La pandémie et bien des questions sans réponse sur l’avenir des personnes âgées ont amené l’artiste et auteure Louise Forestier à joindre le gériatre Réjean Hébert. « Réjean, il faut qu’on se parle des vieux ! Qu’est-ce qui m’attend ? Qu’est-ce qui nous attend ? » Un cri du cœur entendu. Et partagé. Ils présentent leurs réflexions dans un échange animé de courriels dont nous publions aujourd’hui le quatrième volet.

L’attente

Cher Réjean,

C’est ta vieille, ta vieille Louise qui t’écrit après un été pour le moins torride, ça m’a rappelé les 38 °C qu’il faisait dans la chambre de mon père au CHSLD le jour de sa mort en 2003. Il n’y avait pas de climatisation dans les chambres, je me demande : y en a-t-il aujourd’hui ? J’ai l’impression que rien n’a bougé depuis.

Réjean, sais-tu que ça me coûtera environ 10 675 $ pour garder propres (cinq douches par semaine) et ma personne et mon logement. J’ai appris ça en lisant l’excellent papier de Marie-Hélène Proulx dans L’actualité. Allez courage citoyens et citoyennes, il faut le lire, ça fait peur, mais une bonne claque sur les fesses à tout âge, ça « l’aide » comme on dit dans la nouvelle langue !

Lisez l’article de Maire-Hélène Proulx dans L'actualité

Dans ce papier, tu nous révèles que les Québécois sont parmi les moins bien servis au monde en matière de soutien à domicile !

Quand faut-il mettre son nom sur la liste des soins à domicile au CLSC ou autre sigle du genre ?

Louise

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« Fabriquer » des résidants de CHSLD

Bonjour Louise,

Le Québec se retrouve en effet au dernier rang des pays industrialisés quant au financement public des services à domicile aux personnes âgées (et le reste du Canada n’est pas mieux). Triste bilan. Comment en est-on arrivé là ?

Ça remonte à la création de notre système public de santé il y a 50 ans. Nous étions alors un pays jeune avec des baby-boomers dans la force de l’âge : il fallait couvrir les services médicaux et les soins hospitaliers. C’est ce que la loi canadienne a institué en incitant les provinces à établir un financement public pour les médecins et les hôpitaux, avec promesse d’assumer la moitié de la facture. Le Québec a emboîté le pas, avec la création de l’assurance maladie et souhaitait même aller plus loin et couvrir les services de première ligne en dehors de l’hôpital. On a même créé un établissement ayant ce mandat, le CLSC. C’était une innovation assez révolutionnaire : une organisation centrée sur les services de proximité avec un conseil d’administration composé de citoyens. La participation citoyenne était alors au cœur de la planification et de la prestation de services à la population.

Parmi les mandats des CLSC, on retrouve les services à domicile, notamment pour les personnes âgées en perte d’autonomie. Une politique de soins à domicile est même venue confirmer et encadrer cette vocation en 2003.

Mais voilà, les budgets n’ont jamais suivi. Pire, le virage ambulatoire de 1995, qui a raccourci la durée de séjour dans les hôpitaux, a transféré aux CLSC la responsabilité des soins après une hospitalisation. Or, le financement des services post-hospitaliers est venu gruger celui des soins à domicile des personnes âgées et des personnes handicapées.

Puis, les réformes successives de 2003 et 2015 ont supprimé l’autonomie des CLSC. Ce n’est maintenant que l’une des missions des nouveaux établissements dominés par l’hôpital. Or, la vocation hospitalière draine une large part du financement et des ressources humaines. Les soins à domicile aux personnes âgées se sont donc rétrécis comme peau de chagrin et ne sont plus la priorité. Un exemple : une personne qui sort de l’hôpital aura ses soins à domicile le lendemain ; une personne âgée en perte d’autonomie doit attendre des semaines et des mois pour espérer recevoir moins de 2 heures de soins par semaine (la moyenne est de 1,7 heure par semaine). Tu devras donc t’y prendre de bonne heure, ma chère Louise.

Pendant la première vague de la pandémie de COVID-19, les personnes recevant des soins à domicile ont vu leurs services se réduire de façon drastique. Les intervenants des CLSC ont été transférés vers les CHSLD ; les entreprises d’économie sociale et les organismes communautaires ont été contraints de réduire ou de cesser leurs services. Les personnes âgées ont été laissées à elles-mêmes avec des proches qui se sont épuisés à pallier l’absence de services. Conséquences : détérioration de l’état de santé, démission des proches, hospitalisation, transfert en CHSLD. Une cascade habituellement lente qui s’est précipitée lors de la pandémie.

Voilà comment on « fabrique » des résidants de CHSLD : par l’insuffisance de soins à domicile. C’est triste et c’est en plus très onéreux pour la société. Pour changer ça, il faut investir davantage, mais surtout autrement dans les services à domicile. Même en augmentant les budgets dans les conditions actuelles, l’ogre hospitalier veille : l’argent investi pour des soins à domicile nourrit plutôt l’hôpital et ne se traduit pas nécessairement en davantage de services.

Pour répondre à ta question, ma chère Louise, tu ne peux mettre ton nom sur une liste d’attente pour des soins à domicile si tu n’as pas déjà une perte d’autonomie et des besoins de services. Si cette situation venait à survenir, il te faudra être patiente et avoir une personne proche aidante pour te soutenir en attendant. Ou encore, puiser dans tes économies pour te payer des services.

Réjean

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Et en France ?

Cher Réjean,

Ton texte m’éclaire. C’est troublant de constater le détournement idéologique et économique qu’a pris cet organisme à hauteur de vieilles et de vieux qui ne demandent qu’à vivre leur vie, sur leur vraie rue, avec les différences d’âges, de couleurs de peaux, d’accents, de langues, de musiques, d’odeurs de cuisine que ça comporte et surtout qui veulent vieillir à la maison.

Loin de nous, en banlieue proche de Paris, c’est ce que Thérèse, la mère de mon amie franco-italienne, a choisi de vivre, mais je dois t’avouer mon cher Réjean qu’il y a dix ans à peine j’avais demandé à Patricia si elle avait visité les EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) autour du pavillon de sa mère, car il fallait s’y prendre à l’avance pour trouver une place !

Il me semblait que les EHPAD fonctionnaient beaucoup mieux là-bas qu’ici nos CHSLD. Mais quand même Thérèse, âgée de 82 ans, tenait encore maison en compagnie de sa chatte Mélodie et ne voulait surtout pas vieillir ailleurs que dans sa maison. Mon amie a respecté le souhait de sa mère. Elle passe une fin de semaine sur deux avec elle et peu à peu a pu installer autour de sa mère un service d’aide adéquat fourni par la Ville en plus des voisins qui jettent un œil bienveillant sur Thérèse.

Tout ça pour te demander si ce que vit Thérèse est exceptionnel ou si en France « vieillir chez soi » est presque un séjour dans le désert de la solitude.

Louise

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Un Wayne Gretzky sur le banc

Chère Louise,

Je suis de très près la situation en France. J’y ai fait ma formation en gériatrie et en gérontologie sociale début 1980 à Grenoble. J’ai passé une année à Paris à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en 2011 et j’y suis encore, à Nice cette fois, pour une année sabbatique. La France a subi un électrochoc en 2003 lors de la canicule qui a tué près de 20 000 vieux et vieilles. Ils ont alors emboîté le pas à plusieurs pays voisins en instaurant l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). C’est une assurance publique pour les soins à long terme. On évalue les besoins des personnes âgées et on alloue une somme définie selon l’importance du besoin. Avec cette somme, les personnes peuvent recevoir leurs soins en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou à domicile.

Et devine quoi ? Comme Thérèse, les personnes privilégient le domicile. Avec l’allocation, elles peuvent financer les services dont elles ont besoin. Pas tous les services, bien sûr, mais une portion significative qui permet le maintien à domicile. Les montants de l’APA ont même été augmentés il y a quelques années.

J’ai pu constater moi-même le fonctionnement de cette allocation lors de mon séjour en France et j’en ai profité pour aller voir les assurances du même type mises en place en Allemagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas. Je suis allé au Japon et en Corée du Sud où l’on a aussi implanté ce système. Ça marche. L’allocation permet de financer des services publics ou privés et c’est la personne et ses proches qui décident ce qui est prioritaire. Les décisions budgétaires ne sont pas prises par l’établissement public, mais par les personnes.

C’est ce système que je voulais implanter au Québec avec le projet d’assurance autonomie. En plus, le Québec a beaucoup d’atouts : on a une évaluation standardisée réalisée par un gestionnaire de cas qui établit avec la personne un plan de services, cette évaluation se traduit en catégories de besoins qui peuvent correspondre à un montant d’allocation, un système informatique est déjà en place pour faciliter tout ça. Il ne reste qu’à créer une caisse ou un fonds et à faire gérer le processus par la Régie de l’assurance maladie et bingo… Malheureusement, j’ai manqué d’un peu de temps pour que le projet de loi soit adopté et que l’assurance autonomie soit implantée.

Il faudra y revenir. D’autant plus qu’avec des collègues de HEC, on a clairement démontré que cela coûterait moins cher que la situation actuelle qui privilégie la solution de placement en institution : CHSLD, ressources intermédiaires et autres Maisons des aînés. Le gouvernement a annoncé qu’il examinera la question des soins à domicile. J’espère participer à cet exercice. Un collègue m’a récemment comparé à un Wayne Gretzky qu’on garde sur le banc alors que l’équipe est en train de perdre les séries. J’ai hâte, Louise, de sauter sur la patinoire et de « scorer » quelques buts pour les vieux et les vieilles qui comme toi veulent vivre à la maison le plus longtemps possible.

Réjean

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