Depuis mars, l’écrivaine populaire Lysa-Marie Comeau met sa plume gratuitement au service des Rosemontois. Elle remplit le recensement, rédige des CV et prend des rendez-vous en ligne pour ceux qui peinent à lire et écrire. Mais l’organisme Lettres en main, où elle travaille, sera bientôt morcelé, faute de pouvoir payer le loyer.

Deux fois par mois, Lysa-Marie Comeau fait la lecture du courrier à une femme en perte de vision. Parfois, elle s’occupe de réclamations d’assurances. Les mots sont l’outil de travail principal de l’écrivaine populaire. Au bout du fil, elle reçoit les appels aussi bien de personnes âgées que de gens analphabètes.

« C’est vraiment le contact humain que je préfère de mon travail », dit avec enthousiasme l’écrivaine populaire, rencontrée à l’organisme d’alphabétisation Lettres en main. Lorsqu’elle ne se rend pas à domicile, c’est ici qu’elle répond aux besoins de la population.

Si Lysa-Marie Comeau apporte beaucoup au quartier, elle constate que l’inverse est aussi vrai.

On fait vite des raccourcis dans nos têtes au sujet des gens. Le fait d’avoir un contact réel et de découvrir la personne derrière l’étiquette d’analphabète, ça me permet de défaire les préjugés que j’avais au départ.

Lysa-Marie Comeau

L’analphabétisme touche les gens qui éprouvent des difficultés à lire et à écrire. Une échelle de - 1 à 5 permet d’évaluer les niveaux de littératie. « Le niveau - 1 est pour quelqu’un qui ne sait pas du tout lire et écrire, explique le chef des services de la fondation pour l’alphabétisation, Slimane Saidj. On estime que pour qu’une personne puisse vraiment fonctionner en société, elle doit avoir un niveau 3. »

Pour les personnes analphabètes, le quotidien est rempli d’obstacles insoupçonnés aux yeux du reste de la population, souligne Marie Claire Sansregret, animatrice à Lettres en main. « Au sujet de la météo, une dame me disait qu’elle ne s’habillait jamais de la bonne façon. On ne lui avait jamais expliqué que si on annonçait des précipitations en haut de 0 °C, ce serait de la pluie et qu’en bas de 0 °C, ce serait de la neige », se rappelle-t-elle.

La pandémie n’a pas facilité le quotidien de ceux qui peinent à lire et à écrire. Le fait d’avoir à remplir une demande de PCU ou à faire son épicerie en ligne était alors trop difficile. Dans ce contexte, les demandes pour une écrivaine populaire ont explosé, raconte Marie Claire Sansregret. Un financement débloqué à temps a donné le coup d’envoi en mars dernier au projet d’écrivain populaire qui mijotait depuis un moment déjà.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’écrivaine populaire Lysa-Marie Comeau est présente à l’Espace 40e, dans le quartier Rosemont à Montréal.

Avec son petit balcon, sa cuisine et ses chambres, l’espace de Lettres en main a tout d’un appartement rosemontois typique à première vue. Mais c’est à cette adresse que des travailleurs viennent apprendre à lire et à écrire le soir. « On a pris la décision de couper avec le modèle scolaire qui représente une expérience difficile pour plusieurs, affirme Marie Claire Sansregret en désignant une chambre transformée en espace d’apprentissage. On voulait quelque chose de familial et convivial. »

Chauffeurs de taxi, préposés aux bénéficiaires ou couturiers, les profils des habitués de Lettres en main sont multiples. De LaSalle à Repentigny, les gens qui fréquentent l’organisme ne viennent pas que de l’est de la ville.

« Victimes de la bulle immobilière »

L’organisme qui fêtera ses 40 ans l’an prochain doit mettre la clé sous la porte à la fin de son bail, le 30 juin. « On est victimes de la bulle immobilière », se désole Marie Claire Sansregret. Le loyer est devenu trop coûteux pour les moyens de l’organisme. L’animatrice voudrait que les frais de locaux soient pris en charge par la Ville de Montréal. Joint par La Presse, le maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie n’a pas voulu accorder d’entrevue au sujet de Lettres en main.

Pour le moment, les animateurs veulent être mobiles. Ils seront accueillis par divers organismes communautaires. Mais ce déménagement n’est pas sans conséquence pour les membres qui sont habitués à se rendre au même endroit. D’autant plus qu’avec un local fixe, il est déjà difficile de rejoindre les gens qui ont besoin du service.

Certaines personnes ne veulent pas être étiquetées comme analphabètes.

Lysa-Marie Comeau

Avant la pandémie, les animateurs de l’organisme pouvaient se rendre dans les banques alimentaires pour rejoindre les gens. Maintenant, l’opération est plus ardue.

Pour Slimane Saidj, il est impératif que l’alphabétisation « soit accessible en tout temps et pour tous ». Les obstacles d’argent, de temps et de déplacement doivent être écartés pour les gens qui veulent se former. Il rappelle qu’un travail de prévention doit être fait dès le plus jeune âge.

Marie Claire Sansregret souligne la débrouillardise de certains participants pour briser le cycle de l’analphabétisme. « C’est impressionnant, ce que certaines femmes ont mis en place auprès de leurs enfants, note-t-elle. Elles demandent par exemple à leurs voisines pour l’aide aux devoirs. »

Consultez le site de Lettres en main