Le meurtre de George Floyd, survenu il y a un an, a ouvert les yeux du monde entier aux vécus noirs. De multiples voix s’élèvent désormais sans gêne pour dénoncer le racisme. Mais il en faudra plus pour espérer un réel changement, confient des femmes noires actives dans leur milieu. Nous avons parlé à quatre d’entre elles.

Naadei Lyonnais

Mannequin, animatrice

Le Québec ne traite plus les questions de racisme de la même façon depuis le meurtre de George Floyd, estime Naadei Lyonnais. « La différence n’est pas présente sous forme de résultats, mais de prise de conscience. » La jeune femme aborde désormais des sujets qu’elle tentait auparavant d’éviter par peur de déranger. Elle a décidé de ne plus laisser passer les microagressions quotidiennes et les commentaires douteux.

« J’ai été confrontée à une nouvelle réalité l’été dernier. Je faisais beaucoup d’actions pour me protéger, en fuyant des discussions inconfortables. L’inaction, ça se fait au détriment de ceux qui n’ont pas le luxe de se taire. Depuis l’été dernier, on ne peut plus être silencieux. Je n’ai pas eu le choix de mettre mes culottes en 2020. »

La société discute et nomme le racisme, mais elle n’est pas à l’étape d’un grand changement, nuance-t-elle. Un bout de chemin est parcouru : quand l’injustice raciale est dénoncée, l’écoute des gens est au rendez-vous.

Après avoir participé à la téléréalité Occupation double, Naadei Lyonnais aurait pu tomber dans l’oubli. Or, il y a une soif pour la différence, admet celle qui animera à l’automne la version québécoise de Love Island (L’île de l’amour). « J’utilise ces occasions avant que la vague passe. Mais je vais m’en servir pour ramener ma gang », dit-elle, le regard malicieux.

« Je suis consciente d’être ben, ben à la mode en ce moment. Je rentre dans certains codes et critères et c’est en partie pourquoi on me sollicite. J’ai un accent québécois, je viens de Rouyn-Noranda et je suis probablement la femme noire la moins confrontante dans les options. »

Il faut de la diversité dans la diversité et ça, ce n’est pas encore acquis.

Naadei Lyonnais

Elle craint que le vent de changement soit en perte de vitesse. « Je sens déjà la fatigue dans l’opinion publique. Les gens ont une capacité limitée à se faire confronter. Notre défi en 2021, ça va être de continuer le dialogue. »

Alicia Kazobinka

Conférencière et militante LGBTQ+

L’été 2020 a été marqué par un intérêt soudain pour les questions de racisme et ceux qui le subissent au quotidien. Mais quelques mois plus tard, la visibilité s’est estompée, estime Alicia Kazobinka, une femme trans noire qui milite depuis six ans pour les droits des personnes LGBTQ+.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Alicia Kazobinka

« C’est seulement dans un cadre spécifique qu’une personne noire considérée comme marginale peut faire partie de l’espace public et exposer son vécu. Il faut fitter dans le moule et ne pas déranger. » Dans les débats sociaux portés par le mouvement Black Lives Matter (BLM) l’été dernier, certaines voix marginalisées ont été mises de côté. « Je suis noire, je suis une femme et je suis transgenre. On m’appelle quand on veut cocher des cases, quand on a besoin de différence. »

Difficile de parler de changement quand on ne suit pas une démarche authentique, ajoute la femme de 31 ans.

Fin avril, une femme trans noire a été blessée dans le métro dans une altercation avec des agents de sécurité de la Société de transport de Montréal (STM).

Elle a été filmée, comme George Floyd. Pourtant, il n’y a pas eu le même intérêt de la part du public.

Alicia Kazobinka

Mais le meurtre de l’Afro-Américain a tout de même laissé des traces au Québec. Il y a eu une prise de conscience accompagnée d’une volonté de ne plus se taire face au racisme. « On se sent moins seuls quand on dénonce. Il y a moins de craintes à parler de ce qui nous dérange, car des voix vont se rallier à nous dans l’espace public ou sur la scène médiatique. C’est un grand pas en avant. »

Martine St-Victor

Stratège en communication, chroniqueuse

Les occasions de s’exprimer se multiplient pour les personnes noires depuis l’été dernier, remarque Martine St-Victor. Le changement depuis George Floyd, il est dans la multiplicité des voix.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Martine St-Victor

Elles sont entendues, mais encore faut-il qu’elles soient écoutées… et payées à leur juste valeur. Les attentes ne sont pas encore comblées : égalité des chances, hommes et femmes noires à des postes de haute direction, représentation juste et authentique dans la culture populaire et l’espace public.

Il y aura des héritiers québécois issus du mouvement BLM de l’été dernier. Ils feront partie du tissu social de la province et de son univers médiatique.

Martine St-Victor

Les gens ont l’oreille plus sensible, reconnaît-elle. « Il y a l’ouverture des gens qui voulaient faire mieux au départ. Mais il y a des entreprises ou des décideurs pour qui c’est de la frime. »

« Beaucoup de personnalités publiques noires ou de nouveaux venus ont reçu plus d’offres depuis l’été dernier. Souvent ces occasions frôlaient l’instrumentalisation. On a dit non plus souvent qu’on a dit oui, faute de démarche authentique. » Le respect et le sérieux se mesurent en dollars et en occasions durables, plaide Mme St-Victor.

« Il est trop tôt pour parler de bilan. Le vrai changement, ça prend du temps », explique-t-elle. Un an plus tard, on voit du mouvement, mais aussi du travail à faire. « Des gens se battent pour [l’égalité] depuis 1968. La chanson What’s Going On de Marvin Gaye souffle ses 50 bougies cette année, mais les paroles auraient pu être écrites mardi dernier. »

Aïsha Vertus, alias Gayance

DJ, productrice

« Après George Floyd, je suis devenue l’amie noire de pas mal tout le monde », explique Gayance. On lui demandait son avis sur tout ce qui touche le racisme ou la culture noire. « Au lieu de faire le travail d’introspection, des gens me demandent si ceci ou cela est acceptable. »

PHOTO FOURNIE PAR GAYANCE

Gayance

Un an après les manifestations de l’été dernier, rien n’a changé, conclut-elle. « Sauf la culpabilité des gens qui ne cesse de grandir », pense la jeune femme. Les évènements ont laissé place à du militantisme de performance, entre autres. Il faut faire défiler longtemps les pages Instagram des internautes pour retrouver les petits carrés noirs publiés l’an passé dans le cadre du mouvement Blackout Tuesday.

Lisez un texte sur le Blackout Tuesday

Le peu de changements concrets la fait sourciller, alors que beaucoup de femmes racisées – des travailleuses essentielles en première ligne – ont trimé durant la pandémie. « On parle peu de ces gens-là. Elles ne sont pas mises en valeur. »

Mais il y a eu un éveil, admet-elle. Le milieu militant noir demeurait très masculin. Puis il y a eu #metoo, suivi par Black Lives Matter. Ce contexte bouillonnant donne du poids à des voix féminines écartées de l’espace public. « J’ai le goût de dire aux femmes noires : “C’est à notre tour.” »

Alors qu’elle a une carrière musicale internationale d’une dizaine d’années, Gayance se retrouvera pour la première fois dans un festival d’ici, au Festival de musique émergente. « C’est mon gagne-pain depuis longtemps, mais c’est comme si on m’avait découverte l’été dernier. »