Notre directrice invitée avait à cœur de présenter Stansje Plantenga à nos lecteurs : « Si elle semble faire partie de la forêt qu’elle défend, c’est qu’elle ne trace pas de frontière entre les arbres et elle. Stansje est souveraine au milieu du territoire qu’elle partage généreusement avec les ours, les marcheurs, les fondeurs. La nature est essentielle à notre survie, et nous le constatons davantage depuis la pandémie. Au cœur du Canton de Potton, la Vallée est un trésor brut, soigné par une poignée de bénévoles dévoués mais fatigués. Car sans un réel soutien du gouvernement, sans celui de la ville (sur laquelle pourtant rayonne le très grand attrait des sentiers), cet espace unique dont tous devraient être fiers ne pourra survivre. Je place ici le souhait que ceux qui dirigent soient conscients de la valeur unique de ce territoire, et qu’ils veillent à le protéger. »

Stansje Plantenga et son mari ont créé le premier organisme de conservation québécois inspiré du modèle des « land trusts » américains. Une initiative qui en a inspiré bien d’autres. Portrait de cette Hollandaise d’origine qui ne fait qu’une avec la forêt québécoise.

« La peau agit comme une barrière, mais quand j’entre dans le bois, la peau n’existe plus. Il n’y a plus de barrière. » Chaque jour, Stansje Plantenga enfile ses raquettes pour aller se balader dans la forêt derrière sa résidence avec sa chienne Suki. « Vous voyez ces petits bouts de branches avec des aiguilles par terre ? C’est un signe que les porcs-épics sont passés par ici. Ils grimpent aux arbres pour manger les branches. » Ici, des miettes de porcs-épics, là-bas, des traces de chevreuils ou des marques laissées par un ours noir sur l’écorce d’un arbre.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Chaque jour, Stansje Plantenga enfile ses raquettes pour aller se balader dans la forêt derrière sa résidence avec sa chienne Suki.

Stansje Plantenga habite depuis plusieurs décennies à Mansonville, en Estrie, mais c’est étonnamment en ville, à Montréal, qu’a commencé à se tisser ce lien qu’elle entretient avec la nature. Arrivée d’Amsterdam à l’âge de 5 ans, elle a découvert la nature sauvage du mont Royal pendant son enfance. « Pour moi qui viens de là où il n’y a pas vraiment de nature sauvage, c’était impressionnant », souligne-t-elle.

À la fin des années 1970, elle a été frappée par le changement de paradigme qui était en train de s’opérer. « Des penseurs ont commencé à dire : au commencement, c’était la nature qui était dominante. Après, c’était l’homme et la civilisation, avec les sciences. Maintenant, il est le temps de commencer à vivre en partenariat avec la nature. Il faut agir comme ça. Ça m’avait frappée. »

Son lien avec la nature s’est renforcé lors de son arrivée à la campagne, où elle a travaillé, avec celui qui deviendra son mari, auprès de personnes schizophrènes et bipolaires. « Il faut écouter la voix des montagnes, dit-elle, d’une manière poétique. Vous pouvez l’entendre. Ce n’est pas qu’elle dise des mots, non. Mais il y a un sentiment que les arbres, la forêt, les montagnes, le ruisseau nous parlent. La voix m’avait dit de simplifier ma vie, que la chose la plus importante était de vivre là où je peux être en relation avec la nature sauvage. Alors j’ai pris la décision de rester ici. »

Ces 700 acres de terre qu’elle visite quotidiennement auraient pu être à elle. En fait, ils l’étaient. Mais en 1987, elle et son mari, le psychiatre Robert Shepherd, aujourd’hui décédé, ont fait don d’une partie de leurs terres à un organisme à but non lucratif qu’ils ont mis sur pied : la Fiducie foncière de la vallée Ruiter (FFVR), du nom de cette vallée qui est bordée par les monts Sutton. « Mon mari était fou lui aussi de la nature sauvage, se souvient Stansje Plantenga. Il m’a dit : “Je vais te laisser tout ça.’’ Mais, j’ai dit : “Ce n’est pas nécessaire que je sois propriétaire.’’ Si j’avais le droit de circuler sur les pistes, ce serait suffisant. »

Malgré son nom, la FFVR a le statut juridique d’organisme à but non lucratif et non de fiducie foncière, un modèle plus rare au Québec. À la fin des années 1980, la conservation volontaire du territoire était peu connue ici. Le couple a mené ses recherches dans le nord-est des États-Unis, où le concept de « land trust » existe depuis plus d’un siècle.

En randonnée dans la vallée Ruiter
  • La Fiducie foncière de la vallée Ruiter est un organisme à but non lucratif.

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    La Fiducie foncière de la vallée Ruiter est un organisme à but non lucratif.

  • Les usagers des sentiers sont invités à faire un don pour leur entretien.

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    Les usagers des sentiers sont invités à faire un don pour leur entretien.

  • Le territoire de la Fiducie foncière de la vallée Ruiter compte une trentaine de kilomètres de sentiers pour la randonnée, la raquette et le ski de fond.

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    Le territoire de la Fiducie foncière de la vallée Ruiter compte une trentaine de kilomètres de sentiers pour la randonnée, la raquette et le ski de fond.

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Le pouvoir citoyen

« On a été les pionniers au Québec, souligne fièrement Mme Plantenga. J’ai rencontré des gens de partout au Québec pour les aider à construire quelque chose comme ça dans leur coin. » Selon le Répertoire des sites de conservation volontaire du Québec, on compte maintenant près de 80 organismes de conservation et 3 fiducies foncières au Québec. La semaine dernière, Radio-Canada rapportait que 185 résidants de Chelsea, en Outaouais, s’étaient mobilisés pour préserver une forêt en amassant 850 000 $, somme qui servira à acheter un terrain de 57 acres pour lequel l’organisme Action Chelsea pour le respect de l’environnement (ACRE) agira à titre d’administrateur.

Pour Stansje Plantenga, les citoyens ont un grand pouvoir en matière de protection du territoire.

C’est ce que j’ai appris quand j’ai commencé cette démarche. C’est à nous de faire les étapes, et le gouvernement va nous suivre. Si on avait attendu le gouvernement, on n’aurait rien eu. Cela dépendait de nous et cela dépend encore de nous.

Stansje Plantenga

Ce don de 700 acres (2,8 km2), « une goutte d’eau dans l’océan », remarque-t-elle, n’était et n’est encore que le début d’une démarche plus grande et de plus en plus urgente parce que « la Terre est dans le pétrin ». Stansje Plantenga s’est donné la mission de sauver toute la vallée pour la protéger contre un trop grand développement immobilier.

Ainsi, la Fiducie foncière de la vallée Ruiter a fait des petits : la réserve écologique de la Vallée-du-Ruiter, mise sur pied par la MRC de Memphrémagog, et la réserve naturelle des Montagnes-Vertes, par Conservation de la nature Canada. « On a créé un noyau, mais ce n’est pas suffisant, insiste Stansje Plantenga. Le but est de le relier, par des corridors verts, aux noyaux dans le Vermont et aux autres du Québec. Il faut aussi avoir des zones tampons entourant un milieu. Nos voisins dans la vallée ont un rôle tellement important à jouer. »

Deux de ses voisins ont notamment accordé une servitude de conservation à la fiducie. Ce faisant, ils demeurent propriétaires de leur terre, mais s’engagent à protéger des zones de valeur qui ont été identifiées par un biologiste.

Nos voisins sont très contents de nous. On leur a donné le paradis ! Maintenant, ils doivent eux aussi prendre leurs responsabilités pour maintenir ce paradis.

Stansje Plantenga

Dans ce paradis, il y a une maman orignal qui se promène avec son petit. Il y a des ours noirs, des lynx roux ainsi que des loutres et des visons, ce qui est un indicateur de la bonne qualité de l’eau, souligne celle qui est photographe naturaliste et qui détient une formation en traque animale afin d’être à l’affût des traces que laissent ceux qu’elle souhaite protéger.

Les terres de la Fiducie foncière de la vallée Ruiter comptent un réseau de sentiers accessibles à tous. Mais il ne faut pas l’écrire trop fort. « Ce n’est pas une base de plein air ou un parc. On n’est pas contre l’accès, mais il doit être restreint. Si on met la nature sauvage sous une cloche de verre, comment on va bâtir la relation ? »

« On aime ce qui nous a émerveillés, et on protège ce que l’on aime », paroles de Jacques Cousteau.