Fan de hockey, de Britney ou… de tueurs en série. Fini le temps où on levait le nez sur les fans et leurs groupes. Ceux-ci font désormais l’objet d’études sérieuses et surtout variées, suscitant de plus en plus l’intérêt. Pour cause : avoir des idoles rend heureux. Donne un sens à la vie. Et en a même sauvé certains de la pandémie. Explications, analyses et témoignages, en trois temps.

La fandom, une discipline universitaire

« Les gens sont toujours surpris de l’entendre, mais c’est une discipline universitaire très sérieuse ! » confirme Zoe Fraade-Blanar, professeure de Fandom and Celebrity Studies, à l’Université de New York. « C’est une discipline qui touche à la fois à la sociologie, aux études des médias, au marketing, c’est un mélange très intéressant ! » Une discipline relativement récente (« La culture nerd est devenue grand public [mainstream] », écrivait à ce sujet il y a quelques années le magazine New Yorker), qui décortique notamment comment et pourquoi certains se regroupent autour d’un phénomène de culture populaire donné. Et varié.

Lisez le texte « We’re All Nerds Now » (en anglais)

Effectivement, ici, on ne discrimine pas les passions (contrairement aux profanes, portés parfois aux jugements rapides, nous y viendrons), en analysant sur un pied d’égalité les fans d’Harry Potter, du Nutella (oui, on peut être fan d’une marque) ou, pourquoi pas, de Shakespeare.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE NEW YORK

Zoe Fraade-Blanar, professeure de Fandom and Celebrity Studies, à l’Université de New York

Et on aurait tort de discréditer les fandoms [communautés de fans, dans le jargon] parce qu’elles relèvent de la culture populaire.

Zoe Fraade-Blanar, professeure de Fandom and Celebrity Studies, à l’Université de New York

Parce qu’au bout du compte, être fan (parce qu’il s’agit bien d’un « verbe », impliquant une action, de la socialisation, même certains rituels, facilités, voire décuplés depuis l’internet) relève d’une même « quête de sens » : « et il n’y a aucune interrogation à laquelle Harry Potter ne puisse répondre, sourit Zoe Fraade-Blanar. La fandom est bonne pour vous ! » Bonne, et surtout « très le fun ! », dit celle à qui l’on doit un livre sur le sujet (Superfandom), par ailleurs fan de Frank Zappa et d’Agatha Christie. « Les fans disent souvent que leur passion leur offre une échappatoire, un espace où ils peuvent vraiment être eux-mêmes, oui il y a quelque chose d’un peu utopique, mais parfois, cela répond tout simplement à un besoin ! »

En finir avec la honte d’être fan

Lynn S. Zubernis est professeure de psychologie à l’Université West Chester, en Pennsylvanie. Elle est aussi fan assumée de la série Supernatural (Surnaturel au Québec), et membre d’un groupe assez niché, participant activement en ligne, mais aussi en personne, à des congrès aux quatre coins du monde.

PHOTO CHRIS SCHMELKE, FOURNIE PAR LYNN S. ZUBERNIS

Lynn S. Zubernis (à gauche) et son amie Laurena (à droite) prennent la pose aux côtés de leurs idoles : Jensen Ackles (au centre à gauche) et Jared Padalecki (au centre à droite), de leur série préférée, Supernatural.

Il y a quelques années, jamais l’universitaire n’aurait osé ainsi se confier. « Mais aujourd’hui je suis à l’aise, je ne me sens plus coupable ! », glisse celle qui publie désormais des chroniques dans Psychology Today sur le sujet.

PHOTO FOURNIE PAR LYNN S. ZUBERNIS

Lynn S. Zubernis est professeure de psychologie à l’Université West Chester, en Pennsylvanie.

Lisez ses chroniques dans Psychology Today (en anglais)

Quand je suis tombée amoureuse de l’émission, mes enfants étaient jeunes, et j’ai traversé un genre de crise : est-ce que j’ai le droit de faire ça ? Je suis une professionnelle, une mère ! Alors je me suis plongée dans la recherche, et j’ai trouvé toutes sortes d’avantages à avoir une passion !

Lynn S. Zubernis, professeure de psychologie à l’Université West Chester, en Pennsylvanie

Et elle n’est pas seule : en 2015, Tasha R. Howe a publié un article dans la revue Self and Identity sur les fans de musique métal (dont la psychologue de l’Université Humboldt faisait partie dans sa folle jeunesse). Conclusion : ces adolescents étaient « considérablement plus heureux dans leur jeunesse et sont aussi plus adaptés aujourd’hui », écrivait-elle, soulignant les immenses avantages associés à la communauté de pairs, en matière d’identité et de sentiment d’appartenance, essentiels au bien-être. Bref, au bonheur.

Lisez l’article de Tasha R. Howe (en anglais)

Parce qu’être fan, c’est ça : se passionner pour un sujet, une personnalité, un groupe de musique ou, dans le cas de Lynn S. Zubernis, une série. Et parce que les passions répondent à un besoin humain (« on a besoin de faire des choses simplement pour le plaisir ! »), et que les fandoms incarnent une forme de communauté (sans oublier une « validation » et « un partage d’intérêts communs »), on aurait tort de s’en priver, d’autant plus que la culpabilité vient annuler tous ces bénéfices sous-estimés.

D’ailleurs, pourquoi les préjugés ? « Parce qu’on est tous un peu mal à l’aise avec les gens qui expriment des émotions fortes, répond la psychologue. Alors que c’est la chose la plus saine qui soit ! » Aussi, croit-elle, les médias ont tendance à dépeindre les groupes de fans les plus extrêmes (vous souvenez-vous des Bronies, des hommes, fans improbables de pouliches ?). « Mais dans 99 % des cas, un fandom, ce n’est pas ça : ce sont des gens tout à fait normaux qui ont tout simplement trouvé une passion ! » Et tant que cette passion n’empiète pas sur les autres sphères de la vie, aucun souci, précise la psychologue. « La priorité, c’est l’équilibre. »

Le droit d’être soi-même

PHOTO HEO RAN, ARCHIVES REUTERS

Les membres du boys band sud-coréen BTS

En pleine pandémie, la journaliste et productrice de la CBC Samantha Lui a fait un coming out hors du commun : « Je suis une fangirl. » Après des années dans le placard, elle a osé dire, écrire et confier tout haut ce qui l’a par ailleurs sauvée pendant la pandémie. À savoir : sa passion pour BTS, un boys band sud-coréen. « C’est quand la pandémie a commencé que j’ai compris qu’être une fangirl était bien plus qu’une obsession puérile », a-t-elle écrit sur le blogue Doc Project, de la société d’État, soulignant le réconfort apporté par le groupe qu’elle aimait, à une époque où le réconfort n’était pas forcément au rendez-vous, disons.

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTINE HÉBERT

Christine Hébert, autrice du mémoire de maîtrise Les Duggies et internet, publié aux Presses de l’Université Laval

Selon Christine Hébert, à l’origine du blogue Nous sommes fans, qui a relayé ce coming out inusité, tout revient encore ici à cette idée de « communauté », de rassemblement de gens « qui nous ressemblent », permettant à chacun d’être enfin « soi-même ». Une communauté « où on peut afficher nos préférences et nos goûts sans être jugés », résume celle qui se définit comme Duggie (petit nom des fans de la série Dans une galaxie près de chez vous), autrice d’un mémoire de maîtrise sur le sujet (Les Duggies et internet), et de fanfiction à ses heures. D’ailleurs, à ses yeux, c’est une évidence : être fan incarne « presque un besoin vital d’exprimer ma créativité », croit-elle.

Lisez l’article de Samantha Lui (en anglais)

Les fans et leurs idoles : l’exception québécoise

Les Québécois se distinguent ici dans leur rapport unique face à leurs idoles. Si la posture en est toujours une d’« asymétrie » ou d’« écart de grandeur » (« c’est ce qui crée la posture du fan face à son idole », rappelle Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’UQAM, le but du fan étant de se rapprocher de son sujet d’idolâtrie, que ce soit par la collection d’objets, une participation à une communauté, etc.), au Québec, cette distance s’incarne dans une paradoxale illusion de « promiscuité ». Avec comme meilleur exemple le cas de Véronique Cloutier, dont l’image mise non pas tant sur « l’effet de distance », mais sur le côté « girl next door », comme disent les voisins. « Elle pourrait être ton amie, elle pourrait être ta voisine. [...] Cela permet de créer un lien [...] même si, au départ, tout part d’une image de grandeur. » Illusion de proximité par ailleurs magnifiée par la pandémie, alors qu’on a vu toutes nos stars (Ariane Moffatt, Florence K, India Desjardins, etc.) confinées chez elles en mou. Comme nous. Mais ne soyons pas dupes, conclut le professeur : tout cela demeure un « jeu », une « carte » bref, une « mise en scène ».