Les applications numériques poussent constamment des objets de notre quotidien vers le gouffre de la désuétude : qui a encore besoin d’une carte routière ou d’un métronome mécanique, quand des logiciels gratuits font le même travail ? Mais il n’y a pas que la performance dans la vie ; et ce serait occulter le charme et les vertus insoupçonnées d’instruments donnés pour démodés ou dépassés. La Presse a déniché des passionnés qui non seulement ont conservé de tels objets, mais les utilisent encore, les jugeant parfois même plus pratiques que leurs homologues numériques.

La précieuse machine à écrire de Louis-José

Chez Louis-José Houde, depuis quatre ans, on peut entendre un cliquetis qui s’est éclipsé depuis belle lurette dans les chaumières. Installé devant sa Smith Corona de 1946 ou son Olympia de 1976 (acquise pour son chalet), l’humoriste fait valser les bras mécaniques pour noircir ses idées sur papier. Une crise d’hipsterisme ? Pas du tout, confesse celui qui n’est pas du genre à aduler le rétro et les antiquités. Simplement une question de rythme et de concentration. « Écrire à l’ordinateur, c’est tellement fluide, les doigts vont trop vite par rapport aux pensées dans ma tête. Et j’aime l’idée de taper un texte sans aucune distraction numérique à portée de main. Ça clignote, il y a les courriels, internet, tes photos, les applications qui veulent de l’attention… Pour mon cerveau, c’est compliqué », explique-t-il.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Louis-José Houde n’écrit pas tous ses textes à la machine à écrire, mais il y recourt pour finaliser et mieux mémoriser ses numéros d’ouverture des galas de l’ADISQ, par exemple. Les réactions de son entourage ? « Une indifférence souriante », lâche-t-il.

Cela dit, n’allez pas croire qu’il pond tous ses textes et répond à ses textos à coup de machine à écrire. Il ne la dégaine qu’à l’occasion, notamment pour réécrire et affiner ses compositions, le petit délai de l’enfoncement des touches le contraignant à peser ses mots. Puis à les taper fort, laissant des marques indélébiles jusque dans son esprit. « C’est une façon de les mémoriser. Taper un texte de 10 minutes sur une machine de 1946, c’est long, on dirait qu’il y a un engagement. Ça permet de couper dans l’inutile pendant la phase de réécriture », dit celui qui a ainsi composé les versions définitives de ses numéros des galas de l’ADISQ.

Des vertus et visées fonctionnelles aussi combinées à un respect pour les fabricants de ces outils d’antan conçus pour résister aux assauts répétés des doigts et du temps. « J’aime le soin qui y a été mis. C’est un objet élégant, on dirait que je ne suis pas porté à perdre d’encre en y recourant pour écrire des futilités », dit Louis-José Houde.

Le charme discret de la montre de gousset

PHOTO FOURNIE PAR HUGO CHOUINARD

Hugo Chouinard est un jeune passionné des objets anciens. Avec son premier salaire, il s’est offert cette montre de gousset du XIXsiècle, qu’il porte à l’occasion.

Quand nous avons contacté Hugo Chouinard à propos de sa montre de gousset, nous anticipions la réponse d’une personne plus âgée. Mais l’heure des préjugés a sonné : c’est un passionné de 21 ans qui nous a exposé son engouement pour « les objets anciens et parfois inutiles ».

« J’ai acheté cette montre lors d’une vente aux enchères sur eBay, il y a quelques années. Après avoir effectué quelques tâches chez une amie de mes parents, j’ai décidé de dépenser ce premier et maigre salaire dans une chose qui avait pour moi une certaine signification », raconte cet étudiant, également évaluateur numismatique pour Numinard.

  • Le mécanisme peut surprendre quiconque n’a jamais vu une telle montre de ses propres yeux.

    PHOTO FOURNIE PAR HUGO CHOUINARD

    Le mécanisme peut surprendre quiconque n’a jamais vu une telle montre de ses propres yeux.

  • Un cellulaire donne certes l’heure, mais a-t-il autant de charme que cet objet extrêmement durable ?

    PHOTO FOURNIE PAR HUGO CHOUINARD

    Un cellulaire donne certes l’heure, mais a-t-il autant de charme que cet objet extrêmement durable ?

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La montre de poche, valant une centaine de dollars, a été fabriquée au Massachusetts entre 1896 et 1899. M. Chouinard la porte occasionnellement, au cours d’évènements spéciaux comme des colloques. « Elle me permet de savoir l’heure sans être déconcentré par une notification. Je suis un des rares de ma génération capable de sortir de la maison sans téléphone intelligent », précise celui qui est aussi administrateur de la Société d’histoire de La Haute-Saint-Charles, à Québec.

Posséder un tel objet d’antan suscite-t-il des réactions ? Encore faut-il qu’elle sorte de la poche où elle reste le plus clair de son temps. « Toutefois, dans une bibliothèque, le tic tac réussit à briser le silence. La majorité des gens ont déjà vu cet objet dans des livres ou dans un film. Ils connaissent sa fonction, mais n’ont jamais eu la chance d’observer le mécanisme. Le bruit et la taille des minuscules pièces surprennent le plus », dénote-t-il.

Cartes et boussole, toujours en vue

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Raja Ouali apprécie les vues d’ensemble. Il lui arrive bien sûr de consulter Google Maps quand le besoin s’en fait sentir, mais elle reste une fidèle des cartes routières et topographiques.

Raja Ouali ne perd pas le nord : elle voit bien que tout le monde ou presque s’est orienté vers les applis de géolocalisation. Mais même en voyage, elle ne se plie pas à la règle et préfère déplier ses cartes routières ou topographiques. « J’adore les cartes, c’est une vraie passion », indique cette graphiste montréalaise, qui les collectionne. Les itinéraires tout tracés par GPS ? Non merci. « J’aime avoir la carte imprégnée dans ma tête, l’orientation spatiale est un peu perdue en 2D », estime Mme Ouali, même s’il lui arrive quand même de consulter Google Maps, en dernier recours, si elle se perd.

Et qui dit carte, dit boussole. Dans sa poche, elle traîne un instrument trentenaire, acquis lorsqu’elle était cheffe scoute. « J’ai déjà été perdue dans le bois et je n’ai pas aimé ça du tout ! Depuis, je l’ai toujours avec moi. […] Je ne l’utilise pas pour me promener en ville, mais en canot-camping ou en randonnée, c’est plus simple et ça évite que la batterie du cellulaire soit à plat, si on part pour six ou sept heures », dit cette férue de plein air, milieu où la boussole reste encore dans le vent.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La boussole de Raja Ouali, férue de plein air, lui indique la direction à suivre dans ses déplacements depuis 30 ans. Pas en ville, certes, mais sur un grand lac, elle reste précieuse. Pour qui sait s’en servir !

Pourtant, elle constate que la nouvelle génération ne s’est pas vraiment aiguillée vers ces objets d’orientation traditionnels. « De moins en moins de monde sait lire une simple carte, surtout chez les jeunes. Pour les boussoles, on dirait que peu en apportent avec eux ou savent s’en servir, à part pour pointer le nord ou pour chercher son cap », raconte Mme Ouali.

Un téléphone à cadran qui garde la ligne

PHOTO GETTY IMAGES

Le téléphone de Lili Marin étant coincé dans une boîte de déménagement pour quelques mois, nous n’avons pu le photographier. Mais il est très semblable à celui-ci, avec des touches de rose supplémentaires et orné d’un camée (petite gravure en médaillon).

Les cellulaires ont précipité la déchéance de nombreux appareils, à commencer bien sûr par les téléphones fixes. Mais si vous passez un coup de fil à Lili Marin, vous réaliserez que cette disparition est loin d’être consommée : dans sa demeure retentira la sonnerie d’un antique téléphone à cadran rotatif, un modèle luxueux de style victorien.

À 11 ans, elle le trouvait très chic. Aujourd’hui, elle le trouve très kitsch. Mais si elle le chérit, ce n’est pas du tout par nostalgie, mais plutôt par pragmatisme. « Si je n’arrive pas à m’en défaire, c’est parce que, contre toute attente, il est toujours d’une grande fonctionnalité. Le combiné est parfaitement effilé pour tenir dans une petite main comme la mienne et ses courbes rendent l’emprise confortable des heures durant. Tout l’inverse d’un cellulaire plat et rectangulaire, dont le dessin n’a rien à voir avec un corps humain », explique-t-elle.

Au confort des mains vient s’ajouter la possibilité de chaleureuses conversations – littéralement. « Le son est d’une qualité incomparable, probablement grâce aux matériaux durables qui le composent et à la stabilité de la ligne fixe. Non seulement ça ne coupe jamais, la batterie ne lâche pas, mais il y a plus de relief dans la voix », constate Mme Marin, qui suppose porter une attention particulière à cet aspect en raison de son expérience en radio, remontant à l’époque où le numérique commençait à damer le pion à l’analogique.

Pour quelques mois, son téléphone a temporairement décroché, remisé dans une boîte de déménagement en attendant de prendre ses nouveaux quartiers. Mais d’ici l’été, il récupérera son statut d’objet branché.