Ils ont passé plus de la moitié de leurs études collégiales enfermés dans leur chambre à suivre des cours en ligne. Des finissants du cégep nous racontent leurs derniers mois, entre lucidité, résilience et optimisme.

Annika Tajchakavit-Azar

19 ans
Finissante en arts visuels et médiatiques, cégep de Saint-Hyacinthe

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Annika Tajchakavit-Azar

Différent

« Je me sens choyée parce que, comme je suis en arts visuels, j’ai pu aller à l’école environ deux jours par semaine. Mais c’était différent, avec les mesures de sécurité, les masques, les lunettes de protection... et en plus, il y a juste les gens de mon programme dans l’école ! Il y a des gens, je ne sais pas c’est quand la dernière fois que je les ai vus tellement ça fait longtemps. »

Fin d’une étape

« Je comprends le pourquoi des mesures. C’est sage. Mais ça ne m’aide pas à me sentir bien. Il y a encore des jours, quand je ne vais pas à l’école, où je n’ai envie de rien faire, je suis toute molle. J’ai hâte d’avoir terminé, j’ai hâte à mon expo de fin d’année, je suis fière de passer à une autre étape. Cet été, je vais déménager à Montréal dans l’appart que j’ai trouvé avec mon amie, après on va aller à l’université, on va être en semi-présentiel... et on pourra rencontrer du monde en vrai ! »

Adaptation

« J’ai l’impression que je suis devenue plus résignée. Je peux bien chialer tant que je veux... ça ne va rien faire. Par contre, je pense que je suis prête pour l’université. Je suis bonne pour m’adapter et peu importe ce qui arrive, je vais me débrouiller. »

18 ans en pandémie

« J’ai eu 18 ans pendant la pandémie et je trouve que c’est triste. Quand je pensais à cet anniversaire, je me disais que j’allais inviter tous les gens que je connais et faire une grosse fête ! Ma meilleure amie a eu 18 ans le jour où ils ont annoncé que tout fermait. On pensait que ce n’était rien... ç’a été notre dernier party. Je vais m’en souvenir toute ma vie. Je suis quelqu’un de sage, mais quand tout va rouvrir, eille, ça va y aller par là ! »

Émile Gruda-Mediavilla

18 ans
Finissant en sciences, lettres et arts au cégep de Maisonneuve, à Montréal

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Émile Gruda-Mediavilla

Solitude

« Si je peux résumer ces deux années en un mot : enfer. C’est la première fois de ma vie que je peux dire avec certitude que je ne suis pas heureux. C’est très, très dur à cause de la solitude, qui a été amplifiée par le stress des études. C’était difficile de trouver la motivation. Je suis bon pour comprendre la matière, mais les projets à remettre, alors que ta chambre devient ton seul lieu de travail, c’est une source constante de stress. »

Optimisme

« J’ai fait partie des chanceux qui ont eu un cours par semaine au cégep et c’était vraiment le meilleur jour de la semaine. Je ne pense pas beaucoup à ma rentrée à l’université parce que j’ai de grosses remises à faire, mais je suis assez optimiste que ce sera en présentiel, surtout que la grande majorité de la population sera probablement vaccinée en septembre. Mais j’ai été optimiste chaque session depuis le début de la COVID-19, et j’ai été gravement détrompé chaque fois. »

Santé mentale

« La pandémie a eu un impact sur la santé mentale de tout le monde, de diverses manières. Moi, ça m’a changé, en tout cas. C’est mon premier épisode de dépression. Je pense que ça va faire de moi une personne plus profonde haha ! Mais je m’en serais passé, c’est plus important dans le développement de se faire des contacts sociaux que de faire une dépression. »

Années perdues

« Je n’aime pas quand on dit aux jeunes d’arrêter de se plaindre parce que c’est pire ailleurs. C’est un sophisme, il y a toujours quelqu’un qui souffre plus ailleurs. On nous dit pensez aux gens qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale... Moi, ma grand-mère, elle était juive pendant la guerre, et elle aussi, elle trouve que c’est terrible ce qu’on vit. On a donné beaucoup, des années qui étaient parties pour être excellentes. »

Rose Émilie Mercier Spence

19 ans
Finissante en sciences humaines, option SENS, au cégep de Saint-Laurent, à Montréal

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Rose Émilie Mercier Spence

Motivation

« Depuis le 13 mars 2020, à mon grand désarroi, je n’ai pas remis les pieds au cégep une seule fois. Tout est en ligne, huit cours par session. Il y a des avantages à ça : tu peux te lever 15 minutes avant le début du cours et être présent. Mais sur le plan de la vie sociale et de la motivation, c’est plus difficile. J’ai eu l’impression d’assister à moins de cours, parce que c’est difficile de rester concentré longtemps. Et c’est très démotivant parce qu’on fait juste étudier, surtout en fin de session, et qu’on n’a pas la vie sociale pour équilibrer. Si tu fais un examen et qu’après que tu vas manger avec des amis, tu peux décompresser. Là, on finit un examen et tout de suite, on se prépare pour le prochain. On est toujours dans le travail. »

Optimisme

« Si j’avais su quand tout s’est arrêté que j’allais faire le reste de mon cégep en ligne, je pense que j’aurais pris ça encore plus lourdement. Je m’imagine souvent à l’université et je croise les doigts pour le présentiel. Avec la vaccination qui avance, je pense que ce sera possible. J’aime mieux être optimiste, parce que si je me dis que ça va être encore en ligne, c’est voir une défaite qui n’est pas encore arrivée. »

Incontrôlable

« La raison pour laquelle je me suis inscrite dans ce programme, c’est parce qu’il se terminait avec un stage en Amérique du Sud. On l’a changé pour la Côte-Nord, mais il a aussi été annulé. C’est une grande déception, parce qu’on a travaillé là-dessus toute l’année avec une lueur d’espoir. Mais j’essaie de ne pas me fâcher contre les choses qui sont hors de contrôle, et il n’y a rien de plus incontrôlable qu’une pandémie mondiale. J’aurai d’autres occasions. J’ai juste 19 ans, j’ai encore le temps. »

Rawad El-Zein

20 ans
Finissant en sciences humaines, profil administration, au cégep Montmorency, à Laval

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Rawad El-Zein

Dynamique de la classe

« J’ai commencé le cégep à l’automne 2018, mais je n’étais pas censé le faire sur trois ans. Quand la pandémie a frappé, j’ai eu de la difficulté, et c’est pour ça que j’ai ajouté des sessions. Avant la pandémie, je trouvais ça fascinant, le cégep. J’arrivais d’un tout petit collège, et j’ai vraiment aimé les rencontres avec les profs et les élèves, les échanges de point de vue. J’aimais beaucoup aller à l’école, mais depuis que c’est en ligne, c’est démotivant. Je ne vois plus rien d’intéressant à aller à mes cours, certains ne sont même pas en direct. J’aimais vivre la dynamique en classe... mais là, c’est difficile de voir la réaction des autres, chacun sur son ordi, aucun bruit qui ne sort d’aucun élève. »

Contact humain

« J’ai l’impression que tout ça m’a réveillé un peu. Je me trouvais assez indépendant comme personne, je pensais que je n’avais pas besoin de contacts humains. Mais là, je me rends compte que c’est une nécessité. On nous a demandé beaucoup, mais je sais que ce n’est pas irraisonnable, il faut faire attention aux autres. On ne se plaint pas, on le sait qu’il y a des gens qui vivent des choses pires que nous, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas difficile. »

Allégé

« C’est irrationnel, mais je suis fâché de ne pas avoir reçu l’éducation que j’attendais. Les cours étaient très allégés, très superficiels. Je ne me sens pas prêt à rentrer à l’université et c’est dommage. Je ne ressens pas vraiment de fierté d’avoir fini, je ne me vois pas en train [d’obtenir mon diplôme]. Pour l’automne, je suis content de savoir que ça va se passer en présentiel, mais si je ne peux pas sortir, voir mes amis, partager mes expériences avec eux, je ne trouve pas ça très motivant. »

Marilou Hamel

19 ans
Finissante en sciences humaines, profil éducation et société québécoise, au cégep de Sherbrooke

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Marilou Hamel

Vie étudiante

« On a terminé notre deuxième session en ligne comme tout le monde au début de la pandémie, mais à Sherbrooke, on a été chanceux pour les sessions d’automne et d’hiver : les cours, c’était moitié en ligne et moitié au cégep. Mais ce n’est pas une vie étudiante normale : nos travaux d’équipe sont en ligne, quand on va au cégep, c’est juste la moitié de la journée, on ne peut pas se voir pendant nos pauses. On manque de contact social. Une chance que, pendant la première session, j’ai pu rencontrer des gens dans mon profil. Mais j’en vois qui sont à leur première et deuxième session, c’est beaucoup plus dur de se faire des amis. »

Santé mentale

« Je suis tannée d’être dans ma chambre et, des fois, je suis épuisée d’être toujours devant un écran. Le soir, j’ai mal à la tête et j’ai du mal à m’endormir. Mais je savais que j’allais passer à travers parce que j’avais un but, même si ce n’était pas les meilleures études que je voulais faire. C’est plus difficile pour d’autres. J’ai un de mes amis qui a débarqué du cégep, il était en soins infirmiers et il n’a pas continué. Ça a eu un impact sur sa santé mentale. »

Suivre les mesures

« Il me semble qu’il va me manquer quelque chose quand je vais arriver à l’université. J’ai vu les études comment ça marche, les travaux de session, mais le reste, le contact avec les autres, la vie étudiante, il me manque un petit bout. Mais je n’ai pas ressenti de frustration parce que je comprends les mesures, c’est mieux qu’on soit en ligne et qu’il n’y ait pas de grosses éclosions. Il faut dire que je ne me fâche pas facilement non plus ! J’aurais aimé aller plus au cégep, mais j’ai suivi les mesures parce que je veux que ça aille mieux. »

Edouard Bisson

19 ans
Finissant en sciences de la nature, cégep Garneau, à Québec

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Edouard Bisson

Monotonie

« Depuis un an, je suis allé au cégep une ou deux fois maximum par semaine, pour les labos et les cours d’éduc. Chaque fois, tout le monde était vraiment content, ça fait l’unanimité ! En ligne, je crois que j’ai reçu la même matière qu’en personne. Les cours ne sont pas plus ou moins difficiles, c’est la méthode qui est différente. C’est moins dynamique, et côté motivation, c’est plus dur parce qu’il n’y a pas tout plein de monde dans la classe... Ben oui, il y a du monde, mais t’es tout seul dans ta chambre pareil. Les journées sont vraiment monotones. »

Espoir

« Une chance que pendant ma première session, j’ai rencontré des gens, parce que depuis qu’on est en ligne, ce n’est pas tant possible. C’est pour ça que pour l’université, je souhaite que ce soit en présentiel, au moins quelques cours. Ce serait difficile d’arriver quelque part, de ne connaître personne et d’avoir juste des cours en ligne, parce que comment tu peux apprendre à connaître les gens ? »

Fierté

« Je suis fier d’avoir terminé, ç’a été une épreuve et c’est certain que je suis content de voir la lumière au bout du tunnel avec les vaccins. Cette partie du cégep a été moins l’fun, mais je pense à ma sœur qui a manqué son bal de 5e secondaire, et il me semble que c’est pire. Ou je regarde ceux qui sont rentrés au cégep en septembre, qui ont fait toute l’année en ligne et qui n’ont rencontré personne, ç’a dû être très difficile. C’est sûr que j’imaginais autrement l’année de mes 18 ans, et que j’aurais aimé ça partir en voyage à la fin du cégep avec mes amis. Mais on va le faire un jour. »

Nadine Sharkawy

19 ans
Finissante en sciences humaines, profil administration des affaires, au cégep Bois-de-Boulogne, à Montréal

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Nadine Sharkawy

Cégep en deux temps

« Pendant ma première session, le cégep ressemblait exactement à l’idée que j’en avais. Je voyais du monde, je me suis fait plein de nouvelles connaissances... Mais depuis la pandémie, ce n’est plus pareil parce que j’ai seulement un cours en présence. Ça ne ressemble pas à ce que j’avais imaginé quand j’étais au secondaire. »

L’enseignement à distance

« J’habite à Laval et le transport est un peu long, alors je trouve qu’il y a du bon dans l’enseignement à distance. Mes notes se sont améliorées parce que je perdais moins de temps. Mais j’aime vivre avec le monde et c’est pour le côté social que je n’aime pas la pandémie. J’espère que ce sera devenu normal en septembre quand je vais entrer à l’université, parce que je ne vais connaître personne et que c’est important de faire des rencontres. »

Avoir 18 ans en pandémie

« Les écoles ont été fermées le 13 mars 2020, et j’ai eu 18 ans le 16, alors je n’ai pas pu fêter ça. Pour la fin du cégep, avec mes deux meilleures amies, on voudrait juste faire un petit pique-nique, pour célébrer le fait qu’on a terminé cette étape. Mais je vais être honnête avec vous, tout ce que je veux, c’est sortir de ma chambre, pour aller n’importe où ! Retrouver la vie normale avec le monde... même si je sais que c’est loin encore. »

Changements

« Je ne suis plus la même personne. Il me semble que je fais plus attention, même si je suis encore immature haha ! J’ai remarqué que je suis un peu moins sociable aussi, je peux rester seule à ne rien faire dans ma chambre et ça ne me dérange pas. Je n’étais vraiment pas comme ça avant ! Ce sont des petits changements dans ma personnalité et je pense que c’est à cause de la pandémie. »

Vincent Elabiad

18 ans
Finissant en sciences de la nature, cégep Ahuntsic, à Montréal

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Vincent Elabiad

Vie scolaire

« Pendant la première session, j’avais vraiment apprécié le cégep et son environnement. Cette année, à part les labos de chimie et quelques examens, j’ai tout fait en ligne. Ce n’est pas optimal pour la motivation. En classe, tu fais l’effort de te présenter, tu es plus là pour apprendre, plus attentif. Je suis tellement fatigué d’être dans ma chambre ! Le pire moment, ç’a été en décembre. J’ai dû être isolé pendant trois semaines en fin de session... J’étudiais de 8 h à 22 h. Je pense que c’est le plus tanné que j’ai été depuis ma naissance. »

Faire la fête

« J’aime bien festoyer, être avec des gens. J’avais un projet d’organiser des soirées pour les étudiants de sciences nat... La première aurait dû avoir lieu une semaine après le début du confinement, en mars. Là je ne sais pas trop ce qu’on va faire pour souligner la fin du cégep. Des fois, on se dit que quand la pandémie va finir, ça va être les années folles ! J’ai eu 18 ans pendant la pandémie, et ma seule crainte, c’est que la première fois que je vais pouvoir aller au bar légalement, ça va être avec ma petite sœur qui a quatre ans de moins que moi... Haha, j’imagine le pire, mais j’ai confiance pour l’université que ça va se passer en présence. Je suis même en train de magasiner un appartement parce que je vais aller étudier dans une autre ville. »

Organisation

« Je pense que ces deux années m’ont fait prendre de la maturité. J’ai appris à mieux gérer mes affaires. Ça demande plus d’organisation être seul. Je ne veux blâmer personne, mais certains cours, il y avait des profs plus investis, d’autres, moins, où on apprenait pas mal par nous-mêmes. Ça m’a obligé à développer des compétences que je n’aurais peut-être pas développées en présence. Il faut voir du positif dans tout ! »