En tout, 65 % des Québécois souhaitent maigrir, 45 % disent être angoissés, stressés ou malheureux à cause de leur poids, et 37 % disent être obsédés par son contrôle, montrent les résultats d’un sondage Léger pour le compte d’ÉquiLibre dévoilés mardi. Des données préoccupantes pour cet organisme, alors que s’amorce pour beaucoup un retour de la vie sociale.

Pour l’organisme qui travaille à favoriser le développement d’une image corporelle positive, il n’y a pas de doute : la pandémie a exacerbé l’insatisfaction corporelle et nui à notre relation avec notre corps, notre alimentation et notre activité physique.

« Les données montrent que le tiers des répondants se disaient plus préoccupés par rapport à leur poids qu’avant la pandémie », note Andrée-Ann Dufour Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets chez ÉquiLibre. Mené sur le web en août dernier, le sondage a rejoint 1817 Québécois âgés de 14 ans et plus.

« Ça nous préoccupe parce qu’on sait que, souvent, quand les gens sont très préoccupés à l’égard de leur poids, ils vont avoir tendance à recourir à des méthodes pour essayer de le contrôler, des méthodes qui vont être efficaces rapidement, mais généralement pas à long terme, et qui peuvent comporter des risques pour la santé physique et le bien-être », poursuit-elle.

Depuis la pandémie, 18 % des répondants ont dit faire plus d’excès alimentaires ou se réconforter avec la nourriture, et 25 % se sentent coupables de ne pas mieux manger. Un même sentiment de culpabilité est observé par rapport à l’activité physique alors que 38 % se sentent coupables de ne pas en faire davantage.

« C’est palpable »

Psychologue clinicienne et fondatrice de Bien avec mon corps, organisme qui fait la promotion d’une image corporelle saine chez les jeunes et leur entourage, Stéphanie Léonard constate l’effet de la pandémie sur l’acceptation de soi. « C’est palpable, je veux dire, c’est exponentiel comment on a senti que la détresse et le malaise étaient présents. La pandémie a vraiment donné un coup dur à l’image corporelle. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphanie Léonard, psychologue clinicienne et fondatrice de Bien avec mon corps

Au-delà de l’équation « moins d’activité physique et plus de nourriture égale prise de poids », qui est à éviter selon Andrée-Ann Dufour Bouchard parce que trop « simpliste », il y a l’usage accru des visioconférences et des réseaux sociaux, qui a pu créer ou accentuer un sentiment d’insatisfaction par rapport à son poids.

On a aussi beaucoup parlé de poids et entendu parler de poids dans les médias, dans l’entourage, en raison du changement d’habitudes de vie lors des premiers confinements.

Andrée-Ann Dufour Bouchard, nutritionniste et cheffe de projets chez ÉquiLibre

« On a tellement été repliés sur nous-mêmes qu’on avait beaucoup moins de façons de se valoriser ou de se valider en tant que personne », ajoute Stéphanie Léonard, qui est spécialisée dans le traitement des troubles de l’alimentation, des comportements alimentaires et de l’image corporelle. « On s’est retrouvés à ruminer nos propres insécurités. Il y a aussi des industries qui nous ont mis un peu de pression en disant : c’est la pandémie, mais vous pouvez faire des cours d’activité physique en ligne, faire du pain, cuisiner. » Une « pression de performer sa pandémie », dit-elle, qui a accru le sentiment de culpabilité.

Bienveillance et autocompassion

Et maintenant que la vie sociale reprend et que de nombreux travailleurs seront rappelés au bureau, comment se préparer à affronter le regard des autres ? En août dernier, 19 % des répondants au sondage appréhendaient le fait que leur corps soit plus exposé au regard et aux commentaires d’autrui lorsque le confinement sera terminé.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Andrée-Ann Dufour Bouchard

« Ça aussi, c’est préoccupant de voir qu’on a tellement souffert d’isolement, qu’on peut enfin sortir, on est déconfinés, mais que la première chose à laquelle les gens pensent, ce n’est pas : “Je vais tellement revoir des gens que j’aime”, c’est : “Oh mon Dieu, je vais me faire juger parce que mon corps a changé” », déplore Andrée-Ann Dufour Bouchard.

Pour apprivoiser ce retour, il faut faire preuve de bienveillance et d’autocompassion, mais aussi en parler pour normaliser ce sentiment, conseillent les deux spécialistes.

« Si on a des collègues de qui on est assez proche, on peut faire part à l’avance de ses appréhensions, pour sentir qu’il y a quelqu’un qui nous soutient là-dedans ou qui peut nous épauler si jamais il y a certains commentaires, suggère Mme Dufour Bouchard. Et je pense que, pour les employeurs, ce serait une bonne idée d’instaurer un genre de politique “on ne fait pas de commentaires sur le poids et l’apparence des gens”, parce que ça n’a pas sa place, ni au retour au travail après un déconfinement ni jamais. »

Si possible, Stéphanie Léonard recommande d’y aller progressivement, afin de réapprivoiser le fait d’exposer notre enveloppe corporelle à la vue des autres. « Il y a beaucoup de gens qui m’ont dit : “Je vais me sentir à l’aise de réintégrer ma vie sociale quand je vais avoir perdu le poids que j’ai pris durant la pandémie.” Je leur dis plutôt : “Réintègre ta vie et tu vas réaliser que le poids que tu as pris n’est pas très important par rapport à ce que tu vas aller chercher dans ton lien avec les autres et dans la reprise d’activités qui te faisaient plaisir avant.” Mais ça, il faut le dire, il faut le nommer. »