Dans Tom Clancy’s Rainbow Six Siege, jeu vidéo conçu par Ubisoft Montréal, les joueurs peuvent incarner différents agents. Ici, la diversité est le mot d’ordre. Il y a Aruni, ex-détective thaïlandaise qui a perdu un bras et une jambe. Flores, voleur justicier argentin qui vit avec son mari, à Los Angeles. Et Thunderbird, médecin autochtone.

Ubisoft Montréal a franchi un pas de plus, l’été dernier, en présentant sa nouvelle opératrice, Osa, décrite comme une génie de robotique. Elle est originaire de Croatie, a 27 ans et travaille pour une entreprise militaire privée. Osa est aussi l’un des rares personnages trans à occuper un rôle central dans un jeu vidéo.

Selon Simon Ducharme, le scénariste derrière la création du personnage, il était essentiel de s’entourer de femmes trans pour élaborer Osa, qui est à mille lieues des clichés qui circulent encore trop souvent dans les médias.

« D’après moi, c’est une population sous-représentée, qu’on ne voit pas souvent, surtout dans de gros jeux, et encore plus en tant que personnage jouable », explique Simon Ducharme, que nous avons joint par visioconférence.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Simon Ducharme

C’était quelque chose de très délicat, de très important pour moi. Et il fallait qu’on entende les voix des gens qui vivent ces réalités. Qu’on ne continue pas la mauvaise habitude de donner des rôles queers à des personnes qui ne le sont pas.

Simon Ducharme, scénariste derrière la création d’Osa

Jade Moulin, chercheuse en expérience utilisateur et en psychologie comportementale, est l’une des trois femmes trans à avoir été consultées par l’équipe d’Ubisoft. Jade a commencé sa transition en 2017 alors qu’elle était chez Ubisoft Montréal. Elle est depuis retournée vivre en France. Le projet d’Osa lui a tout de suite plu.

« On a tout couvert, explique Jade Moulin. Son apparence, son histoire, les éléments de son background, pour qu’elle soit vraiment intéressante et originale. On a parlé éventuellement de sa transition, de son nom, de son âge, de son origine, de son rôle dans le jeu… »

La voix de Nicole Maines

L’équipe s’est aussi assurée que ce soit une femme trans qui donne sa voix au personnage d’Osa. C’est l’actrice et militante américaine Nicole Maines, interprète de Dreamer dans la série Supergirl, qui a été choisie, au grand bonheur de Jade Moulin. « C’est une battante, une femme trans qu’on est très nombreuses à respecter », dit-elle.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE L’AGENCE MN2S

L’actrice et militante américaine Nicole Maines

Il a aussi fallu réfléchir à la manière d’amener la transidentité d’Osa. D’un côté, on ne voulait pas que l’information soit simplement « jetée au visage », que ce soit une « transidentité de façade », sans profondeur. De l’autre, on ne voulait pas non plus que ce soit caché, nébuleux, honteux.

Sur le site internet d’Ubisoft, la transition est mentionnée dans deux sections de la biographie d’Osa, essentiellement pour expliquer son rapport aux autres et au travail. Elle s’est retrouvée isolée en raison de son approche peu orthodoxe et de l’attitude des autres envers sa transition, et s’est donc concentrée sur son travail, peut-on y lire. « On a trouvé que c’était un bon moyen, un bon compromis pour être clair sur sa transidentité, sans non plus forcer la présentation », explique Simon Ducharme.

Consultez la biographie d’Osa

Jade Moulin souligne que, chez les femmes trans qui réussissent à maintenir une carrière, beaucoup se vouent à 100 % au travail. « Comme tout reproche peut être mis sur le dos de la transidentité [elles se disent] : “Je dois être excellente, impeccable”, résume-t-elle. Ça a forgé le caractère d’Osa. »

Osa érige une barrière autour d’elle pour se protéger, mais offre un soutien indéfectible à son petit cercle d’amis, « aux gens qui l’ont soutenue pendant la transition pour qui elle ferait aujourd’hui n’importe quoi », résume Simon Ducharme.

PHOTO FOURNIE PAR JADE MOULIN

Jade Moulin, chercheuse en recherche utilisateur et en psychologie comportementale

Éducation et sensibilisation

L’arrivée d’Osa a été bien accueillie chez les joueuses trans, indique le scénariste, selon qui beaucoup étaient heureuses de se reconnaître en un personnage. Jade Moulin est d’accord : « Je pense que beaucoup de jeunes personnes trans qui joueraient à Rainbow Six Siege et qui verraient Osa se diraient : “C’est un goal. Je vais lui ressembler plus tard.” »

Est-ce le but ? Que les joueuses et les joueurs trans puissent s’identifier ?

Pour Simon Ducharme, ça part du désir d’offrir des modèles auxquels s’identifier, oui, mais aussi d’éduquer les joueurs de partout dans le monde qui ne sont pas habitués aux réalités trans. « Ça leur offre une référence de quelqu’un de bien réalisé, d’important, d’intéressant, dit-il, un ancrage pour commencer la discussion. »

« Et peut-être que ça pourra faciliter leur compréhension de la transidentité et leurs interactions sociales avec les personnes trans qui pourraient un jour faire partie de leur entourage », conclut Jade Moulin.