Mais où sont-ils ? Où sont les ancêtres des Montréalais, ces gens qui ont connu le régime français, la Conquête, puis le début du régime anglais ? Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges a été fondé en 1854. Où donc sont ceux qui sont passés de vie à trépas avant cette date ? Ils sont sous le plancher d’un musée. Sous le parvis d’une église. Sous la surface d’un grand parc. Bref, ils sont sous nos pieds.

Évidemment, des autochtones ont vécu dans l’île de Montréal bien avant l’arrivée des Européens. « À Westmount, notamment, on a trouvé de 10 à 20 sites funéraires autochtones », indique Alain Tremblay, directeur exécutif de l’Écomusée de l’Au-delà.

Les Européens catholiques ont établi leur premier cimetière en 1643 tout près du fort de Ville-Marie, sur ce qu’on appelle aujourd’hui la pointe à Callière. Il a été en usage jusqu’en 1654. Pendant cette période, 38 personnes y ont été enterrées, dont une douzaine d’autochtones.

La présence d’Européens et d’autochtones dans le même cimetière est exceptionnelle, fait observer Louise Pothier, archéologue en chef au musée Pointe-à-Callière. « Les Français n’étaient pas venus ici pour créer une ville, mais pour établir une mission d’évangélisation », explique-t-elle.

Les registres de la paroisse Notre-Dame permettent de connaître l’identité des personnes qui reposent dans ce cimetière. On y retrouve des noms connus comme Archambault, Bonenfant, David, Hébert, Tessier et Thibault. On indique la cause de la mort lorsqu’elle est connue : beaucoup ont été tués par les Iroquois, qui faisaient pression pour que les Européens quittent les lieux.

« Contrairement à bien d’autres pays, les documents n’ont pas été détruits au Québec, observe Mme Pothier. Nous sommes chanceux : c’est incroyable d’avoir ces registres. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

On peut voir une petite section du premier cimetière catholique de Montréal dans le sous-sol du musée Pointe-à-Callière.

Autre coup de chance, on a retrouvé ce premier cimetière et on a décidé de modifier le projet du musée Pointe-à-Callière pour l’inclure. L’équipe du musée a excavé sept fosses. Les visiteurs peuvent en observer quelques-unes. Les autres demeurent intactes sous le plancher du musée.

C’est une pratique en archéologie de ne pas fouiller un site à 100 %. Nous savons que les méthodes d’analyse évoluent rapidement. Aujourd’hui, on est capables de reconstituer l’alimentation de quelqu’un, de découvrir son origine. Il y a 30 ans, ça ne se pouvait pas.

Louise Pothier, archéologue en chef au musée Pointe-à-Callière

Les archéologues de l’avenir pourront donc découvrir de nouvelles choses en excavant les autres fosses du cimetière.

Étonnantes découvertes

Jusqu’ici, on a appris que les premiers habitants européens de Montréal enterraient leurs morts à très faible profondeur, soit de 30 à 50 centimètres. Avec le gel et le dégel, les os pouvaient remonter à la surface.

Plus embêtant encore, le site du premier cimetière était fréquemment inondé. On a donc commencé à inhumer les défunts dans un nouveau cimetière dans le jardin de l’Hôtel-Dieu, en 1654, à l’angle des rues Saint-Paul et Saint-Sulpice. On aurait peut-être choisi ce site en raison de la présence de la chapelle de l’hôpital.

« Au tout début, les personnes étaient enterrées tout près des églises », observe Joanne Burgess, professeure au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal et directrice du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal.

L’idée, c’est de passer l’éternité le plus près possible de Dieu et des saints.

À peine six années plus tard, on s’est déplacé vers un « grand cimetière », probablement situé entre les rues Saint-Paul, Saint-Sacrement, Saint-Pierre et Saint-François-Xavier.

Ce troisième cimetière a aussi subi des inondations et, en 1683, la fabrique de la paroisse Notre-Dame a vendu le terrain aux enchères. Louise Pothier affirme qu’un autre facteur a motivé cette vente.

« La fabrique avait besoin d’argent pour compléter l’église Notre-Dame, alors en construction », explique-t-elle.

Cette première église se situait dans l’axe de ce qui est aujourd’hui la rue Notre-Dame, perpendiculairement à la basilique d’aujourd’hui.

Avec les années, d’autres cimetières se sont ajoutés, comme un « cimetière des pauvres », La Poudrière, située dans ce qui est aujourd’hui la rue Saint-Jacques, près de la rue McGill.

Les protestants, établis à Montréal depuis la Conquête de 1760, enterraient leurs défunts notamment là où se trouve aujourd’hui le complexe Guy-Favreau.

Mais voilà, ça devenait un peu serré en ville, et on commençait à s’inquiéter au sujet de la salubrité. La fabrique de la paroisse Notre-Dame a donc acheté un terrain loin de la ville, en 1799, pour installer le nouveau cimetière Saint-Antoine. À l’époque, c’était un champ, mais la ville s’est élargie avec le temps et, aujourd’hui, ce terrain est le site de la place du Canada et du square Dorchester. On va y enterrer jusqu’à 55 000 personnes jusqu’en 1854, soit jusqu’à la fondation du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, sur le mont Royal.

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Environ 35 000 personnes seraient encore inhumées sous la place du Canada et le square Dorchester, où se trouve l’ancien cimetière Saint-Antoine. Seules une inscription et des croix gravées rappellent la présence de ces anciens Montréalais.

Selon certaines estimations, environ 35 000 sépultures seraient encore sur place, sur le site de l’ancien cimetière Saint-Antoine.

Alain Tremblay, de l’Écomusée de l’Au-delà, indique que la paroisse avait offert un lot gratuit au cimetière de Notre-Dame-des-Neiges aux familles qui voudraient y transférer leurs défunts inhumés à Saint-Antoine. Mais un nombre limité de familles, environ 275 selon les estimations, ont accepté l’offre.

« La vaste majorité des personnes enterrées n’avaient pas de famille, personne ne s’intéressait à ça », explique M. Tremblay.

Les autorités ont également commencé à exhumer des sépultures pour les transférer à Notre-Dame-des-Neiges entre 1870 et 1875. Les résidants des environs ont fini par protester : il y avait eu de grandes pandémies au début du XIXsiècle à Montréal, et la population n’était pas chaude à l’idée de rebrasser tout ça.

Elle n’appréciait pas non plus le grand projet résidentiel prévu à cet endroit. La Ville de Montréal a fini par racheter le site pour en faire un grand parc.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges

« D’une certaine façon, les morts l’ont sauvé de l’envahissement urbain, lance Alain Tremblay. C’est un de nos plus beaux parcs aujourd’hui, mais ça demeure un lieu de sépultures. »

Archéologues à l’affût

Les archéologues de la Ville de Montréal sont à l’affût. Lorsque de gros travaux se préparent dans des secteurs qui pourraient toucher des sites archéologiques, ils entrent en action et effectuent souvent des travaux en amont. Parfois, il y a des surprises.

Ç’a été le cas avec les travaux effectués devant l’église Notre-Dame et sur la place d’Armes il y a quelques années.

On s’est aperçus que, même si les sources historiques disaient que les sépultures avaient été exhumées pour être transférées au cimetière Saint-Antoine, elles étaient pratiquement toutes là. C’est la différence entre sources historiques et sources archéologiques.

François Bélanger, archéologue à la Ville de Montréal

Ils ont recueilli les restes complets d’environ 125 individus et de nombreux ossements épars. Mais beaucoup de sépultures sont encore présentes dans le sol, et on n’a pas l’intention de les déranger.

« Nous avons travaillé avec la fabrique de la paroisse pour que le parvis soit davantage soulevé, de façon à ce qu’il n’entre pas en conflit avec le cimetière », explique M. Bélanger.

Les archéologues ont également œuvré sur le site de l’ancien cimetière Saint-Antoine avant de grands travaux d’aménagement de la place du Canada et du square Dorchester réalisés en 2014. On a rehaussé les aménagements pour minimiser l’effet sur les sépultures situées directement en dessous.

Évidemment, certains travaux incontournables, comme du drainage, ont nécessité l’exhumation de nombreuses sépultures. On parle de 200 à 250 individus dans ce cas.

Un comité consultatif, regroupant notamment des gestionnaires, des archéologues, des universitaires et des anthropologues, a été créé pour décider de ce qu’on ferait de ces restes.

« On a décidé de les envoyer à l’Université de Montréal à des fins de recherche, d’analyse et de formation », indique M. Bélanger.

Lorsque les travaux seront terminés, les ossements devraient être inhumés au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. Un projet de monument commémoratif est toujours dans les cartons.

« Il y a une volonté de remettre ces sépultures-là dans un lieu consacré et de faire en sorte qu’elles ne dorment pas dans des boîtes quelque part », assure M. Bélanger.