On dit que la musique adoucit les mœurs. Mais en jouer peut aussi s’avérer un baume sur les soucis causés par une pandémie. C’est ainsi que certaines personnes ont profité du confinement pour se mettre à jouer ou à rejouer d’un instrument de musique. Portraits.

Catherine Gaudette, de Montréal : spécialiste en évaluation environnementale

« Au début de la pandémie, en plus d’adopter un chiot, j’ai magasiné pour un nouveau piano, pour remplacer le vieil instrument qui nous avait été donné pour les cours de mes garçons, raconte Catherine Gaudette. En anticipant le confinement, j’ai donc voulu investir dans quelque chose de meilleur pour les gars, mais c’était le cadre parfait pour que je me remette moi-même au piano ! »

La scientifique de 45 ans a en effet joué pendant 10 ans, puis a tout arrêté avant d’entrer au cégep. « J’ai crashé , je n’avais plus la discipline requise pour continuer au niveau où j’étais rendue. Au moment où j’ai annoncé à la directrice du collège que j’arrêtais le piano, j’ai pleuré. C’est un jour qui m’a marquée, ça m’a brisé le cœur. »

Le déclic s’est fait quand le nouveau piano est entré dans le sous-sol de leur maison du quartier Villeray. « Sans la COVID-19, j’aurais été moins prompte à acheter le nouveau piano, reconnaît la mère de garçons de 10 et 12 ans. Mais j’avoue être tombée en amour avec mon nouvel instrument, je n’en ai jamais eu un avec un son et une touche comme ça. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Catherine Gaudette

Je renoue donc avec les pièces de Debussy ou de Chopin que j’aime beaucoup, mais j’ai aussi fait l’achat des deux cahiers d’Alexandra Stréliski. C’est une musique fabuleuse ; on se chicane d’ailleurs, mon grand et moi, parce qu’il veut l’exclusivité des chansons qu’il choisit !

Catherine Gaudette

Catherine Gaudette a depuis repris les cours avec la même professeure que ses garçons, ce qui l’encourage à s’exercer un peu plus sérieusement. Mais elle joue aussi pour s’évader un peu du quotidien. « Le confinement nous demande de nous poser quelque part parce qu’on est un peu pris avec nous-mêmes ou notre bulle, explique-t-elle. Je laisse donc les gars se chamailler, et ça me change les idées. La musique réduit le stress, elle permet de nous échapper de l’espèce de paralysie sociale dans laquelle on vit en ce moment.

« Aussi, c’est difficile pour moi de ne rien faire, a enchaîné la fonctionnaire fédérale. Au piano, le temps disparaît et je suis juste extrêmement bien. Sans le confinement, je ne me serais pas accordé ce temps-là. »

Sophie Richer, de Boucherville : étudiante en animation 3D

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Sophie Richer, amoureuse de musiques méditerranéennes, s’est mise au bouzouki.

Amoureuse de musiques méditerranéennes, Sophie Richer exprime cette passion par la danse depuis une vingtaine d’années — elle a donné nombre de spectacles de danse orientale et rom, notamment. Toutefois, elle n’avait jamais décidé de jouer elle-même cette musique, même si elle avait acheté un bouzouki il y a maintenant deux ans.

« Je me cherchais un professeur, mais je n’en trouvais pas, explique-t-elle. Avec le confinement, je suis davantage à la maison, je me suis donc dit que je pourrais suivre un cours en ligne. Un ami musicien m’a dit qu’il connaissait un prof aux États-Unis qui donne ses cours sur Zoom à des étudiants un peu partout dans le monde. »

Quelques semaines plus tard, Sophie se retrouvait devant son écran pour suivre les enseignements de Spyros Pilios Koliavasilis, spécialiste des instruments méditerranéens établi à Gaithersburg, au Maryland. « Ça va étonnamment bien même si je trouve difficile qu’il ne soit pas là en personne pour corriger ma position. Sans la COVID, probablement que je me chercherais encore un prof aujourd’hui. Avec la pandémie, tout se passe en ligne, j’ai donc conclu que je pourrais apprendre la musique en ligne. »

La mère de garçons de 8 et 10 ans répète maintenant 45 minutes par jour et peut même demander à son prof de lui envoyer des capsules enregistrées pour lui permettre de s’exercer sur certains passages plus difficiles à maîtriser.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Sophie Richer suit les enseignements de Spyros Pilios Koliavasilis, spécialiste des instruments méditerranéens.

La courbe d’apprentissage est donc assez rapide. C’est agréable, ça me permet de bâtir sur plein de petites victoires.

Sophie Richer

« J’ai toujours aimé ça, mais maintenant, tout d’un coup, je participe à faire cette musique que j’aime. Et je m’aperçois que jouer de la musique a quelque chose de plus méditatif. Ça relaxe, aussi. » D’autant plus que jouer du bouzouki lui permet de diversifier son emploi du temps — elle poursuit actuellement une formation à distance en animation 3D.

Carl Salvail, de Trois-Rivières : réalisateur multimédia

PHOTO FOURNIE PAR CARL SALVAIL

Carl Salvail s’est mis à jouer de la batterie, laissant de côté la guitare, son instrument depuis l’adolescence.

Carl Salvail laissait la poussière s’accumuler sur sa guitare et son ampli depuis quatre ans. Un peu avant le début de la pandémie, l’idée de démarrer un groupe avec ses partenaires de tennis a commencé à faire son chemin.

« Un de mes amis avait une batterie électronique, je me suis dit que je pourrais bien essayer ça pour le fun, raconte le Trifluvien, qui a appris à jouer de la six-cordes il y a 30 ans. À la guitare, j’intellectualise pas mal tout, je pense à mes gammes, à mes patrons harmoniques ; avec le drum, je fais juste jouer, ce qui me fait le plus grand bien. Oui, il y a des moments où je dois réfléchir, mais après ça, je connais les passes, je vis ce que j’entends. Je pense que j’ai trouvé mon instrument, je ne retournerai plus jamais à la guitare. »

Toutefois, sans la COVID-19, le photographe-réalisateur de 46 ans n’aurait probablement pas été en mesure de faire ce constat aussi clairement. « J’imagine que j’aurais commencé la batterie, mais peut-être pas aussi intensément. Les gyms sont fermés, on ne peut plus sortir, on a du temps. »

Après avoir acheté la batterie électronique de son ami, Carl a rapidement décidé de passer à la vitesse supérieure en se procurant une véritable batterie acoustique. « On a d’abord eu accès à un local où il y avait une batterie, mais il manquait la caisse claire, alors j’ai dû en acheter une neuve », nous a expliqué le musicien.

PHOTO FOURNIE PAR CARL SALVAIL

Carl Salvail s’exerce trois heures par semaine, en plus de la répétition de cinq heures avec son groupe — les répétitions en groupe sont permises dans des locaux voués à cet usage et pour lesquels une réservation a été faite.

Peu de temps après, on a choisi de pratiquer dans un autre local mieux adapté, mais là, j’ai dû m’acheter une batterie complète. Je peux maintenant jouer dans le tapis — je fais le vide total !

Carl Salvail

Carl Salvail n’aurait justement pas cru que l’impact de jouer de la batterie aurait été aussi cathartique. « Si la vie avait continué comme avant, j’aurais été pris dans mon flot de travail, je n’aurais pas acheté ma batterie, c’est sûr. J’avais du stress et de la pression, je me retrouvais parfois à couper les coins ronds pour passer d’un contrat à l’autre. Maintenant, tout ça m’a amené à mieux prendre des choses, je choisis de travailler avec des gens qui me comprennent, qui savent par exemple que je joue de la musique le mercredi soir. Mon lien d’affaires avec mes clients est bien meilleur qu’avant. »

Une année record

Contre toute attente, l’année 2020 a été une année record pour bien des fabricants d’instruments de musique. Chez Fender, vénérable créateur de guitares californien, on est en voie d’enregistrer des recettes inédites, notamment en ce qui concerne les ventes en ligne et les instruments pour débutants. « Je n’aurais jamais cru qu’on en serait là aujourd’hui si vous m’aviez demandé en mars », a reconnu le chef de la direction de Fender, Andy Mooney, dans une entrevue au New York Times. Chez Long & McQuade, qui compte plus de 80 magasins, dont 9 au Québec, le vice-président Jeff Long nous confirme avoir vendu plus de guitares, plus de batteries, plus de claviers et surtout plus d’équipement d’enregistrement maison que l’an dernier.