Dans le monde du magazine imprimé, les années qui passent engendrent davantage de disparitions que de naissances. KO Média, qui a pris les commandes des magazines Elle Québec et Elle Canada en 2019, tentera à nouveau de déjouer de sombres pronostics. La maison d’édition de Louis Morissette a annoncé qu’elle lancerait en avril des versions québécoise et canadienne d’Elle Décoration.

Ces déclinaisons locales consacrées à la décoration intérieure sont nées d’« une grande demande », explique Sophie Banford, directrice générale chez KO Média et KO Éditions, en entrevue avec La Presse. « C’est venu de nos annonceurs, qui veulent de plus en plus être dans un environnement lifestyle, et de nos lecteurs. Sur nos sites web, ce sont des sujets qui cartonnent. » Elle Québec couvre déjà des sujets « décoration », notamment mis en valeur sur des réseaux sociaux comme Instagram et Pinterest.

Pendant la pandémie, cocooning oblige, l’engouement pour l’art du chez-soi s’est accentué, note Mme Banford, qui est aussi éditrice des magazines Véro, Josée di Stasio et K pour Katrine. Bien que Décormag et Chez soi aient disparu, les magazines Les idées de ma maison (Québecor), Je décore et Idées Déco (Éditions Pratico-Pratiques) occupent déjà cet espace douillet. Le nouveau titre se présente comme l’unique publication de « décoration intérieure avec une perspective internationale et un héritage mode ».

Pourquoi se lier à une marque européenne plutôt que de partir à zéro ? Poser la question, c’est un peu y répondre… Elle Décoration se décline en 26 versions internationales — et en presque autant de langues — et rejoint quelque 10 millions de lectrices. « Le nom est déjà établi, souligne Sophie Banford. Elle, c’est une marque que l’on connaît bien. On adhère à ses valeurs et à sa philosophie. Cela dit, on a une grande marge de manœuvre pour présenter le contenu qu’on veut. »

IMAGE TIRÉE DU SITE ELLE DÉCORATION FRANCE

Une couverture du Elle Décoration France

Les sujets et leurs scribes seront en grande majorité québécois, assure-t-elle. Un château de la Loire en couverture pour inviter au rêve, peut-être bien, mais le mandat du magazine résidera ailleurs. Si des décors scandinaves défilent dans la publication, il faudra que les lectrices puissent les reproduire dans leur chaumière.

On va être sur une esthétique moderne, actuelle, qui mélange les genres ; du high et du low, des designers et du IKEA. Notre vision est de montrer ce qui existe et comment bien le faire. KO Média étant une entreprise québécoise, on a une valeur forte : mettre de l’avant les talents d’ici.

Sophie Banford, directrice générale chez KO Média

Sophie Banford n’exclut pas une certaine convergence entre Elle Décoration et des émissions produites par la boîte KOTV. Récemment, Passion Poussière, animée par Sarah-Jeanne Labrosse sur Véro.tv, et Une étape à la fois, guidée par Marilou sur ICI Tou.tv, ont exploité un créneau similaire.

Contre le courant

Elle Décoration vient au monde dans un contexte périlleux. L’Association québécoise des éditeurs de magazines estime que ses membres ont perdu environ 50 % de leurs revenus publicitaires de 2013 à 2019. La directrice générale de KO Média mise sur la réactivité d’une « petite équipe » pour garder la tête hors de l’eau. « On est très agile, on réagit rapidement et on écoute beaucoup notre lectorat. Notre manière de faire s’apparente beaucoup à celle des start-up. »

« C’est une franchise, alors on pourra sans doute profiter d’articles et d’une maquette, commente Daniel Giroux, chercheur au Centre d’études sur les médias. Les frais de lancement sont d’autant diminués. Et, pour l’instant, on parle de seulement deux numéros par année. Tout cela ne réduit pas le risque à zéro, mais ça l’atténue certainement. »

Le spécialiste note par ailleurs qu’Elle Décoration pourra profiter de publicités dans les magazines Elle Québec ou Véro — et dans leurs réseaux sociaux — pour promouvoir la nouvelle publication. Le pari demeure risqué, selon M. Giroux.

Appel à l’aide

Comment la COVID-19 a-t-elle influé sur le secteur du magazine québécois ? Les rapports se font attendre, mais la portée des publications auprès des adultes, sur le web et en kiosque, a chuté de 5 % de l’automne 2019 (73 %) à l’automne 2020 (68 %) — qui comprend quatre mois pandémiques —, selon la firme Vividata. En outre, pendant plusieurs semaines de confinement, les éditeurs n’ont pas pu générer de recettes grâce aux ventes en kiosque.

Sophie Banford déplore que le gouvernement provincial n’offre aucune aide au secteur des magazines, à bout de souffle. Elle juge aussi les appuis d’Ottawa insuffisants, alors qu’il investit des dizaines de millions de dollars en publicités dans les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft).

« C’est un scandale, parce que tout le monde crève, en ce moment, dit-elle. Lancer un magazine, ça peut envoyer le message que ça va bien, nos affaires. Mais dans le fond, on va chercher l’argent où il y en a. On fait ce qu’on peut pour survivre. »

Dans une version précédente de cet article, nous indiquions qu’au Québec, seul le magazine Les idées de ma maison occupait déjà le créneau de la décoration intérieure.

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