« Catherine Gagnon, c’est mon âme sœur, dit Anaïs Barbeau-Lavalette. Une de ces grandes rencontres amicales qu’on fait trop rarement dans une vie. Nos trajectoires diffèrent, mais notre lien au vivant s’accorde. Scientifique émérite, violoniste traditionnelle à ses heures, mère de trois enfants, chasseuse et aventurière, Catherine monte au front pour la préservation de ce qui nous relie au monde. La parole est trop peu donnée aux scientifiques et la sienne est un vent de fraîcheur qui mérite de se propager. »

L’histoire se passe il y a 18 ans. Et Catherine Gagnon avait 24 ans à l’époque. Jeune titulaire d’un baccalauréat en biologie faunique, elle travaillait dans un camp de recherche du nord de l’île de Baffin, dans le Nunavut. Son supérieur se demandait : existe-t-il, ailleurs dans cette région de l’Arctique, d’autres populations d’oies des neiges aussi denses ? Les possibilités d’aller vérifier par soi-même étaient coûteuses et complexes. La solution qu’elle a proposée, elle, ne l’était pas. Au contraire.

« Ma réponse, c’était : il y a des gens qui naviguent ce territoire-là depuis super longtemps. Pourquoi ne leur demandez-vous pas ? », se remémore Catherine Gagnon, qui se souvient aussi du fossé qui séparait, à l’époque, la communauté scientifique et les peuples qui habitent le territoire.

Cette volonté d’intégrer à la science les savoirs autochtones a toujours suivi la biologiste. Pour son doctorat, Catherine Gagnon a étudié l’effet du climat sur un troupeau de caribous du nord du Yukon, où les changements climatiques sont de deux à trois fois plus rapides qu’ailleurs sur la planète. La biologiste s’est servie des entrevues que des chasseurs Gwich’in passaient chaque année depuis 15 ans. Ils y révélaient, entre autres, leurs observations sur la corpulence des caribous — un indice précieux pour évaluer l’état de santé du troupeau. « Traditionnellement, ils ont toujours surveillé ça, explique la biologiste. Les aînés disent que quand les femelles deviennent maigres, c’est signe qu’il y a trop de caribous, donc moins de nourriture, et qu’il faut commencer à faire des réserves. »

Lors du remue-méninges qui a mené à l’élaboration de cette section d’Arts et être, il a été proposé de rencontrer un scientifique québécois qui étudie l’effet du réchauffement climatique. Notre directrice invitée, la cinéaste et auteure Anaïs Barbeau-Lavalette, a tout de suite pensé à Catherine Gagnon, son « âme sœur », pour qui elle a eu un coup de foudre amical en 2017 lorsqu’elle a loué sa maison dans le village du Bic, près de Rimouski. Même intérêt pour les communautés autochtones, même indignation pour la dégradation environnementale. Elles ont chacune trois enfants, deux garçons et une fille, du même âge et dans le même ordre.

« Les scientifiques, on ne sort pas de l’ombre souvent, nous dit d’emblée Catherine, qui nous parle de chez elle, au Bic. Mais je me rends compte que, finalement, c’est nécessaire. »

PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE GAGNON

Catherine Gagnon nous parle de chez elle, au Bic, près de Rimouski.

La science amène des solutions, dit-elle, mais pas toutes. Et on se rend compte, à l’international, qu’il y a de sérieuses raisons de collaborer avec les peuples autochtones, « pour leur savoir-faire, leur manière d’habiter la nature et de la gérer ». C’est une avenue de recherche en pleine effervescence, constate la chercheuse, qui souligne que 80 % de la biodiversité se trouve en territoires autochtones à l’heure actuelle.

« On a juste une planète, juste une biosphère. Et on sait que si on continue [de l’exploiter comme on le fait], on va frapper un mur », résume Catherine Gagnon, qui rêve qu’on puisse changer cette trajectoire en mettant en commun les connaissances de tout un chacun.

Confiance et urgence

Quand les Inuits de l’île de Baffin l’ont vue débarquer, Blanche, blonde aux yeux bleus, il y a certainement eu une part de méfiance, convient Catherine Gagnon. Les blessures liées à la délocalisation de familles inuites dans les années 1950 sont profondes. Et les scientifiques, dit-elle, sont associés aux quotas de la chasse à l’ours polaire. « Éventuellement, on passe au-delà de ça, dans certaines relations, mais ça prend du temps », dit-elle.

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Sam Omik, au départ de l’expédition en motoneige

Elle pense à Sam Omik, son ami chasseur mort l’an dernier. Un jour, il l’a invitée à venir chasser le morse avec lui, à cinq heures de motoneige du village. En route, le traîneau qui transportait les barils d’essence pour la motoneige s’est renversé. Il fallait retourner le traîneau, détacher les sangles, remettre les barils. « Il fait — 48 degrés et je ne suis pas capable de défaire les nœuds ! se souvient Catherine. Sam, qui force, se retourne et me dit, avec humour : ‟Je ne te l’ai pas dit, mais j’ai un pacemaker. Si ça lâche, cette affaire-là, tu crèves ici. » Avec lui, j’avais confiance, on n’allait pas mourir. C’était son environnement, même s’il m’apparaissait tellement hostile. »

  • Catherine et deux de ses enfants sur la route Dempter, au Yukon, dans le territoire du troupeau de caribous Porcupine

    PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE GAGNON

    Catherine et deux de ses enfants sur la route Dempter, au Yukon, dans le territoire du troupeau de caribous Porcupine

  • Catherine Gagnon près de Mittimatalik, dans le nord de l’île de Baffin

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    Catherine Gagnon près de Mittimatalik, dans le nord de l’île de Baffin

  • C’est dans la région de Mittimatalik, dans le nord de l’île de Baffin, que Catherine Gagnon a fait sa maîtrise.

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    C’est dans la région de Mittimatalik, dans le nord de l’île de Baffin, que Catherine Gagnon a fait sa maîtrise.

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L’environnement, Catherine Gagnon ressent encore plus l’urgence de le protéger depuis qu’elle est mère. Elle fait d’ailleurs partie du mouvement Mères au front, qui dénonce l’inaction du gouvernement fédéral en matière climatique. « Quand on pense à nos enfants, à nos petits-enfants, ça donne le vertige », dit Catherine.

Ce vertige l’incite à réduire le plus possible son empreinte environnementale, tant dans sa façon de consommer, de se nourrir (la viande qu’elle consomme, c’est de la viande d’orignal, qu’elle chasse elle-même !) et de se déplacer. Sa volonté de réduire ses déplacements lui a d’ailleurs causé un « énorme dilemme », l’an dernier. Catherine avait la possibilité d’accepter un contrat pour l’Université Laval pour contribuer à l’établissement d’une station de recherche dans le nord de l’île de Baffin. Si elle l’acceptait, ça impliquait éventuellement de faire des allers-retours en avion entre le sud et le nord de la province. En revanche, ce contrat lui permettrait de faire entendre les priorités de recherche des communautés autochtones, préoccupées, comme elle, par les impacts sociaux et environnementaux des projets de développement miniers dans la région.

Le cœur a gagné. Elle a commencé son nouveau travail l’automne dernier.