Après 19 mois d’absence, les musiciens sont de retour, pour leur plus grand plaisir – et celui des usagers – dans le métro de Montréal pour gratter la guitare, souffler du trombone et réchauffer leurs cordes vocales.

9 h, lundi matin. Station Berri-UQAM. Près des quais, la mélodie d’un accordéon se mêle à la rumeur du métro. Des travailleurs au pas pressé et des étudiants mal réveillés tendent l’oreille vers Anya, trop concentrée sur un refrain irlandais traditionnel pour les remarquer.

C’était difficile, un an sans musique. Pour moi, la musique ajoute de la couleur à la vie. C’est quelque chose de central et d’universel.

Anya, accordéoniste

Depuis lundi, les musiciens ont repris leur place sous les lyres (qui identifient les emplacements autorisés pour jouer) des stations Berri-UQAM, Jean-Talon et Guy-Concordia, auxquelles s’ajouteront graduellement d’autres stations si le retour se déroule bien. La Presse est allée à la rencontre de ces anciens (et nouveaux) instrumentistes qui tenaient à être les premiers à animer le ventre de la ville.

Parmi eux, Anya, dont les doigts fins courent avec agilité sur son instrument. Une passante glisse un billet de 5 $ dans l’étui à ses pieds. La récolte est bonne, mais pas autant qu’à l’extérieur.

« C’est plus facile dans la rue. Quand on porte un masque, c’est plus difficile de créer un lien avec les gens. Je ne peux pas leur faire un sourire. À part ça, c’était très sympa de revenir », dit Anya, assise sur son petit tabouret.

C’était la condition pour que les musiciens puissent retourner en sécurité dans le métro. Tous les artistes, même les chanteurs, doivent porter un couvre-visage, exception faite des instrumentistes à vent.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le violoniste Jiam Feng à la station Guy-Concordia

Mais on peut toujours sourire avec les yeux, fait remarquer Jiam Feng. À la station Guy-Concordia, le violoniste entame sa demi-heure devant un public intrigué par son instrument à deux cordes. « J’étais un peu nerveux ce matin, mais je me sens plus reposé maintenant », confie Jiam Feng, entre deux chansons.

À quelques pas de lui, une passante charmée le filme sur son téléphone cellulaire. « La musique m’a vraiment manqué. Je suis très contente que ça recommence. Ça me donne de l’énergie pour ma journée », affirme Azadeh Moghaddam. Avec un peu de chance, elle le reverra cette semaine : Jiam Feng a réservé 10 plages horaires d’ici vendredi.

Retour « réussi »

Avec plus de 70 % des emplacements autorisés réservés cette semaine, la Société de transport de Montréal (STM) se réjouit de ce retour « réussi ».

« C’était une très belle première journée. Il y avait beaucoup de sourires tant de la part des clients que des musiciens », a déclaré le relationniste Philippe Déry, qui a reconnu plusieurs visages familiers sur le terrain.

On voulait ramener une certaine normalité dans la routine que les gens connaissaient avant la pandémie. Ça augure bien pour la suite des choses.

Philippe Déry, de la STM

Daniel Lalonde, président du Regroupement des musiciens du métro de Montréal, est un incontournable du milieu. Vous l’avez peut-être croisé, lui, sa chevelure blonde et son inséparable guitare. Lundi matin, il n’aurait été nulle part ailleurs qu’à la station Berri-UQAM, avec son enthousiasme contagieux et un répertoire rafraîchi.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Daniel Lalonde, président du Regroupement des musiciens du métro de Montréal

« Je n’ai jamais arrêté pendant la pandémie. J’en ai profité pour sortir mes propres chansons et pour remplir deux cartables de chansons que je voulais apprendre depuis longtemps », raconte-t-il, après une interprétation énergique de Femmes de rêve de Claude Dubois.

Nouveau système de réservation

Pourquoi attendre 19 mois avant de permettre le retour des musiciens ? D’abord, il fallait le feu vert de la Santé publique, explique Philippe Déry, et un niveau d’achalandage intéressant pour les artistes (à quoi bon jouer dans un métro désert ?). Il fallait également mettre au point un système de réservation amélioré.

Avant la pandémie, les musiciens indiquaient sur un petit bout de papier la date et l’heure qu’ils désiraient réserver. Or, la méthode était loin d’être pratique. « Il fallait se lever à 4 h pour arriver à 5 h 30 et réserver sa place. Sinon, ça se remplissait en une heure et demie et il n’y avait plus de place pour jouer », se souvient Daniel Lalonde.

Récemment, la STM a lancé une nouvelle plateforme en ligne pour faciliter la réservation des lyres. Une soixantaine de musiciens se sont déjà créé un profil, dont José Lamartine. À la station Berri-UQAM, le guitariste grattait des airs de rumba et de flamenco. « Avant, je jouais dehors, mais maintenant, avec la réservation en ligne, tout semble plus organisé. C’est beaucoup mieux », dit-il.

À cette heure creuse de la journée, entre la cohue matinale et l’heure du dîner, les passants se font moins nombreux. Et les pièces de monnaie, encore moins. « Ce n’est pas grave. Je vis dans un petit appartement, et je dois respecter mes voisins qui n’aiment pas le bruit. Je viens ici pour m’entraîner. Et si en plus je peux faire sourire les gens, je suis heureux. »