié nos émissions dans tous les secteurs, y compris l’aviation, d’ici huit ans. Penser qu’on peut continuer sur la même erre d’aller, c’est l’équivalent de se mettre la tête dans le sable. »

Lisez l’article « La crise climatique plus rapide et plus forte qu’anticipée »

Un aller-retour Montréal-Paris produit environ 2 tonnes de gaz à effets de serre (GES) par passager, ce qui correspond à 850 L d’essence, soit plus de la moitié de la consommation annuelle moyenne d’une voiture au pays, révèle le calculateur de Ressources naturelles Canada. À ce jour, l’aviation est responsable d’environ 3,5 % de toutes les émissions de GES, estime le Global Carbon Project. Ça peut sembler peu, mais elles sont en progression constante. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) prévoit qu’entre 2015 et 2050, ces émissions pourraient quadrupler.

Les crédits de carbone, « une fausse solution »

Aucune technologie ne permettra de réduire dans un proche avenir l’empreinte écologique des avions, soutient Greenpeace. Les carburants « verts », issus de la captation de carbone, comme celui élaboré par le consortium SAF+, à Montréal, sont un leurre, estime Patrick Bonin. « Ce type de carburant permet de remplacer seulement une petite partie du kérosène traditionnel, ce qui limite beaucoup le potentiel de réduction des émissions. »

L’achat de crédits de carbone pour compenser les émissions d’un voyage ne convainc pas davantage Greenpeace. « C’est une fausse solution, dit M. Bonin. Ça reste une dangereuse diversion au moment où il faut réduire le nombre de vols. » Un arbre planté demain aura besoin de plusieurs années pour capter les émissions de carbone d’aujourd’hui, précise le porte-parole.

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Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile de l’UQAM

Il ne suffit pas de dire : je peux payer des crédits, donc je fais ce que je veux. Il n’y aura jamais assez d’argent sur la planète pour payer pour tous les dommages qu’on lui impose.

Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile de l’UQAM

Dans un contexte où il n’existe pas de solution de rechange aux carburants polluants, la reforestation demeure une « compensation vertueuse », maintient l’agence Voyageurs du monde Canada, qui affirme sur son site web « absorber » 100 % du carbone émis par ses clients et ses employés. Le directeur adjoint de l’entreprise, Loïc Di Dio, rappelle en outre que les voyages participent au développement économique de nombreux pays, au rapprochement des peuples et à leur ouverture d’esprit. « Il ne faut pas arrêter totalement les déplacements, dit-il. Et l’avion reste nécessaire pour traverser l’océan. »

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Un voyageur qui choisit de voler pourrait-il « gérer » son budget carbone et adopter, par exemple, les transports en commun ou renoncer à une deuxième voiture en contrepartie d’un voyage annuel ?

Un privilège

Le voyage procure du bien-être, reconnaît Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre, mais prendre l’avion reste un privilège réservé à une petite minorité de la population mondiale... qui a des conséquences pour tout le monde. Pour la planète, mieux vaudrait sans doute conserver les habitudes pandémiques et prendre ses vacances moins loin, et prendre le train quand c’est possible.

Et si on tient à voyager par les airs ? « Alors il faut être honnête et le faire en toute connaissance de cause », dit Mme Thorpe. Un voyageur qui choisit de voler pourrait-il « gérer » son budget carbone et adopter, par exemple, les transports en commun ou renoncer à une deuxième voiture en contrepartie d’un voyage annuel ? « C’est une idée intéressante », observe Mme Thorpe, qui insiste sur l’importance de l’engagement de tous pour réaliser la transition écologique.

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Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre

Avant la pandémie au Canada, 22 % de la population effectuait 73 % des vols, estime l’organisme britannique Possible. Les sacrifices des grands voyageurs devront donc être plus importants, avance Colleen Thorpe. Et pour éviter que tout repose sur des choix individuels, poursuit-elle, les gouvernements devraient décourager les voyages en série, en particulier dans le monde des affaires, car le télétravail a prouvé l’inutilité de la plupart des déplacements.

« Pour aller à Pékin ou à Tokyo, la meilleure façon, c’est l’avion, estime Mehran Ebrahimi. Mais un vol Montréal-Toronto, pour rencontrer deux ou trois clients, c’est une aberration. » En investissant dans des transports collectifs plus verts pour des trajets plus courts, comme les trains rapides, ajoute-t-il, les gouvernements contribueraient à une baisse notable des émissions globales.

Chose certaine, « il faut moins voyager », rappelle Mme Thorpe. Pour empêcher une crise climatique désastreuse, « le GIEC nous le dit, on a besoin de faire des transformations en profondeur, pas en surface. Prévenir ou subir, c’est ce choix-là qui est devant nous ».

Plus vert de naviguer ?

Mettre le cap sur l’Europe à bord d’un paquebot plutôt que d’un avion serait-il plus vert ? Le Queen Mary 2 relie déjà New York à Southampton, au Royaume-Uni. Or, le voyage est non seulement plus long et cher, mais selon l’ONG Climate Care, le paquebot émet 430 g de CO2 par passager-mille, soit deux fois plus qu’un avion. Un voyage à bord d’un navire marchand pourrait être un choix plus écologique, car il prendra la mer avec ou sans passager. Le trajet se fait toutefois en huit jours environ, et les places comme les départs restent très limités. Les sociétés française Neoline et suédoise Wallenius annoncent la mise à l’eau prochaine de voiliers de marchandises qui n’émettront pas de GES (ou presque). Des passagers pourraient-ils embarquer aussi ? Ça reste à voir, mais il est bon de noter que l’Oceanbird de Wallenius prévoit passer de l’Europe à l’Amérique en 12 jours. Pas évident quand on a deux ou trois semaines de vacances...

En savoir plus
  • Entre 2 % et 4 %
    C’est l’infime proportion de la population mondiale qui est montée à bord d’un vol international en 2018, selon une étude parue en 2020 dans Global Environmental Change.
    Global Environmental Change
    1 % pour 50 %
    Selon la même étude, 1 % de la population mondiale émet 50 % du CO2 de l’aviation commerciale.
    Global Environmental Change