Deux mois après la mort de leur fils de 11 ans, emporté par un cancer des os, Sabrina-Claudia Ferri et Sébastien Poupart vivent le rêve de Gabriel : ils viennent de s’envoler avec leurs deux plus jeunes enfants pour visiter Walt Disney World.

« C’est le début d’une nouvelle vie, à quatre », explique Sabrina-Claudia, une enseignante au primaire de 38 ans, à qui nous avons parlé quelques jours avant le départ de la famille. « Et même si elle ne me plaît pas tant que ça, cette vie-là, le voyage est une belle façon de venir marquer ce nouveau commencement : ce sera notre premier projet familial sans Gab. »

Après avoir reçu il y a un an un diagnostic d’ostéosarcome métastatique de stade 4, un cancer des os hyper agressif, Gabriel a été traité en chimiothérapie pendant deux mois avant que le verdict ne tombe, le 27 mai 2021 : il n’y avait plus rien à faire. Il lui restait six mois à vivre.

« Quand ça t’arrive, tu ne peux pas le croire, dit la mère. C’est très particulier de vivre en sachant que tu vas perdre ton enfant. C’est dégueulasse, en fait. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Gabriel

Le 7 décembre, à l’hôpital Sainte-Justine, entouré de ses parents et de sa sœur Romy-Olivia, 6 ans, et de son frère Mathis, 9 ans, Gab a doucement quitté la vie... laissant un vide immense. Un gouffre. Survivre à son enfant est anormal, contre nature. Et tabou.

« Quand tu te promènes dans le corridor de l’hôpital, ce n’est pas marqué dans ton front que ton enfant est en traitement, en rémission ou qu’il va mourir », raconte Sébastien, un développeur informatique de 40 ans. Sabrina-Claudia enchaîne : « On aurait aimé échanger avec d’autres parents qui vivaient la même chose, et demander : “Est-ce que ça se passe bien pour vous ? Comment ça va ?” J’aurais eu besoin de connecter avec des gens qui vivaient la même chose que nous. »

Manque de ressources

En temps de pandémie, alors que les visites et les contacts sont limités, les activités pour les parents endeuillés ou en voie de perdre un enfant, que ce soit dans les milieux hospitaliers ou communautaires, ont ralenti, voire disparu. Voilà une épreuve de plus qui a jalonné le parcours déjà pénible du couple.

À l’extérieur du centre hospitalier, il semble y avoir un “trou” dans l’offre de services de soutien. Il y a bien des ressources pour les parents quand leur enfant est en traitement ou qu’il est décédé... mais lorsqu’il est aux soins palliatifs, il n’y a rien, ou si peu.

Sabrina-Claudia Ferri

Elle précise que cela ne concerne pas ce qui se passe au département d’oncologie de Sainte-Justine : Sébastien et elle considèrent que l’équipe a été très présente, généreuse et bienveillante. « Le médecin de soins palliatifs, c’est une perle. »

Elle a déniché un seul livre sur le sujet à la bibliothèque (Jusqu’au bout de ta courte vie, publié en 2008 aux éditions La Presse, désormais épuisé) et dit avoir écouté un épisode de balado qui traite de la mort d’un enfant malade du cancer (Transfert, épisode 121). Pour le reste, elle sait que Leucan, qui accompagne la famille depuis l’annonce de la maladie de Gabriel, propose une foule d’activités pour les familles en deuil : cela va de séances de massothérapie à des ateliers pour la fratrie en passant par des rencontres de groupes sur Zoom.

Vague de solidarité

Entourés de leurs amis et de leurs familles, Sabrina-Claudia et Sébastien, qui habitent Repentigny, ont été submergés d’une vague de solidarité et de générosité cette dernière année, un « élan incroyable, qui [les] a beaucoup aidés », dit Sébastien. L’un des impacts inattendus ? Les trois enfants ont été « ensevelis » de cadeaux... au point que le couple a dû rectifier le tir.

« Donner des cadeaux, c’est super gentil, glisse Sabrina-Claudia, mais à un certain moment, ils étaient très gâtés et on n’aime pas trop mettre l’accent sur les biens matériels. Ça ne fait pas partie de nos valeurs. » Le couple a donc suggéré que ce grand mouvement de sympathie se traduise en sorties spéciales pour les enfants. Cette vague de solidarité à leur égard a fait « toute la différence », constate Sabrina-Claudia.

Freinée par la pandémie, la Fondation Rêves d’enfants a elle aussi dû modifier ses activités : les sorties et voyages ont été remplacés par... des dons en biens matériels. Qu’à cela ne tienne, les Poupart-Ferri n’ont pas abandonné leur rêve : visiter Walt Disney World en Floride en famille.

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Walt Disney World en Floride en famille

« Depuis 2015, on amasse nos sous pour ça », dit Sébastien.

Je ne sais pas si je voulais partir en voyage si vite après le décès de Gab, mais il y a quelque chose d’important dans le fait de vivre le moment présent, de faire des choses en famille, dès que l’occasion se présente.

Sébastien Poupart

« Ne pas attendre. La pandémie nous l’a appris et dans notre cas, c’est encore plus vrai », ajoute-t-il.

Pour la relâche scolaire, la famille est donc partie 10 jours pour visiter les quatre parcs thématiques de Disney, à Orlando. Un voyage symbolique, presque mystique. « Gab va rester figé dans le temps, note Sabrina-Claudia. Je voulais le faire pendant qu’il était dans l’âge de le faire, même si je sais que ça sonne étrange de dire ça... Je voulais faire le voyage qu’il aurait voulu faire à 11 ans. Et ça, c’est maintenant. »

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Mathis et Romy avec la petite figurine du guerrier qu'affectionnait leur frère Gabriel

Dans les bagages de la famille, il y a la petite figurine de valeureux guerrier qu’affectionnait Gab. Elle l’a accompagné tout au long des traitements – et elle ne quitte désormais plus les petites mains de son frère ou de sa sœur.

« Gab m’a demandé de ne pas pleurer, laisse tomber Sabrina-Claudia. Je ne peux pas tenir cette promesse, car pleurer fait partie de mon quotidien. Mais il nous a aussi demandé d’avoir une belle vie, une vie heureuse, tous ensemble, et ça, on est capables de le faire. Alors c’est ce qu’on va faire. »